mardi 19 mars 2024

CD, critique. DEBUSSY : Mélodies, Sonates… Syntonia (2 cd KARTHE records 2018)

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Debussy thon that tiet cd klarthe cd review critique cd par classiquenews couv_low1CD, critique. DEBUSSY par Syntonia (2 cd KARTHE records 2018). Les musiciens du quintette Syntonia explorent le DEBUSSY, poète impressionniste, grand orfèvre des mondes intérieurs… Somptueux récital conçu pour le salon plutôt que la salle de concert : l’intimité que convoque, l’écoute particularisée qu’exige la collection de perles musicales ici réunies, alternant mélodies et partitions instrumentales, montrent et l’élargissement du répertoire de l’ensemble SYNTONIA, mais aussi… sa maturité. Dans l’éloquence et la complicité, les instrumentistes et chanteuse célèbrent le génie d’un Debussy poète.

 

 

 

Debussy poète
Au cœur du poème musical

 

 

 

Pour nous la pièce maîtresse demeure la transcription très réussie de Prélude à l’après-midi d’un Faune, belle expérience de conversation instrumentale (arrangement pour quintette de Benoît Menut) où compte surtout l’écoute des autres et donc l’équilibre sonore comme l’articulation de chaque timbre, selon ce souci d’équilibre des dynamiques simultanées. Un vrai travail d’ajustement qui captive. La lecture sans les vents, souligne en réalité l’effusion suave qui excite le désir du jeune fauve… L’articulation est scrupuleuse mais naturelle. Précise et d’un fini… globalement coloriste.
Benoît Menut, compositeur qui a écrit par ailleurs pour Syntonia en particulier pour le violoncelle solo Patrick Langot (prochain cd à venir : intitulé « Praeludio », annoncé en mai 2019) respecte le format concentré et la texture vibratile du poème musical d’après Mallarmé. La défi ici est de soigner la clarté de l’articulation de chaque partie sans rompre l’effet orchestral (originel), cette brume indéfinissable, matelas suspendu du climat ouaté et sensuel du poète symboliste : de ce point de vue l’écoute entre chacun des musiciens de Syntonia est idéale : allusive, elle aussi suspendue, semblant chercher au delà et dernière les notes. Cette couleur sensuelle, d’enlacement permanent, profonde, immatérielle mais présente et continue que Debussy a su déployer en respectant le climat de Mallarmé, se déploie avec une grande musicalité.

Ce Debussy, allusif et érotique, entre en dialogue lui-même avec la pièce contemporaine de Tôn-Thât Tiêt qui en serait comme la résonance en un effet de miroir, à la fois réflexif et critique… (ultime séquence du cd 2).   » Regards dans la brume  » (2014) pour quatuor à cordes et piano… regarde avec distance sa source debussyste. La pièce contemporaine tisse un écho lointain, brumeux et a perdu tout idée du signe moelleux et rassurant. L’écriture exprime un état de veille inquiète voire d’urgence panique où la lente mélopée au piano redessine encore le climat tendu, fait suspendre le tableau initial. La brêve accalmie (IIème épisode où les cordes étirent l’air comme au début du Prélude de Debussy), n’est que de (trop) courte durée : en une sirène murmurée affolée, aux éclats lancinants, tendus, les instruments se crispent. Le mouvement le plus développé (plus de 8 mn) : épaissit la clameur hallucinée, en une interrogation qui cible le repli, exprime presque l’élucidation de l’énigme angoissée qui a été précédemment énoncé, sans véritablement éclaircir ni résoudre la question. Le III, creuse encore ce climat d’incertitude et d’intranquillité qui scintille entre anxiété, agitation et … folie. Ces « regards » dans la brume nourrissent autant de questions laissées sans réponse, en une nuée à la fois immatérielle et épaisse presque insupportable ; ils sont proches d’un cauchemar éveillé.

De son côté, très engagée à peindre chaque nuance du verbe musical, le doux soprano de Maya Villanueva (déjà remarquée dans un cd précédent Ginastera également édité chez KLARTHE) cultive une émission feutrée, et même suave comme millimétrée. Les Mélodies sont autant de pièces personnelles voire intimes qui témoignent de la vie amoureuse de Debussy ; certaines étant de fait, des offrandes hommages à l’être aimée : Marie Vasnier et Emma Bardac ; toutes deux étaient chanteuses et ont interprété les mélodies de leur compagnon très épris.
Dans ce recueil double, la cantatrice sait trouver les inflexions justes et parfois enivrées dans une succession de perles mélodiques, d’un Debussy, jeune (Nuits d’étoiles, l’offrande d’unadolescent de quasi… 18 ans en 1880) ; l’idée de suivre chronologiquement l’inspiration du Debussy mélodiste est claire, parfaitement explicitée, musicalement s’entend, quoique aussi musicologique, comme le réalise le texte très développé du livret.
L’attention aux mots, l’évidente curiosité pour exprimer chaque situation du poème offrent une éloquente vision sur l’écriture debussyste : coloriste, atmosphérique même, sans aucun maniérisme ni affèterie académique.

