vendredi 19 avril 2024

Biennale Musiques en scène à Lyon

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GRAME BIENNALE musiques en scene 2016 logoLYON. Biennale Musiques en scène : 1er-27 mars 2016. Divertissement 2.0, au coeur de la culture numérique. Biennale GRAME 2016. Agglomération lyonnais et autres lieux. Du 1er au 27 mars 2016. Biennale participative avec concerts, créations, improvisations, performances, jeux vidéos, massages sonores, expériences nouvelles accessibles à tous les curieux, jeunes et moins jeunes, 160 artistes, 250 danseurs amateurs, 15 manifestations publiques, une conférence : le thème divertissement/culture numérique du GRAME lyonnais rayonne, et provoque la curiosité, fût-elle critique….

Le farceur à la trompinette et le penseur à la calculette
« Se divertir » ? « Vous avez bien dit : se divertir ? Comme c’est divertissant ! » Surtout en l’an de grâce 2016, où l’on boirait volontiers pour oublier qu’on a honte de boire chaque matin d’infos notre ration de honte, de tristesse et de peur. En tout cas, c’est  ce que propose entre Rhône et Saône la biennale du GRAME  qui s’autoproclame aussi « réjouissante, stimulante, créatrice et extrêmement addictive ».  C’est vrai qu’il fut une époque où les musiques d’aujourd’hui ne donnaient pas volontiers dans « le plaisir », et où on avait envie de fredonner à l’entrée puis à la sortie l’irrévérent « on n’est pas là pour se faire engueuler » du farceur à la trompinette. Et qu’on avait plutôt sur le divertissement le regard pascalien : « la seule chose qui nous console de nos misères, et cependant la plus grande de nos misères… Même un roi sans divertissement est un homme plein de mlsères…Et c’est ce qui forme le bonheur des personnes de grande condition, qu’ils ont un  nombre de personnes qui les divertissent, et qu’ils ont le pouvoir de se maintenir en cet état. »

Big Brother and Data
Les éditorialistes et penseurs du GRAME ( James Giroudon, Directeur, Damien Pöusset, directeur artistique) nuancent évidemment cette présentation  de  leur  session 2017 pour un « homme diverti » ( même averti, il n’en vaut pas forcément deux, ndlr classique news) qui « vit sous le règne de la fragmentation et de l’urgence  dans un univers de plus en  plus virtuel, en prise avec les mutations actuelles de la société. » Oui, « faut-il entendre les sirènes de Big Brother et de Big Data ? » Ou simplement mieux les connaître pour faire un tri dans « cette société de spectacle qui ne cesse d’étendre l’empire des divertissements standardisés » ? Car « des smartphones aux tablettes en passant par la domotique ou la robotique, notre écosystème a considérablement évolué au profit d’un monde hyper-connecté dans lequel  les énergies existentielles sont les fruits du désir, la libido des producteurs et des consommateurs. »

Un Hollandais volant dans l’espace numérique
D’où – sans trop de hiérarchie de valeurs obsolètes, en tout cas sans « vitupérer  l’époque », selon la formule d’Aragon , et avec une sorte d’objectivité pas forcément navrée, – voici une présentation plutôt séduisante sinon séduite de l’attirail-libido dans ce qu’il a de plus milieu-et-haut-de-gamme…Que les tradi-musicaux cependant se rassurent : sur les 28 manifestations de la biennale 16 affichent encore le titre « concert », spectacle, expérience sensorielle, théâtre musical et danse se partageant le reste de la liste. Un artiste invité donne le la, le Hollandais Michel van der Aa, dont les oeuvres sont huit fois présentes dans la session. « Depuis que j’étais tout petit », dit Van der Aa (on ne nous précise pas dans quelle décennie de la fin XXe  c’était), « j’avais des cauchemars terribles, qui ne se sont arrêtés que quand j’ai été mis à la guitare par les médecins…Depuis, si je m’arrête de jouer et de composer, j’ai l’impression que les mauvais rêves vont recommencer. » La guitare classique s’est « élargie » vers plus moderne, de l’ingéniorat du son à la musique de film et à la mise en scène. D’où le bilan « de théâtre, de musique de film, de vidéastie », qui passe par la présence  multisensorielle sur scène d’ « un alter ego aux musiciens », image projetée des « hétéronymes » dans la vie du poète Pessoa  et son Livre de l’Intranquillité », mais aussi du Livre de sable, de Borges.

Nos psychés aliénées
De même que pour le Concerto de violon (joué ici le 4 mars par Patricia Kopatszchinkaia) et d’autres œuvres l’ombre portée de son interprète inspiratrice Janine Jansen. Ce qui n’empêche pas van der Aa de se sentir aussi « indigène du numérique, et particulièrement du synthétiseur modulaire , qui force à mixer en analogique »… Vu par les patrons de la biennale, « l’artiste s’empare du flux de nos psychés aliénées comme pour mieux nous détourner de la nocivité de notre monde, il révèle l’étonnante poésie là où bien d’autres ne font qu’en énoncer la pure fonctionnalité ».

