vendredi 19 avril 2024

Antonin Dvorak: Symphonie n°9 « du Nouveau Monde » La Chambre Philharmonique. Emmanuel Krivine ( 1 cd Naïve)

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Exaltant dépoussiérage

Née en 2005, La Chambre Philharmonique, après, entre autres, un disque Mendelssohn (symphonies n°4 et 5), nous offre son déjà troisième album. Il faut d’emblée écouter le deuxième mouvement de la Symphonie du Nouveau Monde (ample largo de plus de 11 minutes) pour mesurer les apports de la nouvelle esthétique défendue par l’orchestre placé sous la baguette transparente et ciselée du maestro Krivine. Cette idée de « fragilité » et de délicatesse, de vibration palpitante créée par l’usage des cordes en boyau (au chuintement si reconnaissable), le velours des cuivres, la caresse des bois (en particulier le cor anglais), relisent totalement l’équilibre ancien, trop longtemps rebattu dans l’une des symphonies les plus courues du répertoire. Du reste la partition ne semble jamais avoir si bien porté son titre: par « Nouveau Monde », il ne s’agit d’une énième conquête de l’Ouest américain mais plutôt d’un continent instrumental revivifié: sur instruments d’époque, le cycle respire, exulte, gagne une clarté, en définitive, une nouvelle identité sonore. Plans parfaitement étagés des pupitres, équilibre et précision des nuances de chaque timbre. Mordant et bondissant, le Scherzo fait aussi entendre toute la science d’orchestration du compositeur, à laquelle les interprètes ajoutent ce « piment » supplémentaire: un sens remarquable de l’articulation collective (les coups d’archet millimétrés confirme l’allant dans son urgence rythmique). Et l’ultime Allegro con fuoco est enlevé avec un panache presque tragique, mais une détermination parfois âpre qui sonne comme la récapitulation définitive et exaltée, menant l’exercice vers son apothéose aux accents martiaux… en outre, Krivine s’ingénie à fouiller chaque repli du mouvement, saisissant le caractère de confidence et de tendresse nostalgique qui colore aussi cet Allegro final: le travail du chef dans l’articulation, la respiration, la réitération des motifs précédents, s’y révèle captivant.

Esthétique du timbre et de l’articulation
Le geste rhétorique des musiciens ne serait que conjecture théorique s’il n’offrait pas une nouvelle lecture à la profondeur poétique de l’oeuvre, au contenu révélé par Dvorak lui-même de la partition: de fait, du largo, s’élève poignante, la plainte de Hiawatha (d’après le poème de Henry Longfellow) dont le chant a inspiré le compositeur: le jeune chasseur demeure inconsolable après avoir perdu sa bien-aimée, saisie de froid et vaincue par la famine…
Le souffle investi déployé par chef et orchestre dépoussière des années de pratique gentillette, souvent réductrice parfois schématique: ils révèlent la richesse souterraine, de l’une des symphonies les plus jouées du répertoire, créée au mois de décembre 1893 au Carnegie Hall.

Ce souci du timbre et de la vitalité énergisante d’un collectif allégé, plus soucieux d’articulation que de puissance, se retrouvent pleinement dans une oeuvre rare de Schumann, le Konzertstück pour quatre cors et orchestre opus 86, véritable chant éclatant, daté de 1849: l’équilibre exalté et lumineux de l’orchestre se déploie avec davantage de plénitude que dans Dvorak. D’autant que les solistes dont l’excellent et reconnu David Guerrier s’entendent à merveille, réussissant à vaincre toute virtuosité pour une intensité poétique particulièrement fascinante: la Romanze centrale, annonçant déjà le maestoso de la Symphonie Rhénane à venir (1850). Autre superbe réalisation. Tenue impeccable, instinct méticuleux et inspiré, rigueur musicologique: La Chambre Philharmonique respecte ses intentions: être l’une des phalanges aussi recommandables et inventives que l’Orchestre des Champs Elysées qui demeure la perle pionnière des orchestres sur instruments d’époque.

Antonin Dvorak (1841-1904): Symphonie n°9 en mi mineur, du « Nouveau Monde », opus 95 (1893). Robert Schumann (1810-1856): Konzertstück pour 4 cors et orchestre en fa majeur opus 86. Solistes: David Guerrier, Antoine Dreyfuss, Emmanuel Padieu, Bernard Schirrer (cors). La Chambre Philharmonique. Emmanuel Krivine, direction.

Illustration: Emmanuel Krivine (DR)

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