Créées en 1904 chez madame Edouard Colonne, les mélodies de Fêtes galantes sur des poèmes de Verlaine (1869) racontent cette intimité qui fusionne les deux cœurs (Emma pour le Livre II… qui n’est pas abordé ici). En poète musicien, Debussy cultive ce goût de l’étuve emperlée, des images enivrées énigmatiques ou plus dramatiques. Ainsi le triptyque des Fêtes Galantes (Livre I) : « Fantoches » est expressif, narratif, furtif et percutant quand « Clair de lune » (ses « masques et bergamasques ») diffuse un scintillement plus langoureux et évanescent, son énonciation portée par une candeur blessée et tendre. « Le jet d’eau » d’après Baudelaire (arrangement pour soprano et quintette par Benoît Menut) intéresse par ce miroitement instrumental qui enveloppe le chant ; et les interprètes réalisent et réussissent l’énigme et le climat de secret enchanté des Poèmes d’après Mallarmé, parfois incertains et sombres même en leurs harmonies raffinées et tendues (« Soupir ») ; ou pures invitations à l’extase (dernier poème du triptyque,  « Eventail »). La fragilité du timbre bien articulé ressuscite la chair diaphane, sensuelle, souvent murmurée de la poétique debussyste.

CLIC D'OR macaron 200Même grande sincérité pour le pianisme réglé sur le même mode intimiste et intérieur de Romain David (Images) ; auquel le violoncelle souple et très nuancé de Patrick Langot apporte une résonance spécifiquement grave (Sonate pour violoncelle et piano) propre à la partition conçue pendant la guerre (comme la Sonate pour violon avec la violoniste Stéphanie Moraly). Double cd enivrant.

 

 

 

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debussy melodies prelude après midi faune ensemble syntonie ton that tient cd klarthe records critiqueCD, DEBUSSY / Tôn-that Tiêt : Mélodies, Sonate, Prélude à l’après midi d’un Faune (2 cd Klarthe records) – Claude Debussy (1862-1918) : Mélodies, Sonates pour violon et piano, pour violoncelle et piano. Prélude à l’après-midi d’un faune (arrangement pour quintette avec piano par Benoit Menut). Tôn-Thât Tiêt (né en 1933) : Regards dans la brume pour quatuor à cordes et piano (Trois regards sur le Prélude à l’après-midi d’un faune). Maya Villanueva, soprano. Quintette Syntonia. 2 CD Klarthe records. Enregistré en janvier 2018. Durée totale : 1h56mn – CLIC de CLASSIQUENEWS

 

 

 

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CD 1    > Claude DEBUSSY (1862-1918)

    1 :   Nuit d’étoiles (1880)
2  :  La belle au bois dormant (1890)

        Images [oubliées] (1894)
3  :  III. Quelques aspects de «Nous n’irons plus au bois» parce qu’il fait un temps insupportable
4  :  Les angélus (1892)

        Images (Deuxième Série, 1907)
5  :  I. Cloches à travers les feuille
6  :  Minstrels pour violon et piano* (1914)
7  :  Pantomime (1883)
8  :  Scherzo pour violoncelle et piano du «Nocturne et Scherzo» (1882)
9  :  Voici que le printemps (1884)

        Images (Deuxième Série, 1907)
10  :  II. Et la lune descend sur le temple qui fut
11   : Les papillons (1881) – Images (Deuxième Série, 1907)
12  :  III. Poissons d’or
13  :  Romance  «Silence ineffable de l’heure» (1883)
14   : Apparition (1884)

        Sonate pour violon et piano* (1916-17)
15   : I. Allegro vivo
16   : II. Intermède. Fantasque et léger
17    :III. Finale. Très animé

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    CD 2    > Claude DEBUSSY 

    1  :  Prélude à l’après-midi d’un faune (1894) – arr. pour quintette avec piano de Benoît Menut

        Fêtes galantes (Premier livre, 1892)
2  : I. En sourdine
3  : II. Fantoches
4  : III. Clair de lune
5  : Noël des enfants qui n’ont plus de maison (1915) – arr. pour soprano et quintette avec piano de Benoît Menut

        Sonate pour violoncelle et piano (1915)
6  :  I. Prologue. Lent, sostenuto e molto risoluto
7  :  II. Sérénade. Modérément animé
8  :  III. Final. Animé, léger et nerveux

        Cinq poèmes de Charles Baudelaire (1889) – arr. pour soprano et quintette avec piano de
Benoît Menut
9  :  II. Le jet d’eau

        Trois poèmes de Stéphane Mallarmé (1913)
10  :  I. Soupir
11  :  II. Placet futile
12  :  III. Éventail

        > TÔN-THÂT Tiêt (né en 1933)
Regards dans la brume  pour quatuor à cordes et piano (2013-2014)
Trois regards sur le «Prélude à l’après-midi d’un faune»

 

 

 

Maya VILLANUEVA,  soprano  /  QUINTETTE SYNTONIA
Stéphanie MORALY* et Thibault NOALLY,  violons / Caroline DONIN,  alto /
Patrick LANGOT,  violoncelle / Romain DAVID,  piano

Couverture  du cd : Vaslav Nijinski dans l’Après-midi d’un faune. Aquarelle (1912) de Léon Bakst

 

 

 

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