Antonio Vivaldi
Orlando Furioso
Jean-Christophe Spinosi, direction
Paris, TCE
Du 12 au 22 mars 2011
Nice, opéra
Du 30 mars au 5 avril 2011
La production baroque événement des mois de mars et avril 2011 reprend sur scène l’éblouissante distribution de l’enregistrement paru chez Naïve en 2006 (mais enregistré en 2004)… 7 ans après les séances studio, le chef Jean-Christophe Spinosi dirige enfin le chef-d’oeuvre absolu de la passion vivaldienne au théâtre, de Paris à Nice. Notre collaborateur Alexandre Pham avait discerné un satisfecit global vis à vis du coffret cd édité au sein de l’intégrale des opéras de Vivaldi chez Naïve. Sur les planches les même chanteurs, chef et instrumentistes à quelques exceptions près, reprennent donc du service et font les délices des représentations annoncées entre le TCE parisien et l’opéra de Nice.
Voici la critique du cd Orlando Furioso de Vivaldi par Spinosi chez Naïve:
Avis de tempête chez Vivaldi ! Voix incandescentes, orchestre écumant : voici une lecture houleuse où les vertiges musicaux et sentimentaux frémissent, toutes voiles gonflées, sur une mer instrumentale des plus imprévisibles.
Trois raisons font de la présente gravure, une référence incontournable.
Trois raisons font de la présente gravure, une référence incontournable.
Sa nature inédite tout d’abord : nous tenons là le premier enregistrement de l’Orlando Furioso, depuis sa création vénitienne en 1727. Version restituée des plus fidèles au manuscrit original et qui vient habilement supplanter la lecture certes vocalement impressionnante mais stylistiquement hors sujet signée Claudio Scimone chez Erato. Son interprétation superlative ensuite : la sensibilité versatile du chef en résidence à Brest, Jean-Christophe Spinosi, (qui signe ici son second opéra au sein de « l’édition Vivaldi » produite par Naïve, après une Vérità in cimento plus qu’honorable) révèle une maturité éloquente, dramatique et chromatique qui rend toute la mesure expressionniste du livret d’après L’Arioste.
La qualité intrinsèque de l’œuvre enfin : la partition est du meilleur Vivaldi, certainement l’œuvre centrale des années 1720, musicalement irréprochable, dramatiquement irrésistible, poétiquement dense et sensible, raffinée et noire.
Ce qui est appréciable et même délectable dans cette partition, c’est l’extrême recherche dans l’expression amoureuse.
Sur l’île de la magicienne Alcina, se heurtent les cœurs en bataille. Toutes les émotions les plus subtiles de la passion amoureuse offrent une palette inouïe, expressionniste et déjà romantique. Tout chevaliers et magiciennes que soient les héros ici réunis, Vivaldi se plait visiblement à décrire la souffrance et la solitude profonde, sans recours, d’Alcina et du personnage central, Orlando, lequel donne le titre à l’opéra : « furioso » c’est-à-dire en proie à la plus noire des folies destructrices. La musique quant à elle, impose à force d’analogies climatiques et liquides – la mer et les métaphores océanes sont nombreuses- une atmosphère oppressante où les vapeurs de la magie vouent chacun à une sorte d’hypnose vénéneuse.
Voilà planté le décor. Sur le plan éditorial, au sein de cette édition vivaldienne qui a clairement annoncé ses ambitions – intégralité et excellence -, nous tenons là, l’une des meilleures réalisations lyriques, après La Vérità déjà citée, dirigée par un Spinosi du même crû, c’est à dire aussi survolté qu’articulé-, et aussi, aux côtés de L’Olimpiade revisitée par Rinaldo Alessandrini.
Sur l’île de la magicienne Alcina, se heurtent les cœurs en bataille. Toutes les émotions les plus subtiles de la passion amoureuse offrent une palette inouïe, expressionniste et déjà romantique. Tout chevaliers et magiciennes que soient les héros ici réunis, Vivaldi se plait visiblement à décrire la souffrance et la solitude profonde, sans recours, d’Alcina et du personnage central, Orlando, lequel donne le titre à l’opéra : « furioso » c’est-à-dire en proie à la plus noire des folies destructrices. La musique quant à elle, impose à force d’analogies climatiques et liquides – la mer et les métaphores océanes sont nombreuses- une atmosphère oppressante où les vapeurs de la magie vouent chacun à une sorte d’hypnose vénéneuse.
Voilà planté le décor. Sur le plan éditorial, au sein de cette édition vivaldienne qui a clairement annoncé ses ambitions – intégralité et excellence -, nous tenons là, l’une des meilleures réalisations lyriques, après La Vérità déjà citée, dirigée par un Spinosi du même crû, c’est à dire aussi survolté qu’articulé-, et aussi, aux côtés de L’Olimpiade revisitée par Rinaldo Alessandrini.
Située après La Vérità (1720) et les grands opéras créés à Rome : Ercole (1723), puis Giustino (1724), préludant au prochain chef-d’œuvre : Farnace (1727), Orlando Furioso incarne le génie lyrique du Prete Rosso, celui des années 1720, années miraculeuses où le compositeur vit les heures les plus glorieuses de sa carrière. Il est le violon de l’Europe et à ce titre artiste vénéré : pas un prince en séjour à Venise qui ne manquerait de l’entendre à La Piétà. Il règne sur les scènes italiennes en particulier à Venise (au Teatro San Angelo). Sa prééminence vit un temps de grâce car la concurrence des Napolitains n’est pas aussi vivace qu’elle le deviendra dans les années 1730.