Kaléidoscope rhône-alpin
L’une des forces actuelles du GRAME dans le paysage rhône-alpin et français, c’est d’avoir su s’imposer auprès  des pouvoirs publics comme centre de diffusion et de création, et d’en venir maintenant à « organiser » autour de lui les acteurs principaux de la musique  dans ce périmètre : Auditorium et ONL, Opéra, Théâtre de la Renaissance, des Ateliers, Hôtel de Ville de Saint-Etienne, Centres Culturels (Vaulx en Velin, Rillieux, Décines), Théâtre de Valence, C.N.M.S. D de Lyon, Maison de la Danse, CAUE Rhône-Alpes, et d’investir l’espace muséal  « récent » (Les Confluences), ou filmique. Que tourne le kaléidoscope, qui va du « spectacle d’appartement » d’origine québécoise de la mime, chanteuse et percussionniste Krystina Marcoux (« 400 ans sans toi ») ou de la mise en musique par le compositeur argentin Martin Matalon d’un inattendu Fox Trot Delirium, burlesque du tout jeune Lubitsch , à une Origine du Monde où vous  ne manquerez  pas de chercher (trouver, c’est autre chose) le Courbet que vous savez, via  la vidéo de Miguel Chevalier et « la fusion des volutes sonores de l’accordéoniste Pascal Contet ».

Benjamin et Boulez
On est  un rien surpris de voir figurer dans cette session « divertissante » la création, sous la direction de Bernhard  Kontarsky, d’un opéra de Michel Tabachnik sur livret de Régis Debray, « La dernière Nuit », celle d’un Walter Benjamin pourchassé par les nazis et qui revoit son existence de penseur et de rêveur avant d’y mettre fin dans « une misérable chambre d’hôtel  à la frontière pyrénéenne ». De même qu’en « hommage à Pierre Boulez » des Jeux Concertants, avec le Dérive 1 du Maître censé dialoguer post mortem avec Clara Iannotta (un « concerto pour piano » par Wilhem Latchoumia), Onderj Adamek (« Conséquences particulièrement blanches et noires », sur un instrument inédit, l’airmachine) et M.van der Aa (un pianiste devant l’écran où vit un vieil homme en solitude), tout cela joué par l’Ensemble Orchestral Contemporain de Daniel Kawka.

Petit Marcel, Jésus conducteur
« Entêtant parfum proustien » du côté du Quatuor Diotima, qui joue le plus « Petit Marcel » des compositeurs français actuels, Gérard Pesson (Farrago, convoquant le Narrateur qui avec sa madeleine immergée dans la tasse de thé voit « tout Combray, tout ce qui prend forme et solidité sortir, ville et jardins » venir jouer la scène initiale et capitale), le Ravel de l’unique  Quatuor, et le Japonais Toshio Hosokawa interrogeant ses Distant Voices. Sept  étudiants du  CNSM  (¨Promotion  Master Copeco)  – jouent dans un Erasmus d’Auberge Lyonnaise     à un Zap ! 7 études de gravitation intérieure qui « oppose notre ancrage existentiel aux forces qui nous en divertissent ». Sous l’invocation d’Eglise de Jésus Conducteur – alias Erik Satie, Maître d’Arcueil -, on réfléchit en souriant aux Sports et Divertissements de celui-ci, au Dressur  d’un autre Maître insurpassable, Mauricio Kagel, aux Ritournelles de Kits égrenées par Philippe Hurel, et à un « dialogue schizophrénique » de M.van der Aa.

Remonter les époques
Remontant les époques, l’ensemble Céladon de Paulin Bündgen lance passerelles entre Renaissance  (Byrd, Tye, Taverner) et Modernité (Michael Nyman) anglaises, à travers la voix de contre-ténor et un sextuor de violes. Que dire de « la légèreté non sans profondeur » attribuée par les musiciens de chambre ONL au Quintette K581 (clarinette et quatuor) de Mozart ? « Séèèriiieux » ? Ils en portent  la responsabilité, et seront sans doute plus convaincants en parlant Bagatelles chez Mason Bates et P.A.Lavergne….Nul doute que la réflexion du grand altiste Christophe Desjardins ira plus loin par la mise en regard des Ricercari (« première pièces écrites en 1689 pour violoncelle solo ») et le Tombeau d’Alberto Posadas, à la mémoire de Gérard Mortier,puis Double, qui établit tout « un jeu de mémoire », à tous les sens du terme. Association avec le jazz, Actuel Remix « travaillant » l’œuvre d’Heiner Goebbels. Et tant d’occurrences et de ludiques propositions qu’on craint d’en avoir oublié ici quelques unes….

