mardi 6 mai 2025

Venise. Scuola Grande di San Rocco, dimanche 17 avril 2011. Bizet: Carmen (extraits, 1875). Victorin Joncières: Symphonie Romantique (1876). Gustave Charpentier: Didon (1888). Manon Feubel, soprano. Julien Dran, ténor. Marc Barrard, baryton

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Didon de braise

Après avoir dévoilé l’écriture stimulante de Victorin Joncières, vraie révélation de la soirée, le Palazzetto a choisi une autre cantate présentée pour le Prix de Rome, celle de Charpentier qui en 1887, contrairement à Velléda de Dukas de 1888, jouée quelques jours auparavant, sous la même voûte couverte de chefs d’oeuvres de Tintoret, a suscité les éloqges du Jury et couronnée par le premier Prix si convoité…

La Didon de Charpentier s’impose immédiatement par son raffinement formel… Une assimilation intelligente de Wagner dont il a compris l’œuvre structurante des leitmotives; une écriture puissante et là aussi très personnelle qui s’appuie, sur la connaissance de motifs combinables, leur énoncé respectif ne se révélant pleinement que dans leur imbrication totale… Thèmes de Didon, d’Énée, du destin (exprimé par la voix d’Anchise qui paraît ici sous sa forme spectrale, – et pour le coup très verdienne sur le plan de la vocalité-). La subtile construction élaborée par Charpentier, alors âgé de 27 ans, sait développer le nœud tragique dont l’amour des deux héros sortira … vaincu. Il faut écouter et réécouter la matière musicale de Didon pour souligner l’art de compositeur, mesurer son génie dramatique dès 1887. Le chant tout en souple volupté de la québécoise Manon Feubel (qui a chanté ce même programme la veille à Bruxelles) offre cœur, passion, radicalisme, … traits embrasés d’une âme amoureuse qui comprend peu à peu qu’en perdant Enée, elle se prépare à la mort. L’aplomb vocal emporte l’adhésion, et l’intonation sait se colorer peu à peu de splendides et dignes atours funèbres.

Un Symphoniste révélé: Victorin Joncières

La découverte majeure de ce concert reste la Symphonie « romantique »! de Victorin Joncières (1839-1903), critique musical dans les colonnes de La Liberté (1871-1900), proche de Franck et de Chabrier… Là où on prévoyait un développement commun voire ressassé, des citations plus ou moins bien intégrées, du flan symphonique réchauffé, s’est imposé un style et un tempérament « à part », d’une trempe indiscutable: on reste surpris par l’équilibre d’une écriture raffinée, personnelle, déterminée, volontaire, puissante: un style sans filiation évidente, et au regard de la « carrière » ,-ou précisément l’absence de carrière, et précisément de reconnaissance, surtout pas française. Car Joncières qui s’est rêvé d’abord peintre comme élève de Picot, se déclare compositeur, wagnérien convaincu et même militant (d’où une probable brouille avec son professeur au Conservatoire qui l’amène à quitter l’institution, et plus généralement à s’éloigner du milieu parisien).

Celui auquel on reproche une écriture sommaire de l’orchestre montre tout ce dont il est capable dans cette « Romantique » captivante qui mène au triomphe de son opéra Dimitri, composé également en 1876.

Un vrai sens du colorisme, une connaissance très précise des timbres, de leurs associations, du transfert d’un thème d’un pupitre à l’autre…

Un souci de l’architecture et de la continuité quasi organique avec une profondeur sincère qui évite le creux spectaculaire… Intimisme frappant sans chichi pour le mouvement lent; vitalité rythmée et très équilibrée du troisième mouvement qui mène sans rupture au final… la découverte se révèle majeure.

