d’une nouvelle approche exaltée, sensuelle et ici particulièrement
rayonnante, l’ex-assistant et continuiste de Gabriel Garrido, Leonardo Garcia Alarcon,
et qui partage avec ce dernier, un tempérament passionnément latin,
« ose » sa reconstitution des Vêpres de la Vierge de Vivaldi, dans le
sillon du cycle éponyme d’un autre grand vénitien… Montéverdi.
Dans la notice d’accompagnement, le chef explicite ce
parallèle extérieurement incongru, qui cependant dans son approche
spécifique et si originale, prend tout son sens. Tous deux, synthétisant
l’essor du baroque à Venise, sont deux compositeurs décisifs,
absolument originaux et novateurs, génies lyriques comme maîtres des
formes instrumentales, de surcroit, ecclésiastiques, qui mènent à Venise
de leur vivant une œuvre révolutionnaire, sur le mode sacré comme
profane.
A partir de partitions isolées, Alarcon architecture
l’un des cycles vivaldiens les plus captivants, d’autant que pour servir
un programme savamment sélectionné (et de fait totalement cohérent), le
jeune maestro qui enregistre ici un concert phare proposé dans le cadre
de sa résidence à Ambronay (et enregistré live in situ en octobre
2010), dispose d’une équipe de chanteurs indiscutables; ceux-là mêmes
qui ont réussi la résurrection de l’oratorio de Falvetti, il diluvio universale (1682), autre temps fort du festival d’Ambronay 2010. Voir le reportage vidéo Il Diluvio Universale de Falvetti par Leonardo Garcia Alarcon, Festival d’Ambronay 2011. Le disque de ce programme exaltant est annoncé à l’automne 2011.
Vêpres crépusculaires à leur zénith
L’orchestre n’a pas la fluidité palpitante du propre ensemble d’Alarcon
(la Capella Mediterranea) mais le travail qu’effectue le chef en
particulier sur l’activité et les couleurs du continuo, sur l’équilibre
voix/orchestre, se montre passionnant, d’autant plus dans une lecture
d’emblée volontaire et déterminée, évidement tournée vers la lumière (à
l’instar du visuel de couverture) et dont chaque section tout en étant
méditative voire très individualisée et introspective, favorise la
projection du texte, son articulation vivante, à partir d’un travail
particulièrement fouillé sur l’assise dynamique des instruments (la
signature désormais identifiante du maestro argentin).
A ce titre certains solistes et le chœur se révèlent indiscutables,
mettant à profit une approche très caractérisée, soucieuse du texte…
Mais pas seulement: investie, incarnée, spirituellement exigeante…
Comme il y a quelques décennies déjà, les grands baroqueux
réinvestissaient les Passions de Bach …. Alarcon se montre
enflammé et spirituel: une combinaison gagnante, soulignant cette
sensibilité atmosphérique, propice aux climats instrumentaux, à la
somptueuse palette de couleurs qui fait de l’auteur des Quatre Saisons,
ce musiciens aux contours suggestifs qui écrit en véritable peintre
sonore.
Alarcon révèle et cisèle chez Vivaldi, l’ampleur et l’extrême activité
théâtrale, mais aussi la profondeur humaine et orante des partitions
choisies, somptueusement assemblées.
Pour servir au plus juste son esthétique, allante et approfondie, deux sopranos se détachent : Maria Soledad de la Rosa et Marina Flores…. Sens du texte, chant souple et naturel , les deux chanteuses ajoutent ce supplément individuel, humain, fervent.
Alarcon s’immerge (et nous avec) dans ce climat fervent particulier des
Vêpres liturgiques: office du crépuscule à son zénith, le cycle du
Vespro recueille la très ancienne connaissance de Vivaldi du rite
religieux à San Marco de Venise: l’enfant instrumentiste accompagne son
père violoniste à la Basilica dès 1685… A la Pietà, même s’il n’occupe
pas les fonctions de maître de chapelle, Vivaldi compose de très
nombreux motets: pour qui, pour quelle institution ? Le mystère demeure.
Tout le mérite revient donc à Leonardo Garcia Alarcon d’en concevoir
une totalité unifiée, d’en révéler les splendeurs pas seulement
fastueuses mais aussi méditatives.
Parmi les joyaux retenus par Alarcon, soulignons la splendeur du Dixit Dominus (Psaume 109) RV 807,
conservé à Dresde et jusqu’à une date très récente, attribué à…
Galuppi. Sa fièvre et son énergie sont la plus belle offrande à la
gloire omnipotente du Seigneur selon un mode collectif (grand motet comprenant soli, choeur et orchestre). Démonstration de force (Donec Ponam),
mais aussi de tendresse, le volet montre la mesure d’un Vivaldi
théâtral et aussi pénétrant par sa richesse de couleurs instrumentales,
comme d’accents plus intimistes et incarnés. Ainsi l’élévation jubilante
du Confitebor (et ses hautbois éclatants)… Le Beatus Vir RV 795
rétablit le motet de solistes: à Mariana Flores, remarquable de
justesse et d’intensité humaine revient l’expression de l’espérance
réservée au juste dans les ténèbres (Exortum est: douceur et relief de la voix porté par un continuo actif et aérien). Même équilibre souverain dans le Laudate pueri RV 600
qui suit: où le chant plus incarné encore (Mariana Flores au sommet,
ardeur égale de sa consoeur Maria Soledad de la Rosa) réalise un chemin
de dévotion humaine particulièrement prenante.
Tout office des Vêpres converge vers son aboutissement qui est le Magnificat,
la version que le chef a retenu est celle Rv 610, très équilibrée et
d’une opulence doxologique graduelle dont la performance du choeur
associé à la sensibilité de l’orchestre éclaire là encore l’écriture
vivaldienne d’une activité palpitante et jubilatoire: allant de l’Et exsultavit (unisson
des cordes, hautbois et bassons, délectable) dont l’intonation d’une
solennité naturellement chantante se distingue: tendresse angélique du
duo Esurientes (Flores, Weynants): manifeste sociale
égalitaire, franc par son texte; et si raffiné par dans sa formulation
vocale ! Reconnaissons au maestro, un souci superlatif de la variation
expressive, de la caractérisation individualisée pour chacune des
sections de ce formidable office vespéral.
Vérité
agissante, ciselure du continuo, apport caractérise et si investie des
solistes féminines : jamais le Vivaldi sacré ne nous a paru aussi
proche, fraternel, incarné dans une proposition musicale certes
imaginaire mais totalement convaincante.
Antonio Vivaldi: Vespro a San Marco. Vêpres de la Vierge. Mariana flores, soprano. Les Agremens, chœur de chambre de Namur, Leonardo Garcia Alarcon, direction.