Versailles, Paris : Niobe de Steffani, les 22 et 24 janvier 2015. MĂŞme en version de concert, ce pourrait ĂŞtre en complĂ©ment de l’intĂ©rĂŞt que lui manifesta rĂ©cemment la mezzo romaine Cecilia Bartoli, le vraie rĂ©habilitation d’Agostino Steffani (1654-1728), contemporain de Haendel et comme lui, gĂ©nie lyrique, douĂ© d’une sensualitĂ© prenante souvent irrĂ©sistible (ses duos de chambre fut sa spĂ©cialitĂ©). L’OpĂ©ra royal de Versailles, le 22 janvier, puis le TCE Ă Paris prĂ©sentent son opĂ©ra le plus cĂ©lèbre et le mieux fini, Niobe (créé Ă Munich en janvier 1688), avec une distribution prometteuse qui compte entre autres Philippe Jaroussky et surtout Karine Gauvin dans le rĂ´le-titre (les deux chanteurs ont abordĂ© le rĂ´le d’Amphion et de Niobe dans une production non scĂ©nique, entre autres Ă BrĂŞme en novembre 2013).
Niobe ou l’orgueil puni
A l’Ă©poque de Niobe, Steffani occupe Ă Munich le poste de directeur de la musique de la chambre. Il a dĂ©jĂ composĂ© un opĂ©ra antĂ©rieur Marco Aurelio en 1681.
La reine de Thèbes paya très cher son arrogance vis Ă vis des dieux : Artemis et Apollon tuèrent ses enfants pour la punir d’une telle insulte faite aux divinitĂ©s. Son Ă©poux Amphion se suicide et Niobe est elle-mĂŞme changĂ©e en pierre d’oĂą coulent ses larmes maternelles. Que peuvent de simples mortels, fussent-ils couronnĂ©s contre la loi outragĂ©e des dieux ? La production est dirigĂ© par le luthiste Paul O’dette et Stephen Stubbs : le premier est directeur du festival de musique ancienne de Boston (Boston early music Festival, BEMF) oĂą le spectacle a pu ĂŞtre créé dès 2011 puis rodĂ© et affinĂ© pour sa tournĂ©e europĂ©enne actuellement Ă l’affiche de 2015.
Cecilia Bartoli avait tôt senti les possibilités de caractérisation dramatique du personnage de la reine tragique : Niobe incarne comme Didon ou Armide, ses femmes fortes, détruites et même anéanties dans la résolution du drame.
On note l’influence de l’opĂ©ra français (ballets et danses Ă la fin des actes et au moment clĂ© (prière d’Amphion au II). Mais Steffani brille Ă Munich parce qu’il y importe la sensualitĂ© raffinĂ©e de l’opĂ©ra italien et l’on compte pas moins de 60 arias ! C’est dire la facilitĂ© et le talent du musicien visiblement inspirĂ© par la lyre dramatique en particulier comme ici, tragique. EvĂŞque-diplomate, envoyĂ© et mandatĂ© dans les plus grandes cours europĂ©ennes au profit du Vatican, le vĂ©nitien Steffani rĂ©alise une brillante synthèse entre les styles italien et français.
Dans l’opĂ©ra, Steffani brosse le portrait Ă©mouvant des rois thĂ©bains : la dignitĂ© maudite de Niobe, parfois tĂ©nĂ©breuse mais digne et dĂ©terminĂ©e : c’est ici la rivale de CrĂ©onte, le roi de Thessalie), comme l’Ă©clat pathĂ©tique de son Ă©poux, Amphion (Sfere amiche au I).
Le couple des souverains de Thèbes a Ă©tĂ© favorisĂ© par le sort : Niobe est fille de Tantale dont elle hĂ©rita du courage ; Amphion Ă©tait fils de Jupiter et brille par son intelligence et ses dons de musiciens : mais trop gâtĂ©e, la reine succombe au pĂ©chĂ© d’orgueil et refuse par fiertĂ© de sacrifier Ă Leto : Latone, mère des frère et sĹ“ur : Apollon et Diane/Artemis. Les deux enfants outragĂ©s tuent les 7 fils de Niobe. Ovide dans ses MĂ©tamorphoses fixe le mythe de Niobe et il ajoute un autre affront fait aux dieux : Niobe se vanta d’avoir eu plus de fils que Latone : 7 enfants forts et prometteurs, les autres Ă©tant 7 filles soit 14 ” Niobides “au total ! Il n’en fallait pas davantage pour Latone offusquĂ©e de se venger Ă l’endroit prĂ©cis oĂą Niobe l’avait blessĂ©e. Frapper la mère en tuant moitiĂ© de sa progĂ©niture.
Emu par la douleur de Niobe et la cruautĂ© de son sort, Zeus (son grand père) la change en pierre d’oĂą jaillit des larmes Ă©ternelles…
CD. En complĂ©ment aux reprĂ©sentations de janvier 2015 Ă Versailles et Paris, Erato publie l’enregistrement de l’opĂ©ra Niobe avec les mĂŞmes interprètes dans les rĂ´les royaux, Philippe Jaroussky et Karine Gauvin. Prochaine critique complète sur les valeurs de la partition et l’engagement des chanteurs dans le mag cd de classiquenews…
Niobe d’Agostino Steffani (1654-1728)
Opéra en trois actes. Livret de Luigi Orlandi, d’après Les Métamorphoses d’Ovide.
Créé au théâtre de la cour de Munich pendant la saison du carnaval 1688.
Karina Gauvin, Â Niobe
Philippe Jaroussky, Â Anfione
Teresa Wakim, Manto
Christian Immler, Â Tiresia
Aaron Sheehan, Â Clearte
Maarten Engeltjes, Â Creonte
Jesse Blumberg, Â Poliferno
José Lemos,  Nerea
Colin Balzer, Tiberino
Orchestre du Boston Early Music Festival
Paul O’Dette et Stephen Stubbs,  direction
le 22 janvier Ă l’OpĂ©ra royal de Versailles, 20h
en version de concert
le 24 janvier 2015 au TCE Ă Paris, 19h30
en version de concert
Illustrations : Steffani, Les enfants de Niobe massacrés par Jacques Louis David, 1772 (DR)