festival le salon romantique à Venise
Joyaux chambristes de Duparc et Ropartz
Il y a quelques mois grâce au soutien du Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française, l’éditeur Mirare a pu éditer
un superbe disque dédié aux oeuvres concertantes de Théodore Dubois, où rayonnait le chant âpre, grave et lyrique du violoncelle, acteur virtuose et méditatif. « Révélation » en son temps, et l’une des meilleures réalisations discographiques portées par le Centre installé à Venise (avec l’excellent double album thématique dédié
aux musiques du prix de Rome de Gustave Charpentier), le disque coup de coeur de la rédaction cd de classiquenews.com souligne l’engagement du Palazzetto, cette saison, pour l’instrument qui à l’heure romantique, ne se limite pas aux seules oeuvres de Fauré, Saint-Saëns ou Lalo.
Le programme donné dans la salle de musique du Palazzetto ce 16 février en témoigne: jouer dans la continuité
les Sonates de Duparc, Fauré puis Ropartz souligne l’essor de cette école de violoncelle française qui s’impose sur la scène européenne depuis la fin XVIIIè, dans le sillon de Boccherini, avec Duport, Levasseur, Janson; égal au violon, le violoncelle fait alors le succès des concerts où ce commerce de la virtuosité recherche toujours l’excellence des grands instrumentistes virtuoses (Baudiot, Platel), avant que les violoncellistes français n’incarnent cette perfection tenue pour référence planétaire grâce au jeu des Franchomme, Servais, Chavillard. Quand Duparc, Fauré, Ropartz composent pour l’instrument, il s’agit donc d’une tradition déjà très ancienne ancienne où le souffle romantique a produit de nombreuses perles. Au Palazzetto, comme à son habitude, de nous en révéler la saveur oubliée.
Curieusement, et c’est toute la valeur de ce nouveau jeu de réévaluations surprenantes, ce n’est pas
la Sonate de Fauré (1917-1918) qui éblouit; même si l’andante centrale, très développé séduit par sa tendresse lumineuse et sa transe fervente qui exige une parfaite complicité entre les deux interprètes; de fait, le violoncelliste
Alexis Descharmes diffuse un beau tempérament fiévreux et subtil: on avait précédemment applaudi son excellent cd dédié aux oeuvres de Kaija Saariaho (aeon): le souci de la ligne, la finesse hagogique, surtout cette parfaite complicité avec son partenaire assurent le succès du concert; professeur d’accompagnement et de musique de chambre au Conservatoire de Paris,
Sébastien Vichard se distingue lui aussi au piano grâce à son sens de l’écoute, et ce jeu idéalement articulé qui danse autour du violoncelle et dialogue réellement avec lui quand la partition exige cette parité palpitante et concertante. Leur entente instrumentale produit ses fruits.
Si
la Sonate de Duparc (1869) est une oeuvre de jeunesse, composée autour de ses 20 ans, l’oeuvre est d’une main mûre: elle s’impose par ses couleurs harmoniques d’une rare puissance et déjà porte cette gravité cultivée dans le sillon de Franck (son seul maître), puis exacerbée dans l’admiration pour Wagner. On a pensé longtemps que la pièce faisait partie comme son opéra inachevé, Russalka, des partitions détruites par leur auteur: or sa création posthume en 1948 a démenti cette croyance, dévoilant un feu passionné et tendu, à la fois chaloupé et mordant qui s’exprime dès le premier mouvement,
Presto appasionato que les deux artistes abordent avec caractère, fièvre, tension. D’autant plus que le
lento qui suit change radicalement d’atmosphère, déroulant en un souffle étiré qui paraît suspendu, cette langueur empoisonnée ; cette justesse émotionnelle annonce les plus belles mélodies d’un Duparc décidément singulier, fasciné par la malédiction wagnérienne, comme soucieux de raffinement et de transparence sonore… typiquement française. Le point d’orgue du programme reste
la Sonate n°2 de Ropartz: en trois mouvements là aussi et dont chaque tableau suit le même plan: lenteur initiale transformée progressivement en développement de plus en plus animé; sauf pour la section centrale notée
« lent et calme« . L’écriture de Ropartz est comme celle de Duparc d’une profonde originalité (et marquée elle aussi par le modèle franckiste); mais le compositeur ajoute aussi ce regard critique sur la forme, à la façon d’un Sibelius dans le domaine symphonique; la main ne s’autorise aucune dilution de la tension, elle semble même s’interdire tout épanchement gratuit; esprit subtil, Ropartz (dont on a récemment salué la réussite de
la Symphonie n°3, écoutée en concert puis enregistrée par l’Orchestre Symphonique Région Centre Tours sous la direction de Jean-Yves Ossonce) sait aussi inclure quelques réminiscences Debussystes dans le jeu du piano (2è mouvement :
lent et calme): citations inscrites comme de scintillants éclairs vifs argents. L’écriture de Ropartz cultive l’étincelle de la justesse et de la sincérité: écrite à la fin du premier conflit mondial (1917-1918), la partition trouve un équilibre étonnant entre somptuosité formelle et intensité de l’expression; aucun « effet » consenti, s’il ne nourrit le flux progressif; en très fin connaisseur, Ropartz combine richesse harmonique, vrai travail sur la texture (exigeant ici autant du piano que du violoncelliste), idées originales, très finement écrites, et, ultime révélation qui contredit cette austérité supposée, une suavité et un hédonisme sensuel, aussi prenants que ceux de Fauré ou de Massenet. C’est dire.
