mardi 19 mars 2024

Cecilia Bartoli: Mission. Agostino Steffani 1 cd Decca

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 » Mission » de Cecilia Bartoli : un nouvel album qui fait couler beaucoup d’encre, suscite la passion des amateurs et admirateurs, surprend aussi les puristes étonnés de constater toujours les inventions d’un marketing  » pervers « … pourtant, en dehors de toute évaluation sur le contenu du coffret, reconnaissons la liberté et l’audace inventive de la diva romaine, toujours prête à endosser tous les rôles pour défendre (ou  » vendre «  dirons les mauvaises langues) la musique qui la passionne. De ce point de vue,  » Mission  » marque les esprits: sa couverture surprenante attire l’attention… pour mieux nous conduire vers la sélection musicale… qui elle, est d’une indéniable séduction. Voici un album abouti et bénéfique dévoilant le génie d’un Steffani insoupçonné… véritable précurseur de Haendel.
La justesse stylistique, la générosité de la diva, son engagement à nous offrir la révélation d’un immense compositeur baroque… sont exceptionnels.


Mission miraculeuse

Ne vous fixez pas sur l’image du visuel de couverture: à l’inverse d’un disque fantastique et surnaturel (on y croirait retrouver la suite de l’Exorciste !), Cecilia Bartoli, malgré son travestissement en prêtre chauve, nous parle bel et bien dans son nouvel album d’épanchement et de pudeur sensuelle, d’alanguissement extatique, de murmures enchantés:  » Mission  » cache des trésors d’accomplissements et de flamboiements passionnels d’une rare intensité… tous joyaux inédits (enregistrés en première mondiale), signés d’un certain vénitien Agostino Steffani (1654-1728).

Airs de langueur enchantée comme l’attestent les airs 8 ( » Sposa, mancar mi sento... », Tassilone), 10 ( » Si, si, riposa… o Caro... », Alarico il Baltha) et 16 ( » Dell’alma stanca a raddolcir... « , Niobe) : où les flûtes caressantes (annonçant le rêve du 20:  » Deh Stancati, o sorte... », La Libertà contenta)) appellent au sommeil et à l’endormissement, comme Poppea qui est prête à sombrer, ou comme Galatea chantant la métamorphose de son berger décédé; puis c’est l’expression d’un rêve éveillé, une extase au même onirisme conquérant et berçant. Enfin, sommet de cette effusion suspendue, l’air 16 (extrait de l’opéra Niobe, très en vedette dans ce premier récital de présentation), où la volupté sensuelle du chant se fait miroir d’un enchantement vocal: hymne à l’harmonie, rêve céleste, Steffani associe avec génie l’irrésistible mélodie avec une orchestration scintillante et colorée d’où jaillit les éclats clairs d’un  » carillon  » paradisiaque , au doux crépitement.
Comme dans le 15 ( » Foschi crepuscoli « …, La liberta contenta: même climat suspendue d’une suavité planante), Steffani approche le même niveau d’inspiration du grand Haendel, et c’est certainement à cette source que le jeune Saxon a polissé sa propre écriture lyrique.

Le récital sait composer sa propre dramaturgie vocale en favorisant les contrastes dans son enchaînement: aux langueurs évoquées, très présentes, la diva sait projeter ses coloratoures et vocalises de pure agilité (avec la trompette entre autres: air d’Alcibiade de La Libertà contenta :  » Svenati, struggiti, combatti, suda… « , plage 21) en cascades expressives et flamboyantes. Contrepartie plus adoucie à l’air de fureur et de triomphe autodéterminé de Sigardo (Tassilone) :  » A facile vittoria « , plage 13 (vaillance et bravoure du maintien)… comme au tonnerre et à la tempête qui claque et fouette dans l’air d’Alcide :  » La cerasta più terribile... » extrait flamboyant de La lotta d’Ercole con Acheloo, plage 17.


