Les plaisirs de l’île Enchantée
Peu de lieux réunissent, comme le Château de Versailles autant d’atouts pour faire rêver le public. Ils ont su conserver au cours des siècles un pouvoir d’attraction fait de rêves et de fastes. Mais alors que ce lieu s’était endormi pendant plusieurs siècles, depuis quelques temps, tous les arts s’y trouvent à nouveau réunis. Pour ne pas en faire qu’un musée et ressusciter cette part de rêve, qui l’anima aux XVIIe et XVIIIe siècles, des événements d’une grande diversité et qui parfois font controverses sont organisés, créant une dynamique jubilatoire. Parmi ces événements un festival de musique classique à la programmation d’une réelle splendeur…
C’est à une soirée enthousiasmante, riche en surprises, que le château a convié le public en cette soirée du 22 juin. En commençant par un concert qui un peu comme au temps des souverains qui ont fait construire le château, lui a permis d’apprécier cet instant très particulier dans la journée du Roi, où sa musique résonnait durant son souper. Mais pour entendre les couleurs de ce temps passé, il a d’abord fallu redonner vie aux instruments qui composaient l’orchestre royal, et tout particulièrement les Vingt-quatre violons du Roi.
Au cœur de ce festival d’été consacré à Haendel, Versailles Spectacles et le Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV) se sont associés pour un concert hors norme dédié à ces instruments qui ont pu revoir le jour en 2008 grâce au Centre et à la passion commune de deux luthiers, Antoine Laulhère et Giovanna Chittó et du violoniste qui dirige l’orchestre ressuscité, Patrick Cohën-Akenine.
Pourquoi hors norme ? Parce que l’Académie des vingt-quatre violons du Roi, est tout juste née.
Quarante jeunes musiciens venant de toute l’Europe (Royal College of Music de Londres, du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris et du Conservatoire d’Orsay) sont formés par Patrick Cohën-Akenine et Sir Roger Norrington qui les dirigeront à tour de rôle durant la tournée qui fait partie de leur formation.
L’Académie des Ving-Quatre Violons du Roi
La Galerie des Batailles faisant salle comble les a accueillis avec beaucoup de générosité. Tout le programme de ce soir, nous invitait à nous laisser surprendre. Et ce fut le cas dès notre entrée dans cette salle un peu « vieillote » et bourgeoise que l’on doit à Louis – Philippe. Et ce grâce aux surprenantes et luxuriantes suspensions de l’artiste portugaise contemporaine Joana Vasconcelos qui invitent par leur note d’humour, chacun de nous à retrouver un peu de son âme d’enfant. Certaines œuvres exposées nous ont fait penser aux somptueux harnachements des éléphants des maharajas.
L’Académie d’orchestre des vingt-quatre violons du Roi, nous proposait le cœur même du répertoire de ces instruments: les musiques des soupers du Roi.
Entre des extraits de pièces instrumentales des opéras de Jean-Baptiste Lully, Henry Desmarest, Marin Marais et André Campra, et des Symphonies pour les Soupers du Roi de Michel-Richard De Lalande, c’est tout un répertoire, d’une grande richesse et d’une grande difficulté d’exécution qui nous font goûter la luxuriance des couleurs de l’orchestre de Louis XIV.
Et si le trac bien compréhensible des jeunes artistes généra parfois quelques fautes et en particulier un manque de justesse des vents et d’une des deux trompettes, on ne saurait en vouloir à ces jeunes musiciens qui ont fait preuve de beaucoup de fougue et d’une joie communicative dans leur interprétation. Leur plaisir à prendre en main ces instruments était visible dans leurs sourires et les regards un peu timides qu’ils adressaient au public aux moments des applaudissements.
Les couleurs étaient bien là, ainsi que certaines nuances très subtiles. Certaines pièces ont été parfaitement rendues dans leur élégance ou leur splendeur.
Le Prélude pour le Sommeil de Henry Desmarest (qui n’a eu à souffrir que de l’indélicatesse d’un moucheur peu discret et des sonneries intempestives de certains portables), ainsi que la Symphonie du Sommeil de Marin Marais ont été des instants exquis, plein de grâce. Dans les extraits de Tancrède nos jeunes musiciens, sont très à l’aise et la Gigue, bien rythmée et dansante à souhait.
Ce grand orchestre de 40 musiciens a bénéficié de la direction attentive de Patrick Cohën-Akenine, qui nous a offert un duo enchanteur avec le clavecin, dans les pièces De Lalande.
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Visionner notre reportage sur la reconstitution des Vingt-Quatre Violons du Roi: aspérités, couleurs, parties d’origine nouvellement restituées (festival de Sablé 2008). La Bande royale est composée de 24 violons: 6 violons, 6 basses, et en une partie intermédiaire, un ensemble restitué de 3 groupes d’instruments: 4 haute contre, 4 tailles, 4 quinte de violons.
