Cd, critique. CHRISTOPHE STURZENEGGER, piano. SUBLIME IDYLLE : Clara et Robert Schumann (1 cd Klarthe). Il est des programmes dont la conception se montre passionnante, révélant comme ici, et l’imaginaire d’un artiste dont le sens du phrasé s’accomplit, et la secrète et tenace cohésion entre le verbe poétique porté par la voix et sa transcription préservée dans la matière même du piano. Le programme sait habilement croiser le tempérament quasi gémellaire (sur le plan musical et de la création) de chaque membre du couple Clara et Robert Schumann. A l’homme revient l’esprit dédoublé, la syncope et la rupture enchaînée que produit l’alternance de sa nature, et agitée et extatique (ainsi que l’expriment les Intermezzi opus 4, flamboyantes esquisses de jeunesse d’un Schumann génialement inspiré) ; à la femme, la saveur éperdue d’un lyrisme d’une tendresse caressante, presque maternelle, d’une douceur enveloppante qui suscite elle aussi, de sublimes éclats intérieurs. Au mérite du pianiste genevois Christophe Sturzenegger, le soin de cette articulation poétique qui ressuscite le dialogue secret entre Clara et Robert.
On demeure confondus par la justesse émotionnelle des pièces ainsi révélées. Sommet de la musique de Clara, l’Agitato funambule, échevelé presque inquiet pulsionnel en panique (plage 9, qui conclut les Trois Romances) éblouit par l’intelligence de son énoncé véritable miroitement et extase éperdue dont la couleur Brahmsienne souligne combien avec raison la jeune femme fut entre Robert et le jeune Johannes Brahms (depuis leur rencontre à Dusseldorf) une muse, initiatrice, pythie d’un lien indéfectible, affectif artistique, essentiel au sein d’une fraternité musicale dont chaque membre fut admirateur de la musicienne, l’une des meilleures pianistes de son époque. Les Romances opus 21 sont dédicacées à Johannes par une Clara qui semble avoir tout compris de l’amour, du labyrinthe des sentiments, vertige, abandon, extase, – désir et aussi … folie. La clairvoyance supérieure qui émane de ces 3 pages captive. Elle entre résonance indicible avec les œuvres de son mari écoutées en début de programme.
Bel enchaînement avec les lieder de Robert (d’après Eichendorf) mais ici dans la transcription d’une sensibilité vive, allusive et murmurée, signée, conçue par l’épouse amoureuse, uniquement pour le clavier. Rien que sa version / traduction sans paroles, du n°13, « Mondnacht » affirme une saisissante faculté à embraser tout le mystère de la passion naissante encore évanescente, extatique… cette capacité à comprendre ce qu’a composé son mari Robert, initialement pour voix et piano, éblouit. L’élocution du piano de Clara sans la voix atteint une indicible poésie tant le langage pianistique et toutes les ressources de son écriture, égalent le grain et le sens de la voix en un chant d’une expressivité rayonnante (énoncé d’une subtilité conquérante du dernier des 6 lieder ainsi transcrits : « Frühlingsnacht »). le choix s’avère d’autant plus pertinent que le cycle de mélodies est écrit à l’époque où Robert obtient enfin la main de celle qui sera son épouse, l’étoile de sa vie, reconnaissant lui-même combien la figure de Clara inspire tout le recueil propre au début des années 1840 (Liederkreis opus 39, publié en 1842).
Voilà une excellente introduction au thème et ses 5 variations de l’opus 13 dont Robert expose d’abord la gravitas entre Schubert et Beethoven et qui inspire ensuite dans les 5 variations qui suivent, une éloquence contrastée dont la versatilité élément récurrent essentiel chez Schumann, nous captive elle aussi. Frénésie brûlante de la première, berceuse enchantée de la 2e, crépitement nerveux plus cabré de la 3e, questionnement suspendu et murmuré de la 4e, rêve éveillé et surgissement d’une extase suspendue de la 5e. Rien de moins. La versatilité émerveillée qui rayonne alors de tout le cycle par la courte durée de chaque variation, évoque Chopin : intensité émotionnelle de chaque séquence, ivresse poétique du geste et du caractère, d’autant plus quand est réitéré, le thème initial, mais alors en conclusion, avec une profondeur hallucinée, quasi spectrale, davantage saisissante dans cette réexposition énigmatique. La lecture qu’en dévoile le pianiste est aussi proche de l’allusion et du mystère que possible, nous laissant comme saisis nous mêmes par la traversée de climats aussi prenants.
Pour finir,le pianiste et compositeur ajoute 6 mélodies de son crû : Anakrôn IV sur des poèmes de la suisse Corinna Bille : denses, intenses, eux aussi très contrastées (et superbement tonales et postromantiques), les séquences chantées par l’excellente soprano Clémence Tilquin prolongent ce cheminement émotionnel d’une rare vivacité. D’un constant raffinement.
Superbe récital qui est un hommage à l’amour, celui de Robert pour Clara, et vice versa. CLIC de CLASSIQUENEWS de mai 2018.
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Cd, critique. CHRISTOPHE STURZENEGGER, piano. SUBLIME IDYLLE : Clara et Robert Schumann (1 cd Klarthe records) – enregistré sur Steinway D395870 – La Chaux de Fonds, Suisse, juin 2017.
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