Parlons (hélas) des « maillons faibles »: ni l’Adorno de Marcello Giordani, ni surtout (dommage) la Maria de Adrianne Pieczonska n’ont la juvénile énergie de leurs personnages. Certes la soprano a du chien vocal mais ses aigus manquent définitivement de mesure, avec un vibrato incontrôlable: où est l’angélisme ardent de la fille de Simon? Et l’on peine aussi à croire à la jeunesse héroïque du ténor qui se fait un peu vieux pour le rôle… Et Placido Domingo? A contrario, le ténor presque septuagénaire en février 2010 (il vient alors de souffler ses 69 ans!) montre une intelligence musicale et psychologique, une gestion sidérante de sa voix, certes incomplète et usée, mais quel vérité et quel style toujours préservé dans ce chant humain et tendre, violent aussi et impérialement sage, donc lumineux pour un Boccanegra, modèle d’humanisme politique.
Dans le prologue, l’aplomb de James Morris (Jacopo Fiesco, rival haineux mais beau-père de Simon) ajoute à l’attrait de cette production visuellement classique mais prenante dramatiquement; ces lueurs de flambeaux, ces couloirs et corridors fermés insistent sur l’intrigue oppressante faite de manipulations et d’ombres menaçantes, de fantômes et de complots.
Justement le prologue est le meilleur moment, celui qui scelle le destin d’un capitaine plébéien… élu Doge de Gênes… Son ascension se réalisera dans la lumière mais à quel prix! Il perd la seule femme qu’il aimât jamais; vertueux et fraternel, le Politique se retourne contre celui, corrompu, qui avait œuvré pour son élection: Simon sera donc la proie de la vengeance de Paolo… Entre héroïsme malmené et acoups tragiques (Boccanegra devient doge au moment où il découvre le cadavre de celle qu’il aime: incroyable contraste de situation!), la partition relève de Shakespeare, immergeant le spectateur dans une action fantastique, passionnée et brutale (la scène du Conseil où Simon se fait héros du peuple)…
En février 2010, la réalisation New Yorkaise devance chronologiquement celle de Covent Garden (juillet 2010) où Domingo triomphe avec le même impact dramatique, fait de justesse et de vérité. Avouons notre préférence pour la production londonienne cependant, qui bénéficie pour le ténor principal d’un entourage vocal plus convaincant: Calleja en Adorno et Poplavskaya en Maria.
Nonobstant, verdien dans l’âme, Levine répond à l’investissement vocal de Placido Domingo qui est devenu baryton (il chante aussi Rigoletto): l’interprète rétablit cette équation vitale chez Verdi, entre chant et jeu dramatique. Acteur autant que chanteur, Placido Domingo est naturellement Simon, politique noble et léonin, père attendri et bouleversant…
Giuseppe Verdi: Simon Boccanegra. Placido Domingo, James Morris, Adrianne Pieczonska, Marcello Giordani… The Metropolitan Opera Chorus and Orchestra. James Levine, direction.