mardi 13 mai 2025

Venise. Scuola Grande di San Rocco. Samedi 17 avril 2010. Vanessa Wagner, pianoforte. Les Siècles. Nicolas Simon, direction

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Eclectisme romantique

Programme défricheur révélant plusieurs inédits, (dont le Concerto de Dubois en « recréation mondiale »), musiciens visiblement en phase et en complicité savoureuse, lieu unique (qui fonde la magie vénitienne)… ce nouveau concert du festival Le Piano Romantique, présenté dans la lagune par le Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, déploie à nouveau de superbes arguments. L’idée est d’offrir un aperçu des « programmes éclectiques » à la mode au XIXè sicèle, dans le Paris des années 1860.

Si en ouverture et en conclusion, les oeuvres choisies (Ouverture de La Muette de Portici d’Auber; Ouverture de Raymond de Thomas) composent un très beau lever de rideau puis un finale plein de panache et de contrastes expressifs, le coeur du programme permet de retrouver une artiste accomplie: Vanessa Wagner, au contrôle exemplaire et à la finesse de jeu d’autant plus délectable sur un instrument d’époque (pianoforte Erard 1902, – le même instrument que joua il y 3 jours Jean-Frédéric Neuburger pour le Quintette de Florent Schmitt, concert du 15 avril 2010 donné en ouverture du festival Le Piano romantique 2010).

Sa lecture du Concerto pour piano n°2 de Théodore Dubois (recréation mondiale) développe une langueur versatile d’une excellente fluidité qui fait sonner les climats si nombreux de la partition avec une cohérence exquise. L’approche évite la dilution (d’autant plus facile dans un style aussi éclectique) en soulignant chez Dubois qui fut élève de Thomas, et obtint le Prix de Rome en 1861, la facilité virtuose et coulante d’une écriture très claire, héritière de Saint-Saëns, et qui se souvient tout autant de Mendelssohn, Schumann, Brahms ou Franck…

Même dans la Ballade pour piano et orchestre opus 19 de Gabriel Fauré, c’est tout un monde flottant, à la fois diffus et harmoniquement si riche et raffiné qui se répand comme une toile de Monet tissé par un amour de la liquidité déjà debussyste… La pianiste enchante par la qualité claire et précise de sa digitalité; son art des nuances; sa complicité avec l’orchestre; surtout, son écoute de la sonorité propre de l’instrument. Ce jeu des équilibres et de la rondeur s’inscrit avec d’autant plus de naturel que la page de Fauré recherche le dialogue fusionnel permanent entre piano et orchestre. Un art de la couleur et de la palpitation collective dans l’un des temples de la peinture à Venise: sous le plafond peint par Tintoret, au premier étage de la Scuola grande di San Rocco, le raffinement et le souci du timbre comme des climats semblent être la clé unitaire des compositeurs français ainsi mis à l’honneur, spécialement Fauré et Dubois.

L’orchestre Les Siècles (formation fondée en 2003) relève ici le défi de la diversité des styles, d’autant que c’est l’un des violons du rang et également chef, qui remplace aux pieds levés, le maestro François-Xavier Roth. Nicolas Simon veille à l’équilibre des pupitres: sa direction soigne l’architecture, la progression mais aussi le relief des timbres, en particulier dans La Procession nocturne opus 6 de Henri Rabaud. Encore une oeuvre méconnue dont l’exigence de la couleur et des climats désigne l’élève de Massenet, qui décrocha le Prix de Rome en 1894. Le poème symphonique offre même une immersion cinématographique dans l’univers de la nuit (Rabaud est l’un des premiers musiciens à composer pour le cinéma muet) : inspiré du Faust de Lenau, la partition créée à Paris en 1899, a valeur de jalon dans l’histoire du poème symphonique. Les Siècles observent avec tact et nuances, les climats suspendus et inquiets de la première partie où Faust erre dépressif et solitaire, avant d’exprimer son impuissance à partager la foi des croyants qui passent devant ses yeux pour la Saint-Jean: la procession que l’orchestre exprime est une source d’insondable mélancolie. Davantage qu’une pièce descriptive, l’oeuvre saisit par son intensité, son souffle, sa construction : c’est assurément un chef-d’oeuvre méconnu dans l’histoire du romantisme symphonique.
Quoi de plus approprié que le sombre et lugubre Rabaud ici confronté aux toiles du Tintoret, apôtre des contrastes vertigineux où les Ténèbres semblent dévorés toute ambition humaine?

Venise. Scuola Grande di San Rocco. Festival Le pianoforte romantique. Samedi 17 avril 2010. Auber (1782-1871): La muette de Portici, ouverture. Gabriel Fauré (1845-1924): Ballade pour piano et orchestre en fa dièse majeur opus 19. Henri Rabaud (1873-1949): La procession nocturne, poème symphonique d’après Nicolas Lenau, opus 6. Théodore Dubois (1837-1924): Concertopour piano n°2 en fa mineur. Ambroise Thomas (1811-1896): Raymon, ouverture. Vanessa Wagner, pianoforte. Les Siècles.

Illustrations: Théodore Dubois, Henri Rabaud (DR)

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