Langueur et extase de Steffani

A voce sola (mise à nu somptueusement assumée avec le luth dans  » Amami « : prière amoureuse d’une Niobe hallucinée), Cecilia Bartoli éblouit dans l’ivresse généreuse; même accomplissement dans les airs en duo avec son complice Philippe Jaroussky qui profite d’une si exceptionnelle diseuse: articulée, hédoniste et d’une constante énergie, la diva sait toujours nous séduire dans l’extase partagée: duo amoureux montéverdiens aux spasmes fusionnés (dans l’esprit du dernier duo de Poppea: écoutez entre autres la plage 18: accord idéal des deux voix de Anfione et Niobe); affirmation triomphante à deux lignes éclatantes dans le duo vivace et pétaradant du 12 (duo de Enea et Lavinia d’I trionfi del fato).

Tout cela recrée les conditions de la réussite de ses précédents récitals lyriques monographiques. Sur quelle autre ambassadrice Steffani aurait-il compter ? L’angélisme, la grâce, le souffle, l’articulation naturelle et jamais contrainte trouvent dans l’orchestre de Diego Fasolis (I Barocchisti) un complice de chaque instant. Le travail sur les phrasés, la diction, l’intelligence émotionnelle, les climats et enjeux poétiques, allusions, connotations, réminiscences, réitérations… se dévoilent comme par magie, grâce à une chanteuse qui n’a jamais modifié sa route, entre respect des auteurs, défrichement, approfondissement…

Après nous avoir révélé le Vivaldi lyrique, Gluck, les castrats napolitains ou l’immense diva romantique, première popstar de l’histoire de la musique et de l’opéra, Maria Malibran, Cecilia Bartoi, la quarantaine resplendissante cumule les exploits.

A l’automne 2012, voici le compositeur diplomate, éclesiastique et espion, Agostino Steffani. Le vénitien a une carrure européenne: services à Munich, Hanovre, Rome, Venise, jusqu’en Belgique et ailleurs… dont Paris où il assimile comme un génie avide, l’excellence et l’énergie des ballets. Rien ne saurait atténuer ou ralentir sa carrière exceptionnelle aux facettes surprenantes. Ambassadeur missionné par les princes électeurs, proche du Pape, Steffani sait aussi préserver son activité de compositeur à l’église comme à l’opéra. Cecilia Bartoli sait nous en dévoiler l’invention, la sensualité, cet italianisme somptueux, qui s’alanguit, palpite, se pâme… Voilà un auteur proche des extases sculptées du Bernin, des claires et tendres héroïnes d’un Titien dont d’ailleurs il produit les frémissements et scintillements colorés avec le même raffinement !

Probable élève de Carissimi à Rome, Steffani apprend la vérité et la sincérité des affects musicaux. En maître des sentiments, le compositeur ressuscité savait mieux que quiconque à son époque écrire des duos: deux coeurs palpitants: quoi de plus éclairant pour dévoiler ce qui se joue dans les âmes? Sa poésie et ses mélodies atteignent la perfection d’un monteverdi car jamais il ne sacrifie la claire et souple articulation de la langue pour la pure et creuse démonstration virtuose. Ses ariosos égalent Cavalli; sa vérité, celle de Claudio. La justesse de l’écriture exprime au plus près les contradictions et les vertiges du coeur.

Avec la sensibilité d’un peintre ou d’un poète et l’imagination d’un écrivain, Bartoli dans chacun de ses albums, nous raconte une histoire… qui nous livre de nouveaux secrets sur le coeur humain. A n’en pas douter, Agostino Steffani en savait plus que n’importe qui sur le beauté d’un battement de paupière et sur l’esquisse d’un sourire à travers un regard fugace à jamais perdu. C’est tout cela que nous offre la divina Bartoli dans ce récital proustien. Aucun doute, la pêche s’avère miraculeuse et l’on souhaite très prochainement écouter un opéra de Steffani dans son intégralité… à Salzbourg au festival de Pentecôte dont vous êtes la directrice artistique, chère Cecilia ?

Mission. Airs d’opéras d’Agostino Steffani (1654-1728). Cecilia Bartoli, mezzo. I Barocchisti. Diego Fasolis, direction. 1 cd Decca 478 4732. Enregistrement réalisé à en 2011 (Suisse). Prochains concerts de Cecilia Bartoli: les 13 novembre à Paris, salle Pleyel; le 18 décembre à Toulouse.

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