La mise en scène de François de Carpentries, inégale, alterne moments forts et incompréhensions. Le palais du Duc, vaste salle baroque aux miroirs déformants, représente bien la décadence dans laquelle vit la cour de Mantoue, ainsi que les coiffures des courtisanes, grotesques autant que burlesques.
Au milieu de la maison de Rigoletto trône un pommier aux branches duquel pendent des fruits rouges et sucrés. Gilda, en croquant une pomme à la fin de son air, ne signifie-t-elle pas qu’elle est en train de succomber à la tentation du péché ?
Par ailleurs, on se souviendra longtemps, durant l’air de Rigoletto au deuxième acte, de ces ombres chinoises révélant les ébats des deux amants aux yeux du père, qui donnent à cette scène une force dramatique supplémentaire.
Le drame et la musique sans les voix
Et lorsque le rideau tombe, révélant une Gilda identique aux courtisanes du premier acte, on comprend qu’il est définitivement trop tard pour la sauver.
Le troisième acte laisse davantage le spectateur sur sa faim, l’antre des meurtriers manquant d’obscurité et de mystère, avec, en fond de scène, un étrange objet, arbre multicolore et lumineux, dont on ne comprend pas la signification. Et, détail malheureux, pourquoi diable avoir fait chanter au Duc son solo dans le quatuor du troisième acte en s’accompagnant d’une guitare ? Alors que, la fin de ce même ensemble fait s’opposer visuellement de très belle façon un couple en rouge – Maddalena et le Duc – et un autre en blanc – Gilda et Rigoletto –, seulement séparés par un tableau religieux. Par ailleurs, on peut regretter que les changements de décors exigent qu’un rideau blanc soit fréquemment tiré, faisant jouer certaines scènes devant ce grand tissu, perdant ainsi de leur force tragique.
Véritable protagoniste de l’œuvre et premier personnage de cette production, le chœur, à saluer bien bas. Musicalement impeccable, puissant et homogène, admirablement préparé, il tient une place de choix dans ce spectacle. La scène de la malédiction de Monterone prend avec lui tout son impact, foule toute entière dirigée contre Rigoletto. Sa grande scène du II reste également mémorable, véritable pantomime à travers laquelle les courtisans racontent au Duc l’enlèvement de Gilda.
Plus encore, on découvre rapidement au sein de cette cour un rival à Rigoletto, portant les même chaussures rouges que le rôle-titre et coiffé de manière similaire, comme un second bouffon se moquant du premier.
Et c’est sur les applaudissements des courtisans félicitant l’œuvre de ce rival comique que se clôt l’œuvre, alors que sur le devant de la scène gémit Rigoletto sur le corps de sa fille.
Dans la fosse, Jean-Yves Ossonce déploie toute la force de la musique de Verdi et conduit parfaitement le superbe Orchestre Symphonique Région Centre-Tours, sans jamais tomber dans la grandiloquence. L’introduction, si connue, prend ici un relief rare, aux accords pleins et au crescendo frissonnant. Ainsi la tempête donne également le frisson, par sa violence grandiose et sacrificielle.
Malheureusement, la distribution réunie ici n’atteint pas le niveau de la musique.
Nigel Smith, entendu voilà quelques mois dans un fabuleux Taddeo dans l’Italienne à Alger à Metz, se révèle dépassé par les exigences vocales du rôle-titre. Si sa voix claire et puissante passe l’orchestre sans effort, ses moyens ne sont en rien ceux d’un baryton Verdi, manquant de largeur comme d’épaisseur. Le legato peine ainsi à se déployer et le médium accuse de fréquents décrochages, alors que l’aigu, néanmoins donné souvent en force, passe mieux. Méforme passagère ou véritable inadéquation au rôle ?, la question reste ouverte.
La Gilda de Sabine Revault d’Allones, si elle incarne parfaitement la jeune fille voulue par le metteur en scène, lassée par les secrets de son père, éprise de liberté et d’interdits, et défendant sans honte son amour pour le Duc, semble mal à l’aise dans l’écriture de Gilda. Alors que le premier acte semble trop léger pour elle, avec un vibrato serré, des aigus tendus et des piqués difficiles, le troisième, aux aigus criés, apparaît trop large pour sa voix. C’est dans le deuxième acte qu’elle semble plus à son avantage, avec une ligne de chant mieux contrôlée.
Christophe Berry fait bonne impression en Duc par sa facilité d’émission, haute de place et jamais grossie, aux aigus émis sans effort, mais surprend par la légèreté de sa voix, qui semble atteindre ses limites en largeur dans son air du « Parmi veder le lagrime » et qui accuse souvent une échappée d’air qui ternit son timbre. En outre, il semble peu s’investir scéniquement, au point de faire passer son séducteur libertin pour un gentil garçon. Il se révèle par ailleurs souvent couvert par les chœurs et l’orchestre. On peut se demander si ce rôle est bien adapté à sa voix, et on attend avec impatience de l’entendre en Gérald de Lakmé à Lausanne la saison prochaine.
Maddalena imposante de puissance, Aude Extrémo fait étalage d’une voix qui paraît somptueuse, mais constamment grossie, aux sons gonflés et dans la bouche, et au registre grave trop brutalement poitriné. Seul l’aigu semble lui faire trouver la place juste, fine et percutante.
Dommage également que le Monterone de Ronan Nédelec manque d’impact, sa malédiction tombe à plat et son apparition à la fin de l’acte II amuse plus qu’elle n’inquiète.
On admire en revanche sans réserve le Sparafucile impressionnant de Chun Jul Kim, révélation de la soirée. Dès son entrée en scène, le magnétisme de sa voix profonde et large, jamais ainsi que sa présence et sa prestance scénique imposent le respect, au point d’éclipser ses partenaires. Son incarnation violente et brutale, allant jusqu’à menacer sa sœur, restera dans les mémoires.
Une représentation en demi-teintes, qui nous aura révélé une intéressante scénographie et une direction musicale de haut niveau.
Tours. Grand-Théâtre, 21 octobre 2012. Giuseppe Verdi : Rigoletto. Livret de Francesco Maria Piave d’après Victor Hugo. Avec Rigoletto : Nigel Smith ; Gilda : Sabine Revault d’Allones ; Le Duc de Mantoue : Christophe Berry ; Sparafucile : Chun Jul Kim ; Maddalena : Aude Extrémo ; Monterone : Ronan Nedelec ; Ceprano : François Bazola ; Marullo : Yvan Sautejeau ; Borsa : Michaël Chapeau : Giovanna : Véronique Laumonier ; La Comtesse Ceprano : Julie Girerd. Chœurs de l’Opéra de Tours ; Chef de chœur : Emmanuel Trenque ; Orchestre Symphonique Région Centre-Tours. Jean-Yves Ossonce, direction musicale ; Mise en scène et lumières : François de Carpentries. Décors et costumes : Karine Van Hercke ; Chef de chant : Vincent Lansiaux
Illustration: Rigoletto à l’Opéra de Tours © François Berthon 2012