vendredi 19 avril 2024

CD, compte rendu critique. Les Eléments / Destouches, Delalande (Les Surprises, novembre 2015 – 1 cd Ambronay éditions)

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UnknownCD, compte rendu critique. Les Eléments / Destouches, Delalande (Les Surprises, novembre 2015 – 1 cd Ambronay éditions). Encore un spectacle passionnant porté à ses débuts par le Festival Musique et Mémoire et son directeur avisé, défricheur Fabrice Creux (création en Haute-Saône le 31 juillet 2015) : Les Eléments, opéra ballet de Destouches et Delalande de 1721, qui ressuscite ainsi sous le feu collectif d’un ensemble au vif engagement, à la sonorité sûre, expressive, articulée, d’une belle finesse d’intonation. Le plateau réunit plusieurs tempéraments déjà remarqués par classiquenews, passant des bergers aux dieux avec aisance et amusement, légèreté et fluidité : les sopranos au chant intelligible et mesuré (Eugénie Lefebvre; surtout la suave Elodie Fonnard, l’excellent baryton Etienne Bazola : voix nuancée et français parfait).

Tous les interprètes rendent justice à une partition séduisante et vivifiante où soufflent les frissons enchanteurs des « éléments » : en réalité, – véritables miroirs des saisons : s’y développent en leur saine intensité et trépidation chorégraphique, musettes entraînantes, orage et tempête dignes du grand opéra, et même en conclusion enivrée, ici d’une mordante nervosité, la chaconne conclusive dans la tradition encore fraîche des opéras de Lully.

Destouches atteint une qualité d’écriture irrésistible, dramatique, profonde, brillamment contrastée : de fait, en 1721, quand triomphe Les Eléments, le compositeur est reconnu, installé à la Cour, maître de l’opéra grâce à ses précédents ouvrages : Issé (1697), Le Carnaval et la folie(1703)… Le Prologue ou Chaos marque de fait la rupture esthétique qui se réalise nettement sous la Régence : tout s’organise désormais pour plaire à Louis XV autour de l’Amour ; galanterie rocaille et extrême sensualité, pourtant jamais creuse ni artificielle. Ce pathétique nouveau éblouit par son relief agissant et impose sur la scène le génie de Destouches (habilement transcendé dans les récitatifs d’Emilie, acte du feu).
L’opéra-ballet sera joué tout au long du XVIIIè, vrai tube de l’époque des Lumières, jusqu’en 1781 (à Fontainebleau). L’idéal moral qui s’affirme ici et renouvelle le cadre fixé antérieurement par Campra dans ses sublimes Fêtes Vénitiennes de 1710, annonce bientôt le ballet héroïque inventé et développé par Rameau après Destouches.

Les Surprises saisissent par leur vivacité fruitée

Des Eléments enchanteurs

Même dans cette version de chambre, le travail sur la plasticité dramatique du continuo (comprenant viole de gambe et théorbe selon la pratique des effectifs chambristes à la Cour et à la Ville) s’avère des plus captivants. L’acuité du geste, la sensualité mariée à une franche expressivité font toute la valeur d’un ensemble dont l’identité est immédiatement touchante. Ici, la maîtrise globale bénéficie du travail précédent sur les opéras de Rebel et de Francœur. La sûreté expressive, un talent rare pour la justesse fruitée et l’intensité poétique font les délices de cette lecture ô combien enthousiasmante : non, la leçon des grands d’hier, – Harnoncourt, ou d’aujourd’hui : William Christie, n’est pas lettre morte. Le flambeau de la vie et de la finesse, de l’audace surtout, comme d’une curiosité volontaire, rayonne ici grâce à la musicalité souveraine d’un jeune ensemble déjà très mûr dont la lecture et la compréhension regorgent d’idées comme d’imagination : leur appétit interprétatif aborde avec ardeur et tension flexible, chacune des séquences dédiée à un élément (volatilité des flûtes à bec ; liquidité des traversières ; rondeur terrestre des hautbois et des bassons…).
CLIC_macaron_2014Le goût de Louis XV, monarque fébrile, s’impose alors dans la passion renouvelée pour la danse et le corps chorégraphique qui démontre sa vitalité à régner et à jouir de tous les plaisirs. Le jeune monarque âgé de 10 ans en 1720, danse les intermèdes de L’Inconnu de Thomas Corneille ; apparaît même en… Amour dans Les Folies de Cardenio de Charles-Antoine Coypel (tableau final), une vision qui vaut emblème du règne à venir. En 1721, Les Eléments sont créés également aux Tuileries mais dans un petit théâtre adapté au format esthétique de l’oeuvre ; c’est surtout ensuite à partir de 1729, à Versailles dans les Appartements de la Reine, en ses fameuses soirées musicales (les Concerts de la Reine, grande mélomane) que Les Eléments deviennent une œuvre régulièrement jouée, l’étendard d’un goût, plus intimiste et délicat, qui traverse tout le siècle, jusqu’à Rameau.

Superbe allure, réalisation engageante, écoute stimulante. La nouvelle génération a bien retenue l’exemple qui les précède : il était temps. Comme Les Timbres, Les Surprises fondé en 2010, est un ensemble à suivre désormais.

CD, compte rendu critique. Les Eléments / Destouches, Delalande (Les Surprises, novembre 2015 – 1 cd Abronay éditions). Enregistré en France, en novembre 2015. Album Ambronay éditions, CLIC de CLASSIQUENEWS de mai 2016. Parution annoncée le 29 avril 2016.

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