En écornant Dubois, ne s’agit-il pas de s’en prendre à l’académisme en général et aux lauréats du Prix de Rome en particulier dont depuis des lustres il est de bon ton de dénigrer les oeuvres, les écritures, le bien fondé? Si l’on met de côté le procès d’un système et d’une esthétique, force est de reconnaître a contrario le tempérament créateur d’un Dubois fin, élégant, structuré dont beaucoup d’oeuvres ainsi dévoilées, incarnent une manière de perfection française classique à l’époque des modernes Debussy et Ravel… Qui s’intéresse réellement aux œuvres concernées ne peut qu’être séduit par la finesse harmonique d’une écriture constamment illuminée par l’équilibre, la clarté, l’inspiration.
Défense et illustration de l’académisme musical
D’ailleurs les premiers concerts du festival vénitien ont affirmé l’éloquente subtilité de Dubois en particulier dans le genre chambriste: lire nos comptes rendus des Trio n2, puis du superbe Quintette pour piano transcendé parla complicité lumineuse des interprètes invites par le Palazzetto (Quatuor Ardeo et David Violi, piano). Après avoir quitté la direction du Conservatoire, le compositeur se concentre à plus de 60 ans sur son oeuvre et produit entre 1900 et 1914, ses partitions les plus importantes, fruits parfois de plusieurs années d’écriture.
En intitulant son festival de printemps, « Théodore Dubois et l’art officiel », le Palazzetto Bru Zane pose les bases d’une juste interrogation; tout en s’intéressant au cas Dubois, il s’agit de dévoiler certes une écriture dans son contexte, mais aussi d’en présenter la diversité des facettes; écriture et sensibilité d’autant plus intéressantes que de son vivant, Théodore Dubois reste une personnalité célébrée (grâce à ses nombreuses fonctions prestigieuses) mais un compositeur constamment dénigré. Preuve étant apportée ici, en référence à l’intitulé du festival qu’il ne suffit pas d’être un théoricien et un harmoniste réputé, qui plus est lauréat du Prix de Rome, puis directeur du Conservatoire et membre de l’Institut, pour connaître reconnaissance et gloire.
Défricheur, le Palazzetto Bru Zane n’hésite pas à aller plus loin encore. Il inscrit dans un même programme les œuvres de Dubois et ceux non moins extraordinaires de… Debussy, Ravel, Hahn… Confrontations, comparaisons aux enseignements mordants et polémiques; contre toute attente le style de Dubois en sort gagnant : restitué ainsi dans le bain ambiant de son époque, Dubois paraît certes passéiste mais avec une finesse singulière, un raffinement et une culture immédiatement accessibles… qui parlent au coeur.
Harmonies élégantissimes…
Nouveaux challenges, nouveaux apports lors du 2ème week end du Festival vénitien (les 28 et 29 avril 2012); au programme, musique de chambre avec surtout le Quatuor n°1 dont l’excellent Quatuor Diotima a souligné avec la finesse requise, l’équilibre entre profondeur et subtilité. Les Diotima se sont précédemment engagés dans la réhabilitation de George Onslow (autre redécouverte majeure permise par le Palazzetto): s’agissant de Théodore Dubois, le mouvement lent du Quatuor n°1 démontre en particulier une sensibilité captivante pour l’allongement du temps et l’enrichissement harmonique avec toujours cette maîtrise absolue dans enchaînements et passages: la texture est dense, parfois âpre et tendue, pourtant jamais artificielle; c’est bien là, l’apport premier de ce nouveau concert au Palazzetto Bru Zane. Comme ce fut le cas le 15 avril dernier où la Symphonie Française était dévoilée en couplage avec les trois esquisses symphoniques de La Mer de Debussy (deux partitions datées de 1908), le Centre joue à nouveau les confrontations esthétiques, et de façon frontale: au Quatuor de Dubois (1909), succédait celui de Ravel (1904); on ne peut imaginer deux mondes plus antinomiques et pourtant… contemporains. Le maîtrise et l’équilibre d’un Dubois paraissent en effet idéalement « français » comparés à la modernité métissée debussyste d’un Ravel qui s’inspire aussi de l’Orient et de l’Espagne. Or chez l’un comme chez l’autre, on dénote une même exigence musicale, un même goût pour la richesse harmonique, une même pensée coloriste extrêmement affûtée.
