Belle Carmen de plein air
La mise en scène, signée Manon Savary et Patrick Poivre d’Arvor, fou d’opéra depuis toujours, se révèle simple et évocatrice, grouillante de vie, avant tout pratique pour les voyages au sein de la tournée. Elle n’évite pas une certaine pompe dans les défilés précédant la corrida finale, mais peut-on vraiment y échapper dans une production en plein air, dans un vaste espace ?
Musicalement, les deux distributions réunies ici font montre d’une belle homogénéité. Nous ne commenterons en détail que la seconde, ayant été placés relativement loin de la scène le premier soir, et n’ayant de ce fait pu juger des voix qu’à travers la sonorisation au spectre sonore quelque peu étriqué qui permettait aux chanteurs de se faire entendre. Ainsi, sur la première distribution, nous n’émettrons que des suppositions. Sophie Pondjiclis, habituée du rôle de Marceline dans les Noces de Figaro, fait grande impression dans le rôle de Carmen, étalant un timbre somptueux, d’une grande homogénéité, et une belle élégance musicale, jusque dans des graves abyssaux et parfaitement timbrés dans la scène des cartes. Son Don José, Eric Salha, démontre une belle vaillance et des aigus sûrs, mais semble peu nuancer son chant. L’Escamillo du canadien René Laryea parait fruste et sans noblesse, et l’émission vocale semble très engorgée, alors que la charmante Boram Lee donne une interprétation crédible de la fragile Micaëla, joliment colorée.
En Don José, Marc Haffner se montre galvanisé par une telle partenaire. Si la voix semble fatiguée, voire même forcée dans l’aigu – mais la sonorisation paraît le gêner terriblement –, ces défauts sont amplement rachetés par le musicien, d’une grande finesse dans sa caractérisation vocale. Le comédien dépeint son personnage de même manière, très intériorisé, retenu jusque dans sa jalousie, sans jamais en faire trop. Et c’est dans la scène finale qu’il éclate littéralement, éclaboussant la scène de son désespoir. Cette confrontation entre sa Carmen et lui, au-delà du chant, ce sont littéralement deux bêtes féroces qui s’affrontent, deux incarnations à la limite de l’animalité, d’une grande puissance dramatique, faisant passer un frisson à travers le public.
Escamillo de rêve: Matthieu Lécroart
Jolie Micaëla de Hye Myung Kang, se tirant avec les honneurs de son air redoutable et faisant sonner de beaux aigus, brillants et sûrs.
Très crédible quatuor des contrebandiers, avec une mention spéciale pour les deux Frasquita, Sabine Revault d’Allones et Norma Nahoun, toutes deux excellentes. Beau Zuniga d’Alain Herriau, à la couleur vocale toujours si particulière et séduisante, et Moralès parfaitement en situation d’Aurélien Pernay, à la voix bien timbrée.
L’orchestre, placé sous la scène, sonorisé du mieux possible, sonne efficace et tente de faire autant de musique qu’il est possible d’en faire dans ces conditions, et Paul-Emmanuel Thomas mène ses troupes avec fermeté, réussissant avec brio à éviter les décalages, une performance en soi.
Au final, deux belles soirées, avec une émotion particulière pour la seconde, aux émotions tellement plus sensibles.
Vincennes. Château de Vincennes, 25 et 26 juin 2010. Georges Bizet : Carmen. Livret de Henry Meilhac et Ludovic Halévy, d’après la nouvelle de Prosper Mérimée. Avec Carmen : Sophie Pondjiclis / Juliette Mars ; Don José : Eric Salha / Marc Haffner ; Escamillo : René Laryea / Matthieu Lécroart ; Micaëla : Boram Lee / Hye Myung Kang ; Frasquita : Sabine Revault d’Allones / Norma Nahoun ; Mercédès : Alice Gregorio ; Zuniga : Alain Herriau ; Moralès : Aurélien Pernay ; Le Dancaïre : Marc Scoffoni ; Le Remendado : Lionel Muzin. Paul-Emmanuel Thomas, direction ; Mise en scène : Manon Savary et Patrick Poivre d’Arvor. Décors : Jean-Michel Adam ; Costumes : David Belugou ; Lumières : Philippe Lacombe.