Claire-Marie Le Guay joue les « vertiges » de Liszt
L’année du bicentenaire Franz Liszt (né en 1811) commence très bien. Après un excellent cd signé Roger Muraro, dévoilant outre quelques extraits des Années de Pèlerinage et Vallée d’Obermann, la transcription par Liszt de La Symphonie Fantastique de Berlioz (1834), la pianiste française Claire-Marie Le Guay
complète notre connaissance du Liszt virtuose du piano et chantre des
mondes parallèles, à la charnière des années 1840/1850. Son nouvel album
intitulé « Vertiges » confirme ses affinités avec le chantre de Weimar.
Au programme, élans et passions d’Après une lecture de Dante (Années de Pèlerinage, 2è année: l’Italie), Deuxième Ballade (flots impétueux touchés par l’illumination), surtout Sonate en si mineur, monument du piano romantique… Lecture ardente et suggestive, au diapason du mysticisme poétique de Liszt, … Claire-Marie Le Guay exprime l’amplitude des climats, la force et la poésie des images convoquées: la pianiste ouvre d’étonnantes perspectives, l’engageante modernité de ce Liszt unique et singulier, prophète en modernité…
C’est la confirmation d’affinités déjà remarquées dans un disque des débuts où la jeune pianiste abordait Liszt à 19 ans (Etudes d’exécutions transcendantes), avec une grâce naturelle et un jeu suggestif jamais surligné ni appuyé capable d’exprimer les chants supérieurs, métaphysiques et visionnaires d’un Liszt qui joue du piano comme il parle…
Claire Marie Le Guay souligne l’admirable et atypique architecture prophétique de la Sonate en si (1853): véritable pont entre la modernité romantique et l’avant garde à venir… Un cycle de visions inédites, vertiges musicaux jamais portés jusque là, qui font entendre Tristan bien avant Wagner, et se termine dans le silence, une atténuation à peine audible qui ouvre définitivement les portes de la poésie pure. La pianiste ourle, caresse, tempête aussi, capable d’éclairer la part du prophète et l’ensemble des harmonies mystérieuses faites de géniales prémonitions.
La modernité atypique de la Sonate qui fut dédiée à Schumann, compose bien la clé de voûte de ce programme maîtrisé.
Liszt ose des dialogues nouveaux entre littérature et musique par le filtre subjectif, rétrospectif de lectures remémorées: ainsi, Après une lecture de Dante, Fantasia quasi Sonata de 1849, qui réactive le cheminement vécu en Italie (Années de Pèlerinage, 2è année). Claire-Marie Le Guay en détache le souffle symphonique, ce dramatisme des contraires, enfer et paradis à la fois, où après s’être jeté, immergé dans le trouble le plus terrifiant, le héros-compositeur reste, malgré tout, -tentations, facilités,…- dans la lumière, inéluctable droiture musicale qui émerge progressivement, atteignant les éthers de la Rémission. Tout Liszt est là aussi: dans cette errance terrestre et affligée, jusqu’aux cimes du salut enfin trouvé et conquis de haute lutte. En si mineur et de la même date (1853), la Ballade anime les mêmes contraires avec ce ton nouveau, libéré, de l’improvisation: Liszt est bien ce défricheur, conquérant de nouveaux mondes. Il en ressent l’inquiétante et pénétrante marche. Superbe album qui confirme le tempérament lisztéen de la pianiste française.
« Vertiges ». Franz Liszt: Après une lecture de Dante
(1849), Sonate pour piano en si mineur (1853), Ballade n°2 en si mineur
(1853). Claire-Marie Le Guay, piano. 1 cd Accord.
agenda
Claire-Marie Le Guay joue au concert le programme de son disque Liszt: » Vertiges », le 28 mars 2011 à l’Athénée Louis Jouvet (Paris). La pianiste est aussi à l’affiche de la prochaine Folle Journée de Nantes, (5 concerts le 2 et 6 février 2011).