Le week end 2 du festival Théodore Dubois a tout autant marqué les esprits avec le concert dominical du 29 avril, donné dans la salle du premier étage de la Scuola San Giovanni Evangelista. Les festivaliers familiers des programmes présentés par le Palazzetto y ont déjà vécu maints concerts inoubliables: symphonies de Onslow, concertos de Jadin, cantates de Cherubini et pour le Prix de Rome signé Hillemacher, Hue, d’Ollone… il manquait à ce superbe palmarès, un nouvel accomplissement dans le domaine sacré. Défi réalisé ce 29 avril à 17h.
En programmant la Messe Pontificale de Théodore Dubois, le Palazzetto Bru Zane a réalisé l’un de ses plus beaux concerts… la partition fut longtemps un mythe avant de révéler ses somptueuses facettes à Venise. Voilà à n’en pas douter, un (autre) temps fort de la programmation 2012.
Pour en dévoiler l’attrait inépuisable, le Palazzetto Bru Zane a choisi d’en proposer une transcription de son cru, la version réduite que Dubois réalisa de son vivant d’après celle orchestrale (nécessitant un effectif monumental) n’étant plus accessible …
Ici, au quatuor vocal réunissant les mêmes solistes que ceux du cd du Paradis Perdu, répondent en plus des cordes, le basson, la clarinette, la flûte et surtout la harpe …. dont les arabesques aériennes ont produit associées aux voix, d’égales qualités précédemment écoutées lors d’un premier concert dédié au Dubois sacré (motets pour la Madeleine… Il y a un an … Basilique des Frari, avril 2011. Voir la vidéo). Y paraissait déjà l’excellent et si dramatique motet Benedicat vobis, hymne laudatif et festif destiné au rituel de mariage dont le texte est extrait du Psaume 127,3. Placé en ouverture, le motet pour deux solistes, choeurs et instruments, prépare idéalement public et chanteurs.
La Pontificale: un rêve liturgique
Organiste à Sainte-Clotilde puis à la Madeleine, Dubois aura baigné toute sa vie dans l’art religieux, cet art, lui encore épinglé « saint sulpicien » auquel Dubois apporte élégance et raffinement grâce à sa finesse native …
La Messe pontificale saisit par son foisonnement stylistique ; sa richesse et sa variété ; un sens évident de la dramaturgie qui empêche de s’y ennuyer du début à la fin. Artisan de la rénovation de la musique symphonique sacrée comme Ambroise Thomas, Fauré, Saint-Saëns, Gounod… Dubois apporte son offrande jubilatoire et exaltante même… Sa facilité mélodique et son tempérament inné pour les climats extatiques et sereins atteignant un sommet particulier dans le si bellinien Agnus dei, comme si le déroulement de la partition depuis son début préparait à ce climat final, suspendu, caressant, lumineux.
La genèse de l’œuvre explique cette exubérance et cette maîtrise; d’abord « Solennelle », la partition concentre toute la profusion démonstrative du jeune lauréat du Prix de Rome (1862) soucieux de démontrer ses facilités: ce premier style respecte l’esthétique ambiante propre aux années 1860: messes symphoniques et théâtrales, proches par leurs contrastes assumés et leurs épisodes divers de la scène lyrique…; puis jamais jouée (comme nombre d’envois de Rome), la Messe rebaptisée Pontificale, est crée à Saint-Eustache à Paris pour la fête de Sainte-Cécile, trente années après, en 1895: le musicien corrigeant, intensifiant, rééquilibrant avec un sens de la synthèse très réussi, les arguments déjà nombreux de sa Messe. Duos, trios, quatuors de solistes, choeur présent et palpitant… seul ou avec les solistes… sans omettre le relief à la fois percutant et suave des instruments requis, la Messe Pontificale résume toutes les tendances formelles connues à son époque pour une célébration liturgique.
Le début du Kyrie a des accents schubertiens; le Gloria (où le cor et la harpe s’affirment en majesté) exige un baryton d’une carrure toute… verdienne; l’O salutaris, d’esprit Renaissance, cite clairement Palestrina, tandis que le Credo est clairement mozartien.