Jonquières se montre redevable certes aux germaniques… Mendelssohn, Schumann, surtout Wagner dont il est comme on l’a dit précédemment un partisan de la première heure. On y sent une vision qui a du tempérament dont la volonté des cuivres déclamées ici en somptueuse fanfare annonce Bruckner (en évitant l’emphase et la rusticité du génie de Linz), surtout Gustav Mahler…

Décidément, toute esthétique ou recherche musicale ne peut se développée sans relation directe ou indirecte avec l’Allemagne en particulier Wagner…

Mais le souffle de la construction, la caractérisation instrumentale favorisant les solos (très bien écrits) pour flûte, hautbois… désignent mieux qu’une habilité incisive: le concert ressuscite un maître véritable, ailleurs triomphateur à l’opéra, ici faisant évoluer notre connaissance d’un romantisme à la française. Très personnel, et donc sachant captiver.

Nous voici bien au cœur d’une renaissance, celle qui réinscrit désormais les opus symphoniques français dans un cycle complet, rétablissant la Fantastique de Berlioz (1830) et désormais, la Romantique de Joncières, 46 années plus tard, avec un tempérament qui ne s’est pas essoufflé.

Cohérence du programme

Outre la qualité des oeuvres présentées, saluons la cohérence du programme excellemment construit, passionnant même dans les filiations ou dialogues qu’il met en œuvre. Quelle bonne idée de commencer le concert par une espagnolade visionnaire: celle d’un Bizet ensoleillé, celui de Carmen (1875), rythmes dansants et enfiévrés qui claquent et ondulent, dont Hervé Niquet transmet le nerf, la fougue, une hyperactivité saine… et si directe. Cette santé méridionale qui a contrario des brumes dépressives de Wagner, a tant convaincu le dernier Nietsche, pèlerin déçu et plutôt critique face à « l’idéal » parsifalien.

Programmer Bizet (1875), puis Joncières (1876) montre le trait de génie du premier; la maîtrise indiscutable du second; augurons que la Symphonie Romantique (et si bien nommée), deviendra un emblème déclaré de l’offre et de la recherche défendues avec tant de justesse et de pertinence par le Palazzetto Bru Zane… Voici une proposition musicale aussi sous-estimée et réellement digne d’intérêt que peuvent l’être (pour l’amateur ou le connaisseur et amoureux du genre symphonique), les œuvres pour le coup plus germaniquement marquées du non moins talentueux Théodore Gouvy, unique symphoniste entre les deux cultures, française et germanique, de surcroît également présent dans la programmation de ce Festival de printemps proposé par le Palazzetto à Venise.

A Venise, enivrez-vous… au diapason romantique

L’heure n’est pas encore à une synthèse : le Palazzetto défriche, sélectionne… Les trésors que la recherche ainsi amorcée laissaient envisager… se précisent. De concerts en récitals, de nouvelles partitions sortent de l’ombre : après la sublime cantate pour le Prix de Rome de Paul Dukas (Velléda, 1888), la Symphonie romantique de Joncières est l’une des plus belles découvertes que nous ait offertes le Palazzetto depuis ses premières programmations (avec certainement les Symphonies du « Beethoven français »: Onslow, ou le sublime Quintette de Schmitt, d’ailleurs lui aussi très perméable à l’auteur de Parsifal!).

Découvertes splendides, lieux enchanteurs, interprètes engagés pour programmes exigeants: il faut venir désormais à Venise au moment du festival de musique romantique française proposé à trois reprises chaque année par le Palazzetto Bru Zane. A Venise, enivrez vous… au diapason désormais enchanteur du romantisme français: le Palazzetto Bru Zane mêle et d’une géniale façon, musique vivante ressuscitée et lieux où la peinture est souveraine.

Venise. Scuola Grande di San Rocco. Dimanche 17 avril 2011. Brussels Philharmonics. Hervé Niquet, direction.

Venise: festival Du
Second Empire à la Troisième République, Palazzetto Bru Zane, Centre de
musique romantique française, jusqu’au 5 juin 2011.
Toutes les infos, les réservations en ligne, dates, lieux et programmes précis sur le site du Centre de musique romantique française Palazzetto Bru Zane:

Illustrations: © M. Crosera 2011: Hervé Niquet dirige le Brussels Philharmonics, Manon Feubel chante Didon
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