Le public qui ne s’est pas trompé quant aux qualités de cet ensemble lui a fait un triomphe bien mérité. Après la musique du Roi Soleil, nous étions donc invités à poursuivre la soirée, à l’extérieur, tout là-bas vers l’horizon, aux pieds du Grand Canal.
Féerie sur le grand canal
Versailles Spectacles a inauguré l’année dernière une nouvelle formule pour les fêtes de nuit dans les jardins. Et celle-ci, se révèle être une source de féerie, telle qu’on en rêvait pour ces lieux depuis les fêtes qu’ils connurent sous le règne de Louis XIV. Après la musique de la Sérénissime et du brillant Vivaldi l’année dernière, c’est celle du Caro Sassone qui cette année à Versailles fait miroiter le parc des mille et une lumières de la nuit. Les Water Music et Fireworks Music illustrent grâce à une sonorisation de très grande qualité, ces fêtes de l’eau et du feu.
Cette musique de Haendel conçue pour ce type d’occasion trouve ici un écrin idéal. Composées pour le Roi d’Angleterre, les premières en 1717 à l’occasion d’une fête et les secondes en 1749 pour célébrer la paix d’Aix la Chapelle, ce sont des musiques faites pour l’extérieur. Elles mettent en valeur les instruments à vent et les percussions et peuvent donc non seulement résister au bruit d’explosions provoqués par les feux d’artifices, mais amplifier le sentiment de liesse triomphale qui les accompagne. Car ici tout s’associe à la musique pour créer la magie. Artificiers, fontainiers, acrobates, techniciens du Groupe F font disparaître les fils de l’illusion, rendant celle- ci tellement réelle qu’elle nous emporte dans sa folie.
Tandis que la nuit se fait douce et que chacun prend place dans les gradins, des lucioles de lumière parcourent les arbres, virevoltant avec une agilité diabolique, s’évanouissant au milieu des étoiles qui commencent à poindre. Nous ne le savons pas encore, mais nous allons connaître une heure de feu d’artifices d’une virtuosité étourdissante, d’éclairages au laser d’une somptueuse créativité, de projections, de batailles navales faites d’humour et de feu. Tout cela crée un sentiment de rêve auquel le public de tout âge s’abandonne avec une joie, mêlée parfois de « craintes » au bruit des explosions provoquées par les feux d’artifices. Pas de doute, le Groupe F qui conduit ses fêtes possède un sens de la fantasmagorie baroque, qui nous permet de vivre ce véritable enchantement, qui ne peut que nous rappeler la légendaire mais toujours vivante dans les esprits, fête des Plaisirs de l’Île enchantée que connurent ces lieux en 1664.
Peu de sons et lumières offre ainsi un spectacle aussi féerique, il faut dire que le décor des jardins de Versailles y participe. Mais encore faut-il savoir avec autant d’intelligence et de goût, le mettre en valeur. Ce spectacle royal est à découvrir absolument. Il vous permettra le temps d’une soirée de vivre en un autre temps, loin de toute préoccupation. Tandis qu’en remontant le Tapis Vert en direction du château illuminé, nous nous laissons enivrer par le parfum des tilleuls que nous apporte un doux vent du sud et le chant des grillons, nous ne pouvons nous empêcher de savourer la nuit, un sommeil qui s’annonce aussi doux que les symphonies qui nous l’ont annoncé en début de soirée.
Versailles, Galeries de Batailles, le 22 juin 2012. Les vingt-quatre violons du Roi, l’orchestre de Versailles. Jean-Baptiste Lully (1632 – 1687) : Armide (ouverture, Entrée, Menuet I & II, airs en sourdines, Passacaille), ; Henry Desmarest (1661 -1741) : Circé (Prélude pour la Nymphe de la Seine, Menuet I & II, Prélude pour le Sommeil, Gigue) : Marin Marais (1656-1728) : Ariane & Bacchus (Ouverture, Air pour les Matelots, Symphonie du Sommeil, Entrée pour les Démons, airs de trompettes, Air pour la descente de la Gloire, Chaconne) ; André Campra (1660-1744) : Tancrède (Prélude, Menuet, Gigue, Air des Amazones, Marche, Sarabande, Rondeau) ; Michel-Richard de Lalande (1657-1726) : Extraits de la « Suite n°5 » des Symphonies pour les Soupers du Roi (Ouverture, Air I & II, Grande Pièce royale). Académie des vingt-quatre violons du Roi, Patrick Cohën-Akenine, direction et violon
Versailles, Grand Canal, le 22 juin 2012. Georg Friedrich Haendel (1685 – 1759). Water Music et Royal Fireworks Music. Par sonorisation