Le Crépuscule des Dieux, 1876
La fin de l’humanité
Dans Le Crépuscule des Dieux, la malédiction cachée dans l’anneau d’or
convoité par tous les personnages mais détenu par le vaillant Siefried
s’abat sans ménagement. Le trio calculateur formé par les Gibichungen,
Gunther et Gutrune, frère et soeur, et Hagen, le fils haineux d’Albérich
s’entendent pour piéger le porteur de l’anneau, Siegfried. D’ailleurs
celui ci en buvant le breuvage de l’oubli (oubli de Brunnhilde) se
laisse soumettre avec une naïveté désarmante. Les forces de l’envie et
de la cupidité auront raison du héros trop crédule et c’est en évoquant
son amour pour Brünnhilde dont il retrouvé le souvenir que Siegfried
meurt à l’acte III, d’un coup de lance dans le dos… Nous voici donc à
la source première de la rédaction de la Tétralogie, puisqu’avant de
composer chaque Journée du Ring, Wagner avait conçu l’ensemble du cycle
lyrique avec un premier opéra dédié à la mort du héros, dès 1848. Le
compositeur allait ensuite nourrir son projet en en élargissant les
contours et la forme en accouchant du corpus en 4 volets, un prologue et
trois opéras ou journées, officiellement créés en un tout cohérent lors
du premier Festival de Bayreuth en août 1876. La marche funèbre dit
cette fin d’un monde qui a sacrifié la vertu fraternelle sur l’autel de
la jalouisie et de la cupidité. C’est aussi le moment le plus fort de
cette tragédie noire qui dénonce tout ce qu’a d’inhumain l’humanité
moderne. Inhumaine et barbare dans ses intrigues ignobles mais aussi
impuissante donc dérisoire: après que Gunther ait tué Siegfried, Hagen
tue Gunther pour posséder seul l’anneau… mais celui-ci ne peut être
défait des doigts du héros assasinné, et c’est Bünnhilde, être de
compassion et d’amour, qui comprend l’énigme finale: elle fait déposer
le corps de Siegfried sur un bûcher, y met le feu et s’y jette. Les
flammes emporteront aussi le Walhall et la demeure des Dieux…
Impuissants ont été Dieux et hommes, Wotan, Albérich et Siegfried.
Combiend et morts inutiles. Seul la providence impose sa loi et les
filles du Rhin portées par le fleuve qui submerge la scène jusqu’au
brasier, récupère l’or qui leur avait été dérobé dans le prologue (L’or
du Rhin).
Le tableau final est une injonction à tous les hommes: comment rompre
la fatalité de la violence et de la jalousie, de l’intelligence noire,
du calcul néfaste, de la trahison? Tout acte se paie tôt au tard.
L’humanité court à sa perte sous de telles actions. Le pessimisme de
Wagner se lève comme l’annonce d’un fin inéluctable pour la civilisation
humaine, même s’il est coutume d’exprimer dans l’ultime scène où
Brünnhilde rejoint dans les flammes son bien aimé sacrifié, le signe
d’une espérance, l’aurore d’un monde neuf qui aurait tiré la leçon des
erreurs passées…
En un prologue et trois actes, Le Crépuscule des Dieux a été créé
lors du premier festival de Bayreuth, représentant l’ensemble du cycle
du Ring, en août 1876. L’oeuvre fut ensuite créée à New York (1888),
Bruxelles (version française, 1901), Paris (1902). Avec Götterdämmerung,
Wagner achève sa contribution pour un théâtre total: en inventant une
nouvelle scène à Bayreuth (grâce au mécénat de Louis II de Bavière),
nécessitant une configuration scénique spécifique, il a réussi à
redéfinir aussi un nouveau langage musical continu, façonné d’un
maillage complexe et foisonnant de leitmotifs. Ecriture suggestive,
elliptique, tissée d’allitérations multiples et répétées en les variant à
chaque reprise, la musique wagnérienne exprime mieux qu’aucune autre la
richesse ambivalente de la psyché en une démultiplication simultanée de
résonances mélodiques d’une inextricable activité.
Wagner: Der Götterdämmerung, 1876. Le crépuscule des dieux, 1876. En direct du Metropolitan Opera de New York… . Gary Lehman, Siegfried. Deborah Voigt, Brünnhilde. Iain Paterson, Gunther. Hans Peter König, Hagen. Waltraud Meier, Waltraute… Choeur et Orchestre du Metropolitan Opera New York. James Levine, direction