Plus qu’un aperçu générique sur « 200 ans de musique », les 20 cd du coffret « Musique à Versailles, « balayent » sans les amoindrir les qualités diverses des musiques des rois Bourbons, de Louis XIII à Louis XVI, patrons des arts à Versailles. Pertinence des thématiques abordées, intelligence des agencements composant le sommaire musical du coffret: le saint des saints de la monarchie française revêt un nouveau visage, où la musique fut l’élément essentiel comme expression de la piété royale, comme résonance directe des fastes et du raffinement local.
L’étendue des sources sonores sélectionnées dévoile surtout une autre diversité: celle des ensembles interprètes, celle des styles et des manières qui du premier baroque (Louis XIII) au style « grand siècle » (Louis XIV), de la vibration rocaille (Louis XV) au néo classicisme (Louis XVI) donne l’ampleur du travail réalisé, en particulier par les équipes de recherche du Centre de Musique Baroque de Versailles, et laisse à l’auditeur, l’opportunité d’embrasser deux siècles d’art musical, en en découvrant chaque singularité. La sélection des bandes comprends plusieurs enregistrements déjà parus en provenance des labels Glossa, Laborie, Warner, K617…
Les auditeurs des saisons musicales du Cmbv y retrouveront en particulier les temps forts des saisons musicales produites par le Cmbv, depuis ses premières éditions, et jusqu’au cru anniversaire (les 20 ans) du Centre versaillais (septembre et octobre 2007) qui a donné l’une de ses meilleures éditions, avec entre autres, deux révélations: Zélindor (cd10) et Egine (cd11), lire ci-après.
Après 2 cd dédiés au règne de Louis XIII (airs de cour, pièces pour luth et pour clavecin: Monique Zanetti, soprano/Claire Antonini, luth; puis Gérard Lesne, alto avec son ensemble Il Seminario Musicale), le coffret aborde les règnes suivants en consacrant pour chaque monarque, 6 cd.
Concernant le goût louis-le-quatorzien, l’équilibre est préservé, 3 cd pour le théâtre, 3 autres évoquant les fastes de la piété à la Chapelle (et dans les paroisses). La langue lullyste est ici défendue avec tact et élégance par Véronique Gens (Isis, Amadis, cd2) qui passe le flambeau vocal au mezzo dramatique et sombre de Stéphanie d’Oustrac (cd3) chez Destouches (Callirhoé, extraits), Pascal Colasse, Charpentier (Médée, extraits)… Côté « Concerts et Symphonies pour le roi », on retient surtout l’éloquence de Musica Florea sous la direction de Marek Stryncl (Symphonies pour les soupers du Roi de De Lalande et Concert de Lully fils, cd5).
Les trois cd qui suivent regroupent quelques uns des enregistrements les plus convainquants de la boîte anniversaire: en particulier, la Troisième Leçon de Ténèbres avec Patricia Petibon et Sophie Daneman (cd6), l’exceptionnel Miserere de Lully (Les Pages et les Chantres du Cmbv, accompagnés par le décidément excellent Marek Stryncl et son ensemble Musica Florea, cd 7), l’indiscutable programme du cd8 qui réunit la Messe des morts à quatre voix H10, Inconvertendo de Brossard (qu’il faudra absolument mettre en perspective avec celui de Rameau du non moins époustouflant cd12), puis Usquequo Domine de Desmarest: le concert est d’autant plus passionnant qu’il donne la parole à trois ensembles différents, respectivement: Ricercar consort dirigé par Philippe Pierlot (et les subtils vocalistes du Collegium de Gand), l’Ensemble Baroque de Limoges (Christophe Coin) et Accentus, enfin Les Arts Florissants dirigés par leur chef, William Christie. Voilà le premier cd à écouter et récouter sans modération pour qui souhaite s’ennivrer des arabesques dévotionnelles de la foi « Grand Siècle ».
