CD, compte rendu critique. Chantal Santon, soprano : L’art orphique Charpentier, Purcell (1 cd Agogique). L’enchaînement du programme est habile et réfléchi : le choix des pièces et mélodies/songs défendu éclaire la passion baroque sur le mode de l’introspection et de la langueur, proche du texte. Dans Swetter than roses qui ouvre le récital : l’absolue langueur Purcellienne, offre au timbre clair la liberté de cultiver une aisance à caractériser les inflexions émotionnelles du texte. Saluons d’emblée, la maîtrise expressive et linguistique de la cantatrice Chantal Santon-Jeffery ; son articulation est parfaite dans la langue de Shakespeare (comme dans celle de Molière : Non je ne l’aime plus de Charpentier en fin de programme…) ; le style est noble et princier sans affectation : elle nous invite en son jardin constellé de roses délicates et suaves… Plus vif et même conquérant et victorieux, Hark ! the echoing Air a trumph… où l’abattage précis – celui d’une langue ciselée là encore, fait triompher surtout les aigus naturels.
La soprano Chantal santon-Jeffery réussit ce superbe récital d’airs baroques
Nymphe chantante, mesurée, éloquente et pudique
Le programme intercale entre les airs et songs, des pièces purement instrumentales : le choix de la très belle Chaconne en sol mineur est bénéfique dans cet enchaînement aux filiations et correspondances soignées : l’argument majeur de ce chant est celui d’une élégance racée qui elle aussi va son train noble et gracieux, d’une majesté aristocratique. Aux 2 airs de Purcell, répondent deux de Charpentier : la suspension sensuelle fait le mérite du premier, la précision déclamatoire et le refus de tout alanguissement mélodique distingue ce goût du verbe d’un Charpentier, véritable égal de Lully : écriture dense, expressive aussi à laquelle le soprano de Chantal Santon rétablit la chair mordante, les images d’un érotisme pastoral franc et discret (auprès du feu on fait l’amour aussi bien que sur la fougère…) : même invitation aux langueurs enivrées, sur le ton d’une âme épicurienne qui sait profitez aussi du printemps… traversée par le sentiment du temps irréversible (frémissante nostalgie du chant de Chantal Santon). L’intonation est juste : mesurée, elliptique : certains y verront à torts absence de profondeur : mais c’est oublier que justement chez les baroques, la profondeur est un art de surface et d’exquise suggestivité : ce que maîtrise évidemment la jeune soprano française.
Le Charpentier est prolongé par l’écho instrumental aux secrets introspectifs de l’Allemande de Couperin qui suit, d’une profonde méditation : opulence et clarté du jeu de Violaine Cochard.
La pièce maîtresse demeure Tristes déserts, lamento à l’issu funèbre, et à la française ici transfiguré par le filtre d’un Charpentier violent, franc, d’une étonnante concentration de ton : c’est la tempête (mesurée) d’un cœur brûlé qui s’embrase au diapason de la nature inquiète (est-il nécessaire de la part de l’ingénieur du son d’exposer à ce point l’archiluth, trop mis en avant et de façon si artificielle avec ses cordes tapageuses voire vulgaires ?). L’éloquence calibrée de la voix tragique, celle du berger trahi et démuni suffit amplement : la soprano Santon fait valoir ses couleurs, ses nuances, son parfait débit linguistique, qui reste clair, sobre, naturel. La perfection dans ce répertoire. On pense à la muse de Poussin, ou la nymphe délaissée abandonnée d’un Stella. Tout respire la déchirure et la passion défaite. Du vrai théâtre qui ce concentre surtout sur l’impact du mot.
Il semble qu’à mesure que le programme avance, le ton se resserre, la forme se simplifie en une austérité rayonnante : ainsi au cœur du programme, l’ample prière amoureuse The plaint : O let me weep de Purcell (plus de 7mn de suspension éplorée) où la voix trouve un écho compatissant/complice dans la ligne des cordes (violon et viole). Quelle bonheur de lui avoir associé la mécanique enivrée du Ground en ré mineur d’un Purcell absolument génial.
Le tact, la pudeur, l’attention au verbe poétique font les délices de ce programme ciselé. Une perle défendue par une cantatrice indiscutablement inspirée par la lyre tragique baroque, française et britannique. Reste le titre du programme qui apporte confusion et incompréhension : il ne s’agit pas d’airs inspirés par Orphée, mais bien de l’incandescence sentimentale qui sur le plan vocal a deux qualités ici incarnées : poésie et mesure. Tout l’art du premier baroque : ce XVIIè auquel on revient toujours comme à une source régénératrice, sans se lasser.
CD. Chantal Santon, soprano : L’art orphique Charpentier, Purcell (1 cd Agogique). Enregistré en mai 2014.
Henry Purcell
Sweeter than roses
Hark! The echoing air a triumph sings
Chaconne en sol mineur
The Plaint – O Let Me Weep
Ground en ré mineur
O solitude
Marc-Antoine Charpentier
Auprès du feu l’on fait l’amour
Profitez du printemps
Tristes déserts
Ah! Qu’on est malheureux
Non, non, je ne l’aime plus
Sans frayeur dans ce bois
Ah laisser moi rêver
Louis Couperin
Allemande en ré mineur
Jean de Sainte-Colombe
Sarabande en passacaille
John Blow
A mad song
Jacques Champion de Chambonnières
Chaconne en fa majeur
Monsieur Demachy
Gavotte en rondeau
Chantal Santon-Jeffery, soprano
Violaine Cochard, clavecin
François Joubert-Caillet, viole de gambe
Thomas Dunford, archiluth
Stéphanie-Marie Degand, violon
Enregistré à Courtomer, Mai 2014
1 CD Agogique – AGO019 – 59mn.