vendredi 25 avril 2025

Tüür, Tchaïkovski: 6 ème symphonies. ONL Lyon, Auditorium. Les 13, 14 et 15 novembre 2008

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6 ème Symphonies

Tchaïkovski, Tüür

Orchestre National de Lyon

Lyon , Auditorium Ravel
Jeudi 13, vendredi 14, samedi 15 novembre 2008 à 20h

La 6e de Tchaikovski est Pathétique ; la 6e du compositeur estonien E.S.Tüür est « Stratiforme ». L’Orchestre National de Lyon, sous la direction de la chef estonienne Anu Tali, met en miroir ces deux œuvres et permet ainsi au public de l’Auditorium d’avancer dans sa connaissance du musicien balte déjà joué en 2007, pour une partition interprétée en création française.

De 9 à 6
Le chiffre 9, on le sait, a hanté les compositeurs depuis la mort de Beethoven en 1827 : du moins du côté des symphonies, et il ne faisait pas bon atteindre ce 9 pour en rester là : superstition ? crainte de vouloir égaler la Perfection du Maître allemand ? Donc les successeurs s’arrangèrent pour tricher, intégrer une n° 0 comme Bruckner, aller au-delà du côté d’une 10e comme Mahler, tout en laissant de l’inachevé (symbole d’après la mort qui passe ?), ou simplement ne pas aller « jusque là », comme Sibelius (une 8e commencée) et à plus forte raison comme Brahms paralysé par le surmoi qui le laisse pourtant aller jusqu’à sa 4e…Solution intermédiaire, comme un Tchaikovski allant jusqu’à 6 – mais qu’en aurait-il été si la « grande camarde »- selon Pïotr-Illitch lui-même- n’avait fait signe plus tôt ? -… L’O.N.L. pour son concert de mi-novembre, s’amuse à rapprocher en titre d’affiche le 6 terminal du musicien russe et le 6 (vraisemblablement temporaire) du compositeur estonien Tüür, la chef – compatriote – Anu Tali ayant suggéré une formule « 6 et 6 » pour marquer la création en France de cette 6e – en jumelage avec une célébrissime 6e -, sinon l’amitié russo-balte qui n’est pas au mieux de sa forme…

Les ponts et les îles
Ekki-Sven Tüür a déjà été joué par l’ONL l’année dernière, et on sait que ce post-moderne ou rockeux ne déteste pas reprendre les grandes formes et langages du passé : non que le temps soviétique de sa prime jeunesse ait beaucoup favorisé les écritures trop « formalistes » (selon la langue de bois du jdanovisme qui sévissait encore du temps de Brejnev). Mais parce qu’aussi bien le rock trop…progressiste, allié à une résurrection des temps chrétiens variante mystique (pour Tüür, ce fut plus précisément le chant orthodoxe grec) pouvait constituer pour un adolescent de la Perestroika débutante un bon cocktail d’opposition juvénile. En y ajoutant jazz et tradition du « runique » (le fonds nord-européen de la fin d’Antiquité et du Moyen-Age), on obtient un « collage » d’inspirations, une superposition qui pourrait dissoner mais que le compositeur préfère « fédérer » en unité de culture. Quant au cadre « symphonique », Tüür le prend plutôt en son sens étymologique des « voix ensemble », et d’ailleurs il ne découpe pas l’œuvre en plages classico-romantiques. « Il s’agit de bâtir des ponts au dessus d’un archipel de styles, de relier des îles musicales relativement éloignées. J’aime concilier le tonal et l’atonal pour atteindre l’unité ». La métaphore de l’île semble d’ailleurs éclairer sa pensée, depuis le rappel de sa naissance sur une île balte jusqu’à l’Insula Deserta qui révéla en Finlande son œuvre, et au plain-chant orthodoxe découvert lors d’un voyage en Crète. Mais on peut aussi dans son œuvre, et si on s’attache à la géomorphologie, repérer plutôt une accumulation horizontale : « après les 2e et 4e Symphonies, inspirées par les images du magma et des fossiles, insister sur une matière brute et revêche – le granit primitif -, cassantes et terriblement solides ». D’où les « premiers accords et une longue mélodie de contrebasses, profondément enfouie dans le sol orchestral », bref une structure qui ne cessera de faire référence à des « Strates » donnant son surnom à cette 6e (« Strata »), bien moins Pastorale qu’une autre 6e célébrissime. On suggère donc un surnom à E.S.Tüür : La Minérale ? Une « vis sans fin » y montre des procédés compositionnels fort divers : « des jeux contrapuntiques, des imitations souvent polyrythmiques donnant l’impression que chaque ligne ascendante monte plus haut que la précédente », cela fait penser aux « illusions d’optique sonore » et paradoxales les plus récentes, tandis que le thème de lamentation apparu à la fin de la Symphonie vient des Setus, « un peuple de jadis installé sur les frontières russo-estoniennes », et qu’une poétesse estonienne d’aujourd’hui, Doris Kareva, est citée en élément d’auto-portrait : « Tout homme est parfaitement unique en soi, comme les rivières se jetant dans l’océan. »