Avec Orlando, Vivaldi donne le meilleur de sa propre furia dramatique. Si le canevas formel impose sa succession prévisible de recitatifs puis d’arias, Jean Christophe Spinosi sait capter les imperceptibles nuances musicales et vocales qui font d’Orlando une peinture fascinante de sensibilités individuelles. On est saisi par la profondeur des psychologies, la tendresse grave parfois désespérée des élans et des transports, l’amertume aussi des héros de L’Arioste, capables de clairvoyantes traversées dans l’abîme des passions humaines. Le chef nous dévoile une « maestrià » dans ce paysage du désenchantement poétique. Il perce avec justesse ce voile décoratif dont on pare souvent la musique du « gondolier » Vivaldi. Son théâtre est à la mesure de son œuvre instrumentale : hypersensible, expressionniste, déjà romantique par la noirceur fantastique de certains tableaux, d’une indéniable invention poétique.
Les coups d’archets fouettés, la nervosité glaçante de certains intermèdes précisent un Vivaldi transcendé par la scène amoureuse visiblement inspiré par les tumultes de L’Arioste. Les héros tombent leur masque et déploient dans le chant et la musique des prodiges d’émotivité : une Alcina manipulatrice et carnassière (finalement plutôt seule), une Angelica limpide et gracieuse, un Ruggiero et un Medoro, tendres et fidèles, ne laissent pas de nous conduire dans les affres de l’insatisfaction amoureuse où les élans tendres (duo Angelica et Medoro) sont rares et les aveux amers, plus familiers (Alcina). Les deux scènes de folie d’Orlando brossent une irruption fascinante où le fantastique le dispute au registre héroïque.
L’atout Spinosi, c’est aussi (et surtout), outre l’engagement -animal et complice, survolté ou murmuré- de son orchestre, un plateau vocal des plus homogènes. A part Angelica, diamant étincelant de l’amour le plus tendre (Veronica Cangemi indiscutable), rugissent ici plusieurs tigres aux voix sombres : évidemment l’Orlando de l’alto québécoise, Marie-Nicole Lemieux ; charnelle et douloureuse, l’Alcina de la mezzo Jennifer Larmore, mais aussi Medoro et Bradamante stupéfiants grâce à deux mezzos absolument rayonnantes, malgré le grain du timbre opulent dans la gravité : Blandine Staskiewicz et Anne Hallenberg dont le chant est un modèle d’articulation. C’est presque si, parfois, le Ruggiero de Philippe Jaroussky semble en comparaison, un peu fluet.
Les coups d’archets fouettés, la nervosité glaçante de certains intermèdes précisent un Vivaldi transcendé par la scène amoureuse visiblement inspiré par les tumultes de L’Arioste. Les héros tombent leur masque et déploient dans le chant et la musique des prodiges d’émotivité : une Alcina manipulatrice et carnassière (finalement plutôt seule), une Angelica limpide et gracieuse, un Ruggiero et un Medoro, tendres et fidèles, ne laissent pas de nous conduire dans les affres de l’insatisfaction amoureuse où les élans tendres (duo Angelica et Medoro) sont rares et les aveux amers, plus familiers (Alcina). Les deux scènes de folie d’Orlando brossent une irruption fascinante où le fantastique le dispute au registre héroïque.
L’atout Spinosi, c’est aussi (et surtout), outre l’engagement -animal et complice, survolté ou murmuré- de son orchestre, un plateau vocal des plus homogènes. A part Angelica, diamant étincelant de l’amour le plus tendre (Veronica Cangemi indiscutable), rugissent ici plusieurs tigres aux voix sombres : évidemment l’Orlando de l’alto québécoise, Marie-Nicole Lemieux ; charnelle et douloureuse, l’Alcina de la mezzo Jennifer Larmore, mais aussi Medoro et Bradamante stupéfiants grâce à deux mezzos absolument rayonnantes, malgré le grain du timbre opulent dans la gravité : Blandine Staskiewicz et Anne Hallenberg dont le chant est un modèle d’articulation. C’est presque si, parfois, le Ruggiero de Philippe Jaroussky semble en comparaison, un peu fluet.
Voici donc un cd plus que recommandable : une sublime révélation qui quoiqu’en disent les plus sceptiques en particulier à l’endroit des visuels de couverture (qui seraient photographiquement « aussi léchés que creux »), nous plonge dans le laboratoire vivaldien le plus hallucinant, captivant par ses éclairs poétiques, émouvant par sa vérité et sa finesse psychologique.
Vivaldi: Orlando Furioso RV 728 – dramma per musica in tre atti. Libretto di Grazio Braccioli. Créé en 1727, teatro San Angelo à Venise. Tesori del Piemonte, Vol. XXIV.
Avec : Marie-Nicole Lemieux (Orlando), Jennifer Larmore (Alcina), Veronica Cangemi (Angelica), Philippe Jaroussky (Ruggiero), Lorenzo Regazzo (Astolfo), Ann Hallenberg (Bradamante), Blandine Staskiewicz (Medoro). Chœur « les éléments », direction : Joël Suhubiette. Ensemble Matheus, direction musicale : Jean-Christophe Spinosi. 3 CDs Naïve, réf : 30 393.
Avec : Marie-Nicole Lemieux (Orlando), Jennifer Larmore (Alcina), Veronica Cangemi (Angelica), Philippe Jaroussky (Ruggiero), Lorenzo Regazzo (Astolfo), Ann Hallenberg (Bradamante), Blandine Staskiewicz (Medoro). Chœur « les éléments », direction : Joël Suhubiette. Ensemble Matheus, direction musicale : Jean-Christophe Spinosi. 3 CDs Naïve, réf : 30 393.