jeudi 8 mai 2025

Vincennes. Château, les 25 et 26 juin 2010. Georges Bizet : Carmen. Sophie Pondjiclis / Juliette Mars, Eric Salha / Marc Haffner… Paul-Emmanuel Thomas, direction. Manon Savary, Patrick Poivre d’Arvor, mise en scène

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Belle Carmen de plein air

Pour sa dixième édition, le festival Opéra en Plein Air aborde un chef d’œuvre de l’opéra français : Carmen. Après le Parc de Sceaux, Chambord, Champ de Bataille, la production fait halte dans la cour du château de Vincennes, face à la Sainte Chapelle, un décor somptueux qui n’est pas pour rien dans l’atmosphère particulière qui baigne les deux soirées auxquelles nous avons assisté.
La mise en scène, signée Manon Savary et Patrick Poivre d’Arvor, fou d’opéra depuis toujours, se révèle simple et évocatrice, grouillante de vie, avant tout pratique pour les voyages au sein de la tournée. Elle n’évite pas une certaine pompe dans les défilés précédant la corrida finale, mais peut-on vraiment y échapper dans une production en plein air, dans un vaste espace ?
Toujours est-il que tous les éléments fonctionnent parfaitement, jusqu’aux grands mouvements de foules du troisième acte, celui des contrebandiers.
Musicalement, les deux distributions réunies ici font montre d’une belle homogénéité. Nous ne commenterons en détail que la seconde, ayant été placés relativement loin de la scène le premier soir, et n’ayant de ce fait pu juger des voix qu’à travers la sonorisation au spectre sonore quelque peu étriqué qui permettait aux chanteurs de se faire entendre. Ainsi, sur la première distribution, nous n’émettrons que des suppositions. Sophie Pondjiclis, habituée du rôle de Marceline dans les Noces de Figaro, fait grande impression dans le rôle de Carmen, étalant un timbre somptueux, d’une grande homogénéité, et une belle élégance musicale, jusque dans des graves abyssaux et parfaitement timbrés dans la scène des cartes. Son Don José, Eric Salha, démontre une belle vaillance et des aigus sûrs, mais semble peu nuancer son chant. L’Escamillo du canadien René Laryea parait fruste et sans noblesse, et l’émission vocale semble très engorgée, alors que la charmante Boram Lee donne une interprétation crédible de la fragile Micaëla, joliment colorée.
Placés tout près de la scène le lendemain, nous avons pu bien mieux goûter les voix, et surtout apprécier pleinement l’engagement scénique total de tous les protagonistes et la force d’incarnation particulière de certains d’entre eux. Saluons bien bas la prise de rôle flamboyante de la jeune mezzo Juliette Mars dans le rôle-titre. Non seulement le personnage de la cigarière est pleinement assumé vocalement, parfois jusqu’à la démesure – et toutes les notes sont là, assurées, colorées par le timbre chaud et rougeoyant de la chanteuse –, mais il est incarné, vécu, habité pleinement, figure brûlante d’une belle interprète et d’une grande actrice, dans une conception traditionnelle du rôle, sensuelle et séductrice, une vraie tigresse.
En Don José, Marc Haffner se montre galvanisé par une telle partenaire. Si la voix semble fatiguée, voire même forcée dans l’aigu – mais la sonorisation paraît le gêner terriblement –, ces défauts sont amplement rachetés par le musicien, d’une grande finesse dans sa caractérisation vocale. Le comédien dépeint son personnage de même manière, très intériorisé, retenu jusque dans sa jalousie, sans jamais en faire trop. Et c’est dans la scène finale qu’il éclate littéralement, éclaboussant la scène de son désespoir. Cette confrontation entre sa Carmen et lui, au-delà du chant, ce sont littéralement deux bêtes féroces qui s’affrontent, deux incarnations à la limite de l’animalité, d’une grande puissance dramatique, faisant passer un frisson à travers le public.

Escamillo de rêve: Matthieu Lécroart

Avec Matthieu Lécroart, nous retrouvons l’esprit du chant français dans toute sa noblesse – merveilleusement opposé à l’énergie brute du couple maudit –, un Escamillo d’un raffinement comme il ne nous en a encore jamais été donné d’en entendre. Le timbre est toujours somptueux, magnifié par une technique d’une rare perfection et colorant un texte merveilleusement ciselé par une diction superlative. Même sa célébrissime chanson se pare de couleurs nouvelles, tant elle est nuancée et déployée avec art. Mais, à notre sens, le sommet de son incarnation se situe dans le troisième acte, lorsqu’il hypnotise Carmen par son charme et celui de sa voix. Rarement on aura aussi bien compris l’attirance irrésistible qu’il exerce sur la bohémienne. Le velours de sa voix ainsi que le legato moiré qu’il déroule dans cette scène sont un ravissement, et nous font entrevoir quel splendide Posa il pourrait être. Un immense Escamillo, sans conteste le plus beau depuis bien longtemps, et la révélation, toujours renouvelée, de l’art de ce baryton, sans doute l’un des plus accomplis de notre époque.
Jolie Micaëla de Hye Myung Kang, se tirant avec les honneurs de son air redoutable et faisant sonner de beaux aigus, brillants et sûrs.
Très crédible quatuor des contrebandiers, avec une mention spéciale pour les deux Frasquita, Sabine Revault d’Allones et Norma Nahoun, toutes deux excellentes. Beau Zuniga d’Alain Herriau, à la couleur vocale toujours si particulière et séduisante, et Moralès parfaitement en situation d’Aurélien Pernay, à la voix bien timbrée.
L’orchestre, placé sous la scène, sonorisé du mieux possible, sonne efficace et tente de faire autant de musique qu’il est possible d’en faire dans ces conditions, et Paul-Emmanuel Thomas mène ses troupes avec fermeté, réussissant avec brio à éviter les décalages, une performance en soi.
Au final, deux belles soirées, avec une émotion particulière pour la seconde, aux émotions tellement plus sensibles.

Vincennes. Château de Vincennes, 25 et 26 juin 2010. Georges Bizet : Carmen. Livret de Henry Meilhac et Ludovic Halévy, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée. Avec Carmen : Sophie Pondjiclis / Juliette Mars ; Don José : Eric Salha / Marc Haffner ; Escamillo : René Laryea / Matthieu Lécroart ; Micaëla : Boram Lee / Hye Myung Kang ; Frasquita : Sabine Revault d’Allones / Norma Nahoun ; Mercédès : Alice Gregorio ; Zuniga : Alain Herriau ; Moralès : Aurélien Pernay ; Le Dancaïre : Marc Scoffoni ; Le Remendado : Lionel Muzin. Paul-Emmanuel Thomas, direction ; Mise en scène : Manon Savary et Patrick Poivre d’Arvor. Décors : Jean-Michel Adam ; Costumes : David Belugou ; Lumières : Philippe Lacombe.

Illustration: Matthieu Lécroart, divin Escamillo (DR)
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