En 1 h de temps, chaque concert chambriste au Palazzetto remplit parfaitement son objet: délectation, découverte et souvent, … révélation. On pensait s’étonner du brio d’un Fauré séduisant et salonard tout à la fois, ce sont Duparc, visionnaire et grave en ses jeunes années, puis Ropartz, véritable architecte de la forme et maître de chaque nuance, à la fois flamboyant et structuré, qui se distinguent sans réserve. Pour saluer le centenaire Massenet, les deux interprètes jouent l’élégie, si touchante elle aussi par son idée mélodique ; le timbre du violoncelle sait en éclairer la justesse émotionnelle. Les chemins qu’emprunte le Centre de musique romantique française à Venise sont décidément surprenants: en plus d’offrir à la délectation du public, des oeuvres trop peu jouées, de surcroît dans l’acoustique idéale du salon de musique au Palazzetto, l’offre des concerts rétablit des erreurs d’appréciations jusque là vénérées, réhabilite des manières et des sensibilités qu’on pensait mineurs, fait ressurgir ce romantisme français si riche, si varié, si passionnant. Superbe soirée chambriste à Venise.
Le concert de Sébastien Vichard et Alexis Descharmes (Nell’ora delle modernità) fait partie du festival
le salon romantique (Venise, Palazzetto Bru Zane, jusqu’au 28 février 2012). Prochains concerts :
cycle « autour du piano »: samedi 18 février 2012, à 17h (panorama romantique élargi avec le pianiste
Andrea Bachetti dont une perle parmi d’autres: Berceuse de Dubois), puis à 20h, piano à quatre mains des
soeurs Bizjak (dont là aussi quelques joyaux dont le Palazzetto a le secret: Sonates de Boëly, Jadin et Onslow).
Dimanche 19 février 2012 à 17h: De l’Allemagne… Trio Arcadis: Trios pour piano de Gouvy et Chausson, aux côtés de Promenade sentimentale de Dubois .
Visite au Palazzetto. Pendant le Carnaval de Venise, le Palazzetto Bru Zane présente chaque année son festival de musique de chambre (le salon romantique), immersion exceptionnelle à la découverte des joyaux du romantisme français. Le Palazzetto est aussi un lieu patrimonial qui remonte à la fin du XVIIè: le casino de Marino Zane, commanditaire de cet écrin architectural unique à Venise, est accessible pendant le Carnaval, à l’occasion de visites commentées gratuites. Inscriptions et horaires sur le site www.bru-zane.com.
Prochain festival. Après le salon romantique, le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française à Venise propose son 3è festival de la saison 2011-2012: Théodore Dubois (1837-1924) et l’art officiel, du 14 avril au 27 mai 2012 (offre d’hébergement préférentielle à Venise à cette occasion, réservée aux lecteurs de classiquenews: proposition bientôt mise en ligne sur notre site. A partir du 1er mars 2012). Le Festival Théodore Dubois sera aussi le sujet d’un prochain cycle de reportages vidéos à venir sur classiquenews.com

Tous les programmes, les lieux et les offres spéciales abonnements (package avantageux comprenant 3, 6, 12 concerts au choix sur l’ensemble de la saison) sur
le site du Palazzetto Bru Zane à Venise. Informations et réservations au + 39 0415211005; par e-mail:
[email protected]. Par fax: + 39 0415242049 (noter le concert, le nombre de places, la catégorie, le numéro de votre carte de crédit, sa date d’expiration et le code CVV : 3 derniers chiffres au dos de votre carte).
Autre temps fort du festival le salon romantique 2012 à Venise: recréation de 3 cantates pour le prix de Rome. Concert inaugural du 4 février 2012 à la Scuola Grande di San Giovanni Evangelista: deux Cantates de la fin des années 1870, Judith de Paul Hillemacher (1876) et Médée de Georges Hüe (1879),; Frédégonde de Max d’Ollone (1897): perle retrouvée d’un romantisme français, assimilant et la leçon de Massenet et celle de Wagner, à l’heure du vérisme triomphant. Les 3 cantates romaines ont chacune, remporté le premier prix de Rome. Visionner ci après notre reportage vidéo exclusif: 3 cantates de Rome ressuscitées à Venise
grand reportage vidéo
3 Cantates pour le Prix de Rome, prodigieuses et saisissantes, dévoilées par le Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, attestent du bien fondé de la recherche portée par le Centre: les 3 partitions sont des opéras miniatures révélant l’écriture de trois génies de la scène lyrique: Paul Hillemacher, Max D’Ollone, Georges Hüe. Présentation des oeuvres, entretiens et témoignages précisant leur singularité… Avec Alexandre Dratwicki, directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane, Patrice D’Ollone (petit-fils de Max D’Ollone)…
voir notre reportage vidéo complet