mercredi 7 mai 2025

Tourcoing. Théâtre Municipal, le 26 mars 2010. Mozart: Cosi fan tutte (1790). La Grande Ecurie et la Chambre du Roy. Jean-Claude Malgoire, direction. Pierre Constant, mise en scène

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Théâtre palpitant
Dans l’excellente mise en scène de Pierre Constant, l’action de Cosi se déroule à Naples (plan fidèle au livret) et s’écoule le temps d’une seule et très chaude journée d’été. Ici, l’échelle des températures atteint même plusieurs records orageux: au tempo crescendo de l’intrigue où les coeurs éprouvés traversent tempêtes et épisodes venteux, répond en fond de scène, les images climatiques d’une météo amoureuse au rythme haletant.
Pierre Constant explore toutes les facettes et nuances du torride et de la turbulence pour exprimer les vertiges et la panique de deux soeurs: Dorabella (mezzo) et Fiordiligi (soprano). En proie aux tours et sortilèges de Don Alfonso (noblesse facétieuse de Nicolas Rivenq), les jeunes femmes révèlent malgré elles, -Dorabella plus rapidement que Fiordiligi-, la faiblesse et l’inconstance du coeur féminin. Et leurs fiancés respectifs: Ferrando (ténor) et Guglielmo (baryton) apprennent non sans amertume et blessures, dans cette école amoureuse, combien les serments d’autrefois sont trahis quand surgissent de nouveaux séducteurs…
15 années après sa création (1995) où elle fut déjà célébrée, la trilogie mozartienne scénographiée par Pierre Constant n’a pas pris une ride tellement elle s’impose par sa finesse, son intelligence, sa vérité. La cohérence et l’unité de lieu sont respectées: d’immenses persiennes qui s’ouvrent et se ferment selon les tableaux, laissent filtrer la lumière de ce jour orageux, tout en constituant une formidable caisse de projection pour les voix.
En maître des climats, le metteur en scène fait démarrer l’action dans une étuve: les bains de vapeur annoncent les touffeurs à venir; massages et soins du corps citent cet Orient en filigrane qui est aussi le masque révélateur sous lequel les deux fiancés, déguisés en turcs, percent à jