Prestige et finesse
Le rendez-vous cathodique le plus suivi au monde et qui fait du premier jour de chaque nouvelle année, un grand moment de musique classique et symphonique, a relevé le défi de ce nouvel opus 2011.
C’est la 53è édition consécutive du Concert du Nouvel, dans cette formulation si bien huilé. Qui allie, en Eurovision, devant plusieurs dizaines de millions de spectateurs, ballet (parfois décoratif) et surtout perfection orchestrale.
Au départ le chef autrichien, Franz Welser-Möst dirige à peine, laissant dès la pièce d’ouverture (marche des cavaliers de l’opérette Simplicius qu’il a lui-même récemment découvert), les membres de l’Orchestre mythique, épanouir la liberté du geste, l’aisance des respirations, l’ampleur d’un jeu et d’un style mondialement célébrés, que toutes les formations veulent égaler.
Puis peu à peu, le maestro invité, ex directeur musical de l’Opéra de Zürich, et aujourd’hui directeur musical de l’Opéra de Vienne (en poste depuis septembre 2010) et aussi de l’Orchestre Symphonique de Cleveland (depuis 2002), impose sa marque: nervosité, dramatisme, surtout respect de cette délicatesse pour un sonorité idéalement fondue, aérienne, égrenant sans sentimentalité (ce qui serait si facile) légèreté et nostalgie des valses viennoises.
Tradition (ballet à l’appui quoique un peu régénéré par la présence des Français), mais aussi (surtout), grâce instrumentale et même annonces célébratives opportunes (présence de Liszt) ont relevé le niveau de ce Concert du Nouvel An, sous la direction du « jeune » chef quinquagénaire: née en 1960, il a tout juste 50 ans. Les membres du Wierner Philharmoniker sont aussi instrumentistes à l’Opéra: chef et musiciens se connaissent donc, et leur entente s’entend immédiatement.
Hommage au hongrois Liszt
Le clou du programme reste cet hommage très bienvenu et idéalement introduit à Franz Liszt dont 2011 marque le bicentenaire de la naissance. Les spectateurs qui suivaient le concert en direct via les caméras de la chaîne autrichienne ORF ont pu simultanément à la musique découvrir la maison natale du compositeur (vues extérieures principalement et buste de rigueur), situé à Raiding aujourd’hui dans le Burgenland autrichien (à l’époque de Liszt en Hongrie). Le territoire est aussi celui de Haydn: le compositeur contemporain de Mozart y a fait toute sa carrière au service des prince Esterhazy (à Eisenstatd) dont le père de Liszt était aussi l’employé.
Jouer donc la Mephisto Walz de Liszt dans un programme ordinairement dédié à la valse polka , aux csardas et mazurkas symphoniques, est une audace commandée par l’actualité (bicentenaire de la naissance de Liszt en 2011) mais aussi légitime si l’on consulte l’histoire musicale: le père de Johann Strauss II, grand admirateur de Liszt, de l’homme autant que de l’artiste, composa de fait une partition hommage: galop d’après Liszt (Furioso Galop opus 114, composé en 1867)), que joue Franz Welser-Möst avant d’entamer la Mephisto Walz. C’est un grand luxe d’écouter au service du Liszt libre et défricheur, révolutionnaire et audacieux, une telle sonorité et une telle finesse instrumentale. Welser-Möst architecture, sculpte un chef-d’oeuvre dramatique, semé d’éclairs et de traits diaboliques, tout en soulignant ce souci de la couleur et du timbre que le Hongrois, lui-même grand admirateur de Berlioz, a hissé au sommet. La Mephisto Valse séduit immédiatement par son entrain farouche, la solidité de l’allant, la franchise de la sonorité: c’est le grand moment de ce programme (qui contraste avec les épisodes plus sirupeux du style Viennois, en particulier, ceux chorégraphiés avec la coopération du Ballet de l’Opéra de Vienne).
Viennoiseries musicales
Justement les partisans de la tradition auront apprécié ces décors naturels pour les ébats des danseurs du Ballet de l’Opéra: couples aux poses ciselées, d’un romantisme bien poussiéreux et sucrés (plus proches de Barbara Cartland que de Berlioz ou de Liszt), mais dans des décors naturels dont la beauté (enneigée) milite pour la richesse patrimoniale et touristiques de l’éternelle Autriche.
Les amateurs de vieux chromos auront aussi aimé en conclusion les désormais incontournables tubes du Concert du Nouvel An, et qui scellent aussi la primauté des deux Johann I et II, représentants indétrônés d’une dynastie miraculeuse pour l’excellence viennoise: Le Beau Danuble Bleu (1867) du fils puis La Marche de Radetsky du père (où le public peut frapper des mains l’entrain endiablé de la Marche triomphante).
L’intelligence du chef invité en 2011 sait compléter notre panorama musical des oeuvres des Johann père et fils mais aussi des deux frères de Johann II, Josef (mort trop jeune en 1870), génie de la Polka et de leur frère Edouard (mort en 1916) dont la passion pour les chemins de fer a inspiré des galops enfiévrés.
En prime, certaines réalisations du Ballet de l’Opéra sont réglées par le danseur français: Jean-Guillaume Bart, ex étoile à l’Opéra national de Paris (Polka de Josef Strauss), comme Manuel Legris que le nouveau directeur de l’Opéra de Vienne, également français, Dominique Meyer, a convié pour piloter la nouvelle direction chorégraphique de l’institution viennoise. 2011 confirmerait-il une nouvelle orientation du Ballet Viennois? C’est assurément aux côtés de la perfection orchestrale, que la danse, si kitsch depuis des années, comme régénérée dans sa forme, pourrait réactualiser et renouveler l’événement Viennois. Grand concert et programme copieux autant que pertinent. Malgré ses volets mièvres, qui cependant font partie du jeu et du rituel, le cru 2011 est donc une totale réussite.
Vienne et son légendaire Philharmoniker restent inégalés pour la célébration du Nouvel An, même si Arte, à quelques heures près, diffuse aussi en direct « son » rendez-vous lui aussi annuel, en direct de La Fenice de Venise… sous la direction de Daniel Harding, chef invité en 2011.
Vienne. Grande salle du Musikverein, le 1er janvier 2011. Concert du Nouvel An 2011. Johann Strauß : Reiter-Marsch, op. 428, Donauweibchen. Walzer, op. 427, Amazonen-Polka, op. 9, Debut-Quadrille, op. 2 .
Josef Lanner : Die Schönbrunner. Walzer, op. 200. Johann Strauß : Muthig voran! Polka schnell, op. 432, Csárdás aus « Ritter Pasman », Abschieds-Rufe. Walzer, op. 179, Furioso-Galopp nach Liszt’s Motiven, op. 114. Franz Liszt : Mephisto-Walzer I. Josef Strauß: Aus der Ferne. Polka mazur, op. 270. Johann Strauß: Spanischer Marsch, op. 433. Joseph Hellmesberger: Zigeunertanz aus « Die Perle von Iberien »
Johann Strauß Vater: Cachucha-Galopp, op. 97. Josef Strauß : Mein Lebenslauf ist Lieb und Lust. Walzer, op. 263. Johann Strauss II: Le Beau Danube Bleu. Johann Strauss I: La marche de Radetsky. Orchestre Philharmonique de Vienne. Wiener Philharmoniker. Franz Welser-Möst, direction.
Le dvd et le cd du Concert du Nouvel An à Vienne sous la direction de Franz Welser-Most est déjà annoncé début janvier 2011 chez Decca. Prochaines critiques développées sur classiquenews.com