mardi 19 mars 2024

CD, critique. LE TEMPS DES HEROS. BEETHOVEN / MOZART. Orchestre Le Palais royal. Jean-Philippe Sarcos, direction (1 cd 2015).

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temps-des-heros-beethoven-mozart-palais-royal-orchestre-jean-philippe-sarcos-cd-annonce-critique-classiquenewsCD, critique. LE TEMPS DES HEROS. BEETHOVEN / MOZART. Orchestre Le Palais royal. Jean-Philippe Sarcos, direction (1 cd 2015). Le « Temps des héros » : c’est à dire Mozart et Beethoven. Le premier fait vibrer les cœurs et exprime comme nul autre avant lui, la passion et les sentiments humains, avec cette tendresse particulière pour les femmes ; le second crée l’orchestre du futur ; les deux définissent le romantisme et la modernité en musique ; ils sont d’ailleurs les premiers aussi à se penser « créateurs », et non plus serviteurs. Jean-Philippe Sarcos a donc bien raison de souligner leur étoffe de « héros » dans ce programme qui souligne la valeur de chacun.

Les deux airs mozartiens rappellent combien le riche terreau lyrique et les couleurs de l’orchestre de Mozart ont été fondateurs dans l’affirmation du génie Beethovénien, son intense dramatisme transmis à tout l’orchestre ; car s’il est fougueux et impétueux, maniant dès avant Bruckner puis Mahler, l’orchestre par blocs et par pupitres, Beethoven est aussi capable d’une subtilité instrumentale inouïe – ce qu’oublient le plus souvent les chefs, y compris les plus réputés. Le choix de la soprano française Vannina Santoni s’avère judicieux : longueur du souffle et de la ligne, tendresse claire du timbre – on aurait souhaité davantage de texte assurément mais la justesse de l’intonation et l’équilibre de la tessiture dans l’émission confirment la sensibilité déjà romantique de Wolfgang. L’air de concert K 490 préparant idéalement à la concision et à la profondeur du sublime « Dove sono » de la Comtesse des Nozze : air de langueur nostalgique et aussi d’exquise dignité, certes blessée voire amère, mais d’un absolu et constant angélisme.

Le morceau de bravoure du programme est assurément la Symphonie héroïque de Beethoven, en mi bémol majeur de 1804, d’une ambition comme d’une ampleur… prométhéennes. Dans cette écriture autant rythmique que mélodique, dans cette énergie lumineuse et guerrière même, se dessine comme une matière en constante fusion, la certitude messianique de Ludwig, pour lequel le créateur peut enseigner (et faire entendre) aux hommes de bonne volonté, les valeurs et les sons d’une société rénovée.
Assurément les fondations que pose le compositeur dans cette Héroïque concentrent tous les espoirs et la clameur des révolutions qui ont accompagné le passage du XVIIIè au XIXè.
A la fois visionnaire et guide spirituel (et fraternel), Beethoven est bien ce héros sans lequel l’histoire de la culture européenne n’aurait été qu’intéressante. Avec lui, elle est déterminante et prophétique. La 3è célèbre le génie de la civilisation capable de dépasser son destin et d’affirmer sa grandeur morale ; la dédicace en fut on le sait d’abord à Bonaparte, héros libérateur, héritier des Lumières, mais quand le général devint empereur, Beethoven effaça son premier hommage, trahi et blessé de s’être trompé (d’où, emblème de la déception, la marche funèbre en guise de second mouvement). De fait, l’esprit de conquête qui submerge l’auditeur tout du long, en dit assez sur l’admiration première que porta Beethoven au héros français.

Dès le premier Allegro (con brio), Jean-Philippe Sarcos domine l’orchestre, tenu à la bride ; d’une furieuse impétuosité qu’il canalise avec précision et rebond. En particulier dans l’exposition et le développement remarquable du 2è motif (en si bémol majeur, d’abord staccato), d’une durée singulière dans le cycle symphonique de Ludwig. Le live, bénéfice inestimable de cette gravure, souligne la qualité des timbres produits par les instruments d’époque : cors frémissants, bois et vents d’une rondeur presque verte mais si expressive, comparé à la sonorité lisse des orchestres modernes. Contrastes, aspérités, et parfois intensité ou hauteur en défaut… mais la vivacité du concert sert l’énergie beethovénienne. Elle en transmet la pulsion et la tension.

Quelle sérieuse rupture (et assumée nette par Ludwig), avec la « Marcia funebre » où perce et saisit le sentiment de deuil.
Le Scherzo exprime cette incandescence de la matière musicale, faite série électrique d’étincelles où brille, prodigieux apport des instruments anciens là encore, la rondeur cuivrée, plus pastorale que martiale des cors, finement caractérisés.
Enfin, jubilation et état de transe rythmique s’invitent dans le Finale, auquel Beethoven apporte une légèreté quasi chorégraphique dans le développement dialogué des pupitres : cordes chauffées à blanc, bois caressants : bassons, clarinettes, hautbois… en particulier dans l’élucidation du dernier motif, de « délivrance » et qui appelle une ère nouvelle fraternelle et lumineuse en une séquence « mozartienne ».

En digne héritier de Georges Prêtre et de William Christie, Jean-Philippe Sarcos détaille ce grand festin des timbres d’époque qui articule et cisèle autrement le génie beethovénien.
Surgit irrépressible le sentiment qu’un monde nouveau est conçu là sous nos yeux, dans ce magma instrumental que le maestro parisien nous fait entendre ; dans ce bain premier, primitif, chocs et frottements, étincelles du futur. Voilà qui augure opportunément de la prochaine année Beethoven 2020, et apporte une nouvelle démonstration de l’apport indispensable d’un orchestre sur instruments d’époque dans la connaissance de la symphonie romantique européenne. La 3è symphonie fut la première des symphonies de Ludwig à être créée à Paris, par la société des concerts du Conservatoire en mars 1828. L’orchestre Le Palais royal nous fait revivre ici la sensation d’assister à cet événement historique.

 

 

 

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CLIC D'OR macaron 200L’enregistrement live est réalisé dans la salle de concert du Premier Conservatoire de Paris, 2 bis rue du Conservatoire (75009), écrin historique lié à l’histoire symphonique dans la Capitale, c’est là que la Symphonie de Beethoven a été jouée en 1828 ; c’est là encore que Berlioz a créé sa sublime Fantastique. Saluons Jean-Philippe Sarcos de rétablir la riche tradition symphonique dans le lieu qui reste emblématique de tant d’événements pour l’essor de l’écriture orchestrale en France.

CD, critique. LE TEMPS DES HEROS. BEETHOVEN : Eroica, Symph n°3 / MOZART : airs lyriques (K.490 / « Dove sono »). Vannina Santoni, soprano. Orchestre Le Palais royal. Jean-Philippe Sarcos, direction (1 cd 2015).

 

 

 

 

 

ENTRETIEN avec Jean-Philippe SARCOS, à propos du cd Le Temps des Héros : BEETHOVEN / MOZART  –  propos recueillis en octobre 2019

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CNC / CLASSIQUENEWS : Pourquoi avoir choisi cette symphonie de Beethoven ? En quoi la partition permet-elle de prolonger et d’approfondir votre travail avec les instrumentistes ?

JEAN-PHILIPPE SARCOS : La 3è symphonie « Héroïque » s’inscrit dans l’intégrale des symphonies de Beethoven que Le Palais royal a réalisée de 2013 à 2016. Les symphonies de Beethoven, comme Le Clavier bien tempéré pour les pianistes, représentent un irremplaçable trésor…. LIRE notre entretien complet

 

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