vendredi 29 mars 2024

CD. Les Rois de Versailles. Miguel Yisrael, luth (1 cd Brilliants classics, 2014)

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devisee pinel luth miguel yisrael les rois de versailles louis XIIICD événement, compte rendu critique. Les Rois de Versailles. Miguel Yisrael, luth. Suites de Robert de Visée, Germain Pinel (1 cd Brilliants classics, 2014). Autant Louis XIV fut fastueux et solennel, majestueux et presque déclamatoire (sans cependant être pompeux : voilà l’équilibre mythique d’un Lully), autant son père, Louis XIII, premier inventeur du mythe versaillais, fut réservé, introspectif et secret. Sans effet décoratif ni tentation de démonstration narcissique, le luthiste Miguel Yisrael confirme ici son étonnante maîtrise de l’instrument dont il sait explorer chaque nuance expressive avec ce style et cette pudeur qui convainquent. Au Visée déjà connu, l’interprète associe plusieurs Suites signées Germain Pinel, véritable poète alchimiste dont la sensibilité aussi virtuose que resserrée époustoufle par son sens de l’économie et de l’intensité.

CLIC D'OR macaron 200Ce remarquable programme dans les champs saturniens d’un souverain mélancolique, débute avec la première des deux Suite de Robert de Visée (circa 1665-1733) : Hymne et hommage au défunt d’abord  » le tombeau de Tonty »: Allemande (plage 1) d’une dépression mélancolique et élégante dont la finesse allusive est exemplairement conduite : éloquente, précise et claire, la digitalité du luthiste émerveille par sa justesse et sa constante pudeur. Comme une langueur et un profond poison qui étreint et berce le coeur.

Plus alerte et vive, la Gavotte qui suit (plage 2) permet de recouvrer ses esprits. Superbement investie, – et notre séquence favorite La Montfermeil : rondeau (plage 3) ne fait pas que captiver : elle confirme un talent exceptionnel pour l’allusion et la justesse poétique. Pour classiquenews, Miguel Yisrael est bien le prince du luth, un artiste hors norme capable de s’imposer dans la maîtrise du plus exigeant des instruments. :  chaque reprise offre une variation d’accents, signe d’une constante richesse agogique, révélant la grande maîtrise dynamique de l’interprète. Comment ne pas penser
froissement, affleurement, palette extraordinairement flamboyante de sonorités produites par les cordes pincées, en une sensualité sousjacente qui tempère la fausse austérité d’un Pinel ainsi redécouvert.

Le Tombeau du Vieux Gallot (autre Allemande aux nuances plus riches et confondantes encore) est un retour à la délicatesse suggestive du début : l’Allemande de Tonty à laquelle succède ce Gallot qui marque tout autant l’esprit par son évanescence, pudeur à demi mots, tout aussi développée en durée, d’une langueur extrême et là encore la finesse de l’interprète captive par son sens de l’allusion, entre repli du deuil et la vivacité du souvenir suscité comme un portrait du défunt honoré. Les graves somptueusement conduits et amenés selon un tactus qui suit la respiration du pleur.

Allusif et recueilli, juste et poète, Miguel Yisrael n’oublie pas pour autant la nonchalance inouïe, ce basculement plus relaché des Chaconnes du Grand siècle, un art où excelle le modèle entre tous, Lully, et ses suiveurs, dont les Visée et surtout comme nous le verrons plus loin, Pinel. Ainsi la Chaconne de la plage 5 est un autre accomplissement, entre détermination, balancement, suspension, port et tension, suprême réalisation entre le faire et le laisser faire… souplesse du jeu, ductilité voilée infiniment mélancolique du style laissent sans voix.

CD. Miguel Yisrael : le luth, roi de Versailles !L’intérêt du nouveau disque de Miguel Yisrael n’est pas tant d’affirmer l’inspiration de Visée au luth que de souligner la profonde inspiration d’un maître absolu ici, son prédécesseur Germain Pinel (circa 1600-1661), véritable mythe musical dont Miguel Yisrael restitue l’absolue singularité.Le luthiste nous régale littéralement en jouant aux côtés de la Suite en Ré mineur plus connue, les deux inédites Suite en Fa majeur et en Sol mineur, d’une délicatesse allusive arachnénenne. ici, la maturité inouïe du musicien rejoint l’écriture de Pinel si essentiellement française, raffinée et naturelle, d’un charme irrésistible. Moins développé, plus essentiel et secret, l’art de Pinel en quelques miniature de moins de 3 mn, autour de 2 mn et même 1 mn, exprime chaque sentiment avec une profondeur inégalée. Sa maîtrise du luth fascine davantage encore après une « entrée du luth » (plage 6) quasi fantomatique, par un art consommé de la danse et de la litote chorégraphique : l’Allemande (7) est calme, paisible presque sans tension ni menace. Plus délicate car d’une développement moins évident et manifeste, la Courante centrale (8) étonne cependant par sa concision structurelle et sa fugacité qui exige du luthiste une maîtrise absolue dans la durée même courte de la pièce.

