samedi 7 décembre 2024

CD, compte rendu critique. JS BACH : Passion selon Saint-Jean. Musiciens du Louvre, Minkowski (2 cd ERATO, avril 2014)

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Pour autant, faire chanter la basse (le munichois Christian Immler) dans les airs du Christ sauveur, puis du « sauvé » (Mein teurer Heiland), indice que tout un chacun peut être éternel après la mort, reste pertinent, et le message de grande humanité, égalitaire et fraternelle, s’en trouve idéalement respecté.
odinius lothar tenor evangeliste johannes pasion bach classiquenewsDe même, le ténor qui chante la partie narrative de l’Evangéliste Jean, exprime et le saisissement de celui qui témoin vit l’action narrée, et le recueillement plus distancé du croyant narrateur de l’action : les deux aspects expressifs sont résolus par une langue naturelle et flexible grâce au choix d’un ténor allemand (Lothar Odinius), lequel semble littéralement vivre les événements quand il les commente. Le texte gagne un vie indiscutable, dans la fragilité comme l’autorité.

Donc tout n’est pas si expédié dans cette réalisation qui demeure le fruit d’une tournée pour la Pâques 2014. Cependant on a connu « Minko » plus précis, âpre, incisif, mordant. L’énergie des débuts, souvent fulgurante, s’est considérablement relâchée. On l’a dit dans la conception sonore, expressive du choeur (trop confus), mais aussi dans la tenue de l’orchestre, dont l’engagement global, reste routinier malgré parfois des accents instrumentaux de grande beauté. Mais Bach ne se satisfait pas d’une simple exécution maîtrisée : il faut aussi de la profondeur et une cohésion complice partagée par tous, sous la baguette d’un chef à la fois électrisant et fédérateur.
La version retenue respecte largement celle de 1724 (création à St-Nicolas de Leipzig) à laquelle le chef emprunte certains airs de 1725 (choral : « Himmel reise welt erbebe », – superbe dialogue choeur/Christ, Partie I – ajouté artificiellement en marge finale de la partie I / et l’air de ténor : « Ach, mein Sinn »). La coloration dès le départ (dès cette marche au supplice qui cependant s’élève en sublimant la douleur partagée), est celle d’une soie tragique, avec entre autres la présence du bassono grosso / contrebasson, instrument avéré dès la création de 1724 et qui par se résonance « sépulcrale », cite immédiatement le climat du Calvaire, et enracine la Passion dans un accomplissement fantastique, lugubre, surgissant des enfers terrestres, qui apporte l’hallucination voire le vertige au côté de la joie transmise dans l’articulation du texte (ce dernier aspect fait tout le sel si dramatique des récitatifs).
Ailleurs les deux violes d’amour convoquées pour exprimer l’arc en ciel quand le ténor soliste évoque le dos martyrisé du Christ flagellé (« Erwäge ») apportent une preuve éclatante de l’activité de l’orchestre comme personnage à part entière de ce drame total, fusionnant ainsi en un tout organique, choeur, solistes, instruments.
Le caractère de la Saint-Jean fusionne méditation, compassion et aussi sublimation dans la sérénité : si le drame s’ouvre par une marche saisissante, inscrivant l’action dans le calvaire et le supplice, la résolution progressive tend vers une sérénité de plus en plus prenante et lumineuse, annonce des joies célestes grâce à la résurrection.
Les solistes retenus par le chef créateur des Musiciens du Louvre, s’ils soignent leur texte, n’atteignent que rarement la vérité grave ni le sens philosophique et spirituel des situations. Ne prenons qu’un exemple parmi les 8 réunis lors de cette tournée 2014 : l’alto du jeune David Hansen qui chante dans la partie I : « Von den stricken meiner Sünden ». Le chanteur dont beaucoup veulent faire une nouvelle icône sexy par son physique agréable, s’adonne aux joies de l’air de concert, – déconnexion faite de cette cohésion organique : groupe / solistes que le chef met pourtant en avant dans son explication / présentation de ce cycle longuement préparé, virtuosité et affectation en bonus : le maniérisme de cette voix qui joue la vedette invitée dans une soirée de gala, aigrelette et peu sobre, reste hors sujet, absolument dépourvue de tout naturel, de tout dépouillement méditatif, quand il s’agit d’un air traversé par un grave esprit de compassion, confronté au Sacrifice du Fils pour la rémission des péchés humains. Et l’allant presque dansant du tempo rapide renforce cette allure « précipité » qui expédie la valeur et le sens de l’épisode. Plus loin, à l’alto féminin, Delphine Galou revient l’air le plus poignant de la Passion selon Saint-Jean (« Es ist vollbracht » / Tout est accompli, Nr 30) : le timbre ambigu joue sur sa proximité avec la voix d’un contre-ténor,mais il n’écarte pas une intonation précautionneuse, et elle aussi affectée qui ôte à cet épisode le sentiment pourtant essentiel d’apaisement progressif, de distanciation ultime, de renoncement et de Immler-Christian-08souffle… Dommage. Le seul qui se détache du lot par son élocution plus naturelle, – sans air poseur ni démonstratif, reste la basse Christian Immler (relief et acuité du texte, et flexibilité expressive de son sublime air – de totale sérénité et de sublimation céleste : « Mein teurer Heiland, lass dich fragen… » / Mon Sauveur bien aimé, écoute ma demande. Avec le choeur pacifié, et la basse de viole, se libère enfin la prière du peuple en souffrance, désormais délivré de toute entrave terrestre. Cette conception bienheureuse est encore confirmée dans la version présente par l’ajout du choral après le finale avec orchestre, « Ach Herr, lass dein lieb engelein » : prière et vision céleste des élus au ciel.

Pour conclure, voilà une version qui manque de clarté esthétique, d’une confusion de réalisation problématique : tempo trop rapide, solistes artificiels, prise de son nébuleuse. La Passion selon Saint-Jean n’est pas cette « petite » Passion (comparée à la « Grande » Saint-Matthieu), plus franche, plus immédiate dont parle la notice introductive : s’y déroule une tragédie musicale dont l’intelligence de l’architecture, la force et l’ambition de l’écriture comme la profondeur mystique se dévoilent à ceux qui l’ont perçue et la rendent explicite; dans le cas présent, – comparé à l’immense Nikolaus Harnoncourt, inégalé à notre avis, entre drame et texte-, sont absents la profondeur et le sens d’une vraie méditation. Pourtant l’activité de l’orchestre, sa caractérisation parfois pertinente-, certains épisodes dans la II, … explicitent clairement le rôle des instruments, personnages à part entière d’un opéra sacré parmi les plus fascinants de l’histoire de la musique. Reste que le dernier ensemble avec orchestre, qui est le finale habituel, ralentit soudainement, semble articuler plus lentement le texte, cherchant son sens jusqu’à s’enliser (quand auparavant le geste rapide et vif était plutôt de mise). Une appréciation en demi teintes donc.

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CD, compte rendu critique. JS BACH : JOHANNES-PASSION / Passion selon Saint-Jean (versions 1724 et 1725). 8 solistes, Musiciens du Louvre, Minkowski (2 cd ERATO, avril 2014).

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