Rien n’échappe à l’esprit exigeant d’un Dubois cultivé et fin qui se surpasse indiscutablement dans cette œuvre hautement inspirée; une leçon de perfection pour l’église qui concentre alors tout ce que les Thomas, Gounod, Fauré, Saint-Saëns ont écrit de mieux jusqu’alors. Et de saint-sulpicien ou d’académique (pour répondre aux critiques), la flamboyante Messe de monsieur Dubois n’a ni la solennité un peu raide ni le décoratif superficiel.
Hervé Niquet veille à la flexibilité tendre et intelligible des voix; l’équilibre entre instruments et chanteurs, dans cette formation réduite renforce l’humanité proche de la partition; rien d’affecté ni de démonstratif ici. Aucun des solistes ne démérite; saluons le clair soprano de la lumineuse Chantal Santon (qui faisait dans le Paradis Perdu une Eve angélique et diaphane), l’ardeur mordante du ténor Mathias Vidal; le bel aplomb du baryton Alain Buet (superbe Satan, illuminé et dramatique dans le même Paradis Perdu); le timbre accrocheur et saillant de Jennifer Borghi (Ange de passion et de flamme du Paradis Perdu).
La suite d’épisodes magnifiquement écrits, s’écoule avec un naturel irrésistible. Leur fine caractérisation saisit l’auditeur: Dubois n’écrira plus avec une telle verve (sa messe de délivrance est de ce point de vue plus « neutre »). Le compositeur est un maître qui comme dans ses sommets chambristes, récemment dévoilés à Venise (adagios du Trio n°2 et du Quintette pour piano), reste toujours du coté du cœur. Son inspiration reste infaillible. C’est la signature d’un grand… dont le Palazzetto Bru Zane a décidément bien raison de nous dévoiler les oeuvres maîtresses… à Venise, jusqu’au 27 mai 2012.
Venise. Palazzetto Bru Zane. Festival Théodore Dubois et l’art officiel. Samedi 28 avril 2012: Quatuor n°1 de Théodore Dubois; Quatuor de Maurice Ravel. Quatuor Diotima. Dimanche 29 avril 2012 (Scuola San Giovanni Evangelista): Théodore Dubois: Messe Pontificale. Chantal Santon, soprano. Jennifer Borghi, mezzo-soprano. Mathias Vidal, ténor. Alain Buet, baryton. Vlaams Radio Koor, Solistes du Brussels Philharmonic. Hervé Niquet, direction.
Festival événement présenté par le Palazzetto Bru Zane Centre de
musique romantique française. Le Palazzetto organise sa programmation de
concerts en plusieurs week ends, occasions rêvées pour séjourner à
Venise le temps de son festival de printemps: encore 4 week ends à l’affiche jusqu’au 27 mai 2012
(samedi 28 et dimanche 29 avril: Quatuors et Messe Pontificale de
Théodore Dubois; samedi 5 et dimanche 6 mai: musique symphonique et
musique de chambre; samedi 19 et dimanche 20 mai: récital lyrique et
musique de chambre; samedi 26 et dimanche 27 mai: mélodies et piano à 4
mains…). Chaque programme met en perspective les oeuvres de Théodore
Dubois avec celles marquantes à son époque dont celles de Claude
Debussy… Toutes les infos sur le site du Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française à Venise.
Toutes les informations et les modalités de réservation sur le site du Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française

En avril et en mai 2012, Venise se met au diapason des romantiques français. En choisissant Théodore Dubois, né en 1837 et lauréat du Prix de Rome en 1861, le Centre de musique romantique française Palazzetto Bru Zane
dévoile l’œuvre d’un compositeur oublié, théoricien estimé de son
vivant, occupant de nombreux postes prestigieux. C’est hélas la figure
pédagogique, théorique et officielle de Dubois que l’Histoire a retenu
(quitte à la caricaturer), moins son œuvre de compositeur: écriture
révélée, rétablie voire réhabilitée aujourd’hui. Le Centre a déjà
« éprouvé » et confirmé une manière originale et personnelle en
programmant auparavant ses motets, son oratorio Le Paradis Perdu, ainsi que plusieurs pièces instrumentales, concertantes
ou chambristes. A l’écoute de ses œuvres: Théodore Dubois, organiste
de la Madeleine à Paris dès 1877, membre de l’Institut en 1894, qui
devient directeur du Conservatoire (1896) après que Massenet ait décliné
la proposition, est bien un auteur à redécouvrir d’urgence… Venise, festival Théodore Dubois et l’art officiel, du 14 avril au 27 mai 2012. En lire +