La Sarabande (9), en première mondiale, est l’une des séquences les plus développées de la Suite : langeur infinie et suspendue d’un temps révolu où la puissance de l’évocation ressuscite jusqu’au sentiment que l’on pensait enfoui et enseveli. La force du luth tient à cette puissance, à cette violence de la réitération : Miguel Yisrael se situe à cette hauteur de ton, un maître luhtiste unique à ce jour. A la langueur de la Sarabande antérieure, Pinel ajoute aussi  dans le Branle des Frondeurs, une fluidité renouvelée d’une ivresse suspendue où rayonne un balancement hypnotique, d’esprit essentiellement chorégraphie : le lâcher prise se double d’une détermination élégantissime là encore, emblème d’un interprète décidément unique.

Conclusion de la Suite, la Gigue (plage 11)semble libérer toute la tension précédemment mesurée, contenue, comme muselée par le cadre ? Cette Suite en D minor est la perle du programme  : elle concentre la pensée saturnienne, essentielle, en rien démonstrative de Pinel, si proche en cela de son frère en peinture, le futur Watteau (de la génération suivante).

Autre somptueuse réalisation, La Suite en Fa (plages 12 à 17), de surcroît inédite, enregistrée en première mondiale. Le Prélude (12) affirme une douceur extrême : l’éloquence souple et très onctueuse de la Courante (14), admirablement énoncée subjugue par son délié élégantissime. Même sentiment d’extase et d’accomplissement pour la Sarabande (15), plus noble et majestueuse encore et aussi d’une tendresse exquise. Le final indiqué « double » (17) séduit par cette agilité souveraine dont l’extrême virtuosité et la souplesse agogique font merveille.

 

 

 

Miguel Yisrael dévoile le luth de Louis XIII

Pudeur allusive, miracle de poésie langoureuse

Visée paraît presque trop évident et trop clair comparé à la complexité trouble et ambivalente de Pinel. Justement la dernière Suite de Pinel (en Ré mineur), également enregistrée en première mondiale est un autre apport majeur de ce programme ciselé : elle est même d’un ton plus fluide encore, plus naturel, d’un eau raffinée et concise à laquelle le jeu tout en nuances de Miguel Yisrael restitue ses vibrations étonnantes, la science des couleurs intérieures, un sens de la progression étonnant qui ne sacrifie à aucun cadre formel attendu. L’Allemande berce par sa tendresse et ses passages harmoniques souvent surprenants. C’est d’ailleurs le mouvement le plus développé (3mn24!, plage 24). Le jeu semble suivre, proche de l’improvisation, les méandres mystérieux de l’âme humaine. Très réservée et pudique jusqu’à l’effacement, la Courante 25) s’impose tout autant malgré sa fugacité par sa finesse articulée.
A quelle  » Sçavante  » fut destinée cette Sarabande d’une fermeté de maintien et d’une intelligence supérieure (plage 26)? Le ton est celui d’une sérénité nouvelle comme d’un renoncement en forme d’accomplissement.

yisrael-miguel-luth-xvii-582-594-actualites-1_Miguel-Yisrael,-lutenist(c)Jean-Baptiste-MillotEntre retenue et langueur, mystère et énigme, Miguel Yisrael se distingue définitivement. Enfin la dernière Chaconne (27), et la plus longue du cycle (3mn) émerveille comme un balancement enivré, repliant au fur et à mesure de son avancée, sa robe énigmatique, resserrée dans un mystère final. La maturité du jeu, sa finesse et son intelligence suggestives font tout le miracle de ce disque enchanteur : c’est un hommage inouï aux grands luthistes du premier XVIIème français. Ainsi le luth renaît de ses cendres : alors que tant de théorbistes et guitaristes cultivent la facilité, Miguel Yisrael s’entête avec grâce et élégance sur le luth (ici à 11 chœurs). Miroir d’un Roi taciturne et solitaire, au goût exquis, le luth est bien comme l’indique le titre du cd de Miguel Yisrael, le vrai Roi de Versailles.
L’interprète ne fait pas que signer son meilleur disque : il est aussi à la charnière de sa carrière, un tremplin s’ouvre à lui que croise aussi une nouvelle aventure internationale où le luth a plus que jamais toute sa place (lire notre entretien exclusif avec le luthiste Miguel Yisrael). Pour la réhabilitation et le jeu retrouvé du luth, aucun doute : ce disque superlatif comptera. Une borne pour la résurrection du luth ? Cd événement : CLIC de classiquenews en janvier 2015.

 

 

Miguel Yisrael, luth. Les Rois de Versailles : Robert de Visée, Germian Pinel : Suites pour luth. 1 cd Brilliants classics. Enregistré en juin 2014 (Cessigny, France). LIRE aussi notre compte rendu critique en anglais, traduction de Sandy Hackney

 

 

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