Des mélodies de casino ?
L’autre 6e, créée voici 114 ans, et plus à l’est, était ouvertement « pathétique », même si Tchaikovski doit ce surnom à l’imagination « communicatrice » de son frère Modeste, qui faisait (très efficacement) la navette de la comm’ chez les éditeurs….Plus extravertie et spectaculaire que la 4e et la 5e, cette 6e est sans dissimulation liée aux tourments d’une vie dont le compositeur de 53 ans ne sait simplement pas qu’elle va s’achever dans la plus atroce brutalité. « Une symphonie à programme », confie-t-il au dédicataire, son neveu Bob Davydov, confident sur lequel il reporte toute son affectivité non exempte d’exhibitionnisme. La mort est présente dans ces pages « à programme » : Piotr-Ilitch vient d’apprendre la mort de trois de ses amis, dont le poète Apoukhtine qui joua un très grand rôle dans son accès à une conception pan-artistique de l’art musical, et sa 6e, fiévreusement écrite – « j’ai beaucoup pleuré en composant » -, est aussi un Requiem, avec citation de l’office orthodoxe des morts dans le 1er mouvement. Le Fatum – cette obsession de la divinité latine pour Tchaikovski, si présente dans la 4e- est comme « la mort qui toujours gagne » et terrasse l’humain. Après un répit dans le 2nd mouvement, un véritable tourbillon de « sturm und drang » russe emporte l’œuvre. Mais surprise : c’est un adagio qui clôture la symphonie, en un effet très impressionnant de raréfaction instrumentale et de forces qui se figent. « Idée mesquine, facture boursouflée, déhanchement mélodique des idées dont quelques unes sentent leur casino », juge en « précieux dégoûté » un compositeur français, et non des moindres, Paul Dukas. Voilà qui n’aura guère empêché la Pathétique de faire le tour de la terre et d’être si aimée dans toutes les langues…

Oscar Wilde et les fantômes
Entre-t-il dans ce « programme » de la prémonition, ou une auto-provocation symbolique à circonstances jamais élucidées. L’interprétation « officielle » parle d’un décès foudroyant dû au choléra. Mais on n’a pas tardé à y suspecter un « suicide-empoisonnement », par lequel le musicien se serait infligé la sentence d’un procès secret qui le punissait pour des amours scandaleuses avec un jeune homme de la haute aristocratie russe. Ainsi le mettent désormais en scène les récits de Nina Berberova ( Actes Sud) et de Dominique Fernandez (Julliard)…C’est certain : l’alliance du tsarisme et de l’Eglise Orthodoxe ne tolérait pas davantage l’homosexualité que ne le faisait la société Victorienne anglaise, comme en témoignent « à l’ouest », dans cette dernière décennie du XIXe, le procès et l’emprisonnement qui brisèrent la vie d’Oscar Wilde, écrivain ultime de la si émouvante « Ballade de la geôle de Reading ». Sans anecdotisme et en arrière-plan, on écoute aussi la Pathétique parce qu’elle dépasse et sublime les frontières de « la musique pure »…

Auditorium de Lyon, jeudi 13 novembre, 20h30 ; vendredi 14, 20h30 (concert étudiants) ; samedi 15, 18h Orchestre National de Lyon, direction Anu Tali.
P.I.Tchaikovski (1840-1893), 6e Symphonie (Pathétique) ; E.S.Tüür (né en 1959), 6e Symphonie. Information et réservation : T.04 78 95 95 95 et www.auditorium-lyon.com.

Illustrations: Piotr Illyitch Tchaïkovski, Erkki-Sven Tüür (DR)

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