Massages sonores et balles de piscine
Théâtre musical d’improvisation qui « traverse les ponts entre cela et la clownerie » (La Favre, Bassery, Marcoux…), OMNI (traduisez les initiales transpositrices) de Félicie d’Estienne d’Orves (un grand nom de jadis !) et  Lara Marciano dans Octaédrite. , Danse pas ordinaire dans Ply, d’Ashley Fure et Yuval Pick, films-compositions d’encore Michel van der Aa, Up Close (par la violoncelliste Sol  Gabetta), et même des « massages sonores et plongée dans des balles de piscine » (en Auditorium : le fondateur architectural Proton de la Chapelle va tout de même s’en étonner sinon s’en divertir, de l’autre côté du miroir ?) de l’Ensemble  Nomad. Participation souhaitée des spectateurs (avec leurs portables et tablettes) pour « Je clique donc je suis » de Thierry Collet, comme dans le concert-bal latino-tango de Bordlejo, Fizsbein, Pueyo, et encore « ensemble d’applis public-GRAME, chœur et solistes » pour Smartfaust (il y a bien aussi des bonbons Werther, de l’autre côté du Rhin ?)… Et bien sûr, grande série d’installations et performances  originales dans les espaces muséaux  de Lyon et de la région.

Vanitas vanitatum…
Sous l’invocation des Vanités ( « vanitas vanitatum et omnia vanitas », disait ce joyeux drille d’Ecclésiaste biblique, dont on suppose qu’il est ici invité par antiphrase, et ensuite patron des tableaux classiques de méditation sur la mort…), voici par exemple un Side(s), Mécaniques du présent, où de « l’autre côté du miroir », le compositeur Alexandre Lévy, la photographe Elisabeth Prouvost et le chorégraphe Pedro Pauwels nous entraînent pour dire « l’éclipse, l’oubli, le déplacement », en des jeux de temps un rien vertigineux. Et on  couronnera la séquence « vanitas » avec Water Event, où Yoko Ono  ( « Yoko who ? ») invite les artistes de la biennale  (et vous-mêmes,chers spectateurs !) « à lui envoyer un récipient qu’elle remplira d’eau », version réactualisée de ce qu’elle avait créé en 1971 avec John Lennon :musiques de M.van der Aa, O.Adamek, C.Iannotta, P.A.Valade, N.Boutin et Quatuor Diotima…

Petit rappel sur le rire
Des civilisations (non, caricatures pseudo-religieuses du concept, maniées par des gardiens flicqueurs  à longs ciseaux et forts bâtons) veulent exclure le rire, et le combattre. (Et salut ému à Umberto Eco qui avec Guillaume de Baskerville vient d’aller gagner les rives du Pays où rire n’est pas défendu !) Un petit rappel dans l’histoire musicale européenne  nous aide à y voir plus clair via la musicologie et l’histoire des idées, grâce à l’universitaire Muriel Joubert, qui resituera en conférence-rencontre « le rire en musique : éclat de joie ou moquerie, geste corporel  qui n’existe que par son écho collectif, associé à la vulgarité, à la folie ou aux démoniaques (de Didon aux danses macabres), au détour d’une transcription orchestrale (Ravel) ou dans la dénonciation idéologique ( Chostakovitch) ». Mais le rire peut « aussi soigner (Prokofiev), exorcise de  l angoisse de mort ( Ligeti), délivre la voix (Berio, Aperghis) en lui rendant toute sa corporéité… »

L’avenir est à la philophonie
Pour finir, rien de tel en  divertissement au sens plein du terme que de faire retour au bon maître d’Arcueil, avec ses « Sports » et sa pesée des sons : « Je me servis d’un phonoscope, j’examinai un si bémol de moyenne grosseur. Je n’ai jamais vu chose plus répugnante. J’appelai mon domestique pour le lui faire voir. Au phono-peseur, un fa dièse ordinaire atteignit 93 kilogrammes. Il émanait d’un fort gros ténor dont je pris le poids… Je crois pouvoir dire que la phonologie est supérieure à la musique. C’est plus  varié. Le rendement pécuniaire est plus grand. Je lui dois ma fortune. Au motodynamophone, un phonométreur  peut facilement noter plus de sons que ne le fera le plus habile musicien. C’est grâce à cela que j’ai tant écrit. L’avenir est donc à la philophonie. » Prophète du temps  numérique, le père Erik ? Et il en riait ( ou faisait rire) le bougre !

GRAME BIENNALE musiques en scene 2016 logoBiennale Musiques en scène, Lyon. GRAME. Concerts, performances, expositions, rencontres, danse participative, and so on. Du 1er au 27 mars. Lyon et agglomération, Valence, Saint-Etienne. Informations  et réservations : T. 04 72 07 43 18 ; www.BMES-Lyon.fr

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