Avec les 6 cd suivants dédiés au règne de Louis XV, le niveau ne baisse pas, bien au contraire. A l’engagement de la tenue interprétative, l’éditeur ajoute la pertinence d’oeuvres méconnues (injustement): les trois premiers soulignent l’essor de la scène dramatique française où dans le sillon lullyste, l’éloquent et audacieux Rameau renouvelle l’action lyrique (Hippolyte et Aricie différemment abordé par Minkowski et Rousset. Dans ce « match » des sensibilités, l’éloquence instrumentale des Talens Lyriques nous paraît plus fluide et naturelle que le relief souvent heurté d’un Minkowski plus éruptif que suave… mais quel trio des Parques nous donne à entendre le directeur des Musiciens du Louvre! (cd9). Les cd 10 et 11 remportent eux aussi la palme (avec le cd8 déjà présenté): respectivement, il s’agit de révélations totales, éblouissantes même dans leur réalisaton et par la justesse du geste instrumental et vocal: Zélindor, roi des Sylphes du duo Rebel/Francoeur (par Ausonia) comme Egine de Colin de Blamont (Les nouveaux Caractères) retiennent l’attention, dévoilant des écritures dramatiques exaltées/exaltantes voire géniales, habiles assimilatrices des audaces de Monsieur Rameau… Ces deux intégrales justifient amplement l’acquisition du coffret. Le cd12 s’impose dans la même ligne: Christie dirige deux oeuvres déjà connues (enregistrées chez Warner), déployant cette éloquence dramatique et sensuelle propre à animer d’une ferveur nouvelle les textes sacrés (« Au Concert Spirituel »: Dominus Regnavit de Mondoville, puis In convertendo de Rameau). Le cycle des musiques de Louis XV se conclue sur une autre révélation de taille: « la renaissance de l’orchestre français », en particulier au travers des suites pour orchestre seul extraites des Folies de Cardenio de De Lalande par Christophe Coin et son ensemble baroque de Limoges, jubilants/jubilatoires (cd14).
Les derniers 6 cd, évoquant le règne de Louis XVI, précisent en vérité l’évolution de l’art musical sur lequel pesa très fortement le goût de Marie-Antoinette. Ainsi le premier cd convoque les italiens que fit venir la Reine de France: Sacchini et Piccinni dont les opéras sont incarnés par la soprano Roberta Invernizzi (accompagnée par Antonio Florio et la Cappella della Pietà de’Turchini, cd15). Autre argument fort du cffret, le cd 16 qui suit et dont le programme: « L’opéra français aux portes du romantisme » permet au baryton Pierre-Yves Pruvot (accompagné par Les Agrémens, Guy van Waas) d’éclairer l’auditeur dans ce dédale des manières déjà préromantiques dont témoignent les opéras de Kreutzler (La mort d’Abel), Monsigny (Le déserteur), Lesueur (La caverne), Gossec (Sabinus)… en complément, La Fausse Magie et L’Amant jaloux de Grétry (extraits par Isabelle Poulenard, et les Paladins de Jérôme Corréas), compositeur tant apprécié par Marie-Antoinette. Le propre du boîtier étant de nous réserver plusieurs découvertes majeures, en liaison avec les axes des recherches musicologiques menés par le Cmbv, citons enfin pour le plaisir comme la découverte, deux autres programmes non dénués d’intérêt en ce sens: « l’essor de la symphonie française » où l’excellent Jérémie Rhorer et son Cercle de l’Harmonie défrichent avec finesse et nervosité les Symphonies de Gossec, Leduc, Rigel (cd17). Ce même Rigel que l’on retrouvera pour la sortie d’Egypte dans le volume 20, dédié aux « Nouveaux accents de la foi au temps de Louis XVI ». Pour finir, n’omettons pas ce récital versaillais, de Balbastre à Mozart, du « Prélude en ut majeur » aux Neuf variations sur l’air Lison dormait, par Andreas Staier, interprète habité sur pianoforte (cd18).
Pour découvrir interprètes et dates des enregistrements, comme le contenu des oeuvres et leur genèse, complément fort utile si l’on veut dégager des tendances et quelques évolutions dans l’histoire de la musique à Versailles, l’éditeur ajoute une 21ème galette: un cdrom sur lequel l’auditeur trouve l’ensemble des données souhaitées en format pdf, comprenant de nombreuses notices historiques sur les sensibilités et les goûts du temple versaillais de la musique. La sélection des oeuvres, comprenant bandes déjà connues ou lives de 2007 (enregistrés sur le vif lors de la saison des 20 ans) permet de dresser un tableau éloquent, restituant la place des grands compositeurs, des genres à la mode, des lieux musicaux (Appartements, Chapelle, Opéra, etc…). Voilà Versailles somptueusement célébré. Coffret événement !
« 200 ans de musique à Versailles ». 20 cd + 1 cdrom (notices).
Plus d’info : www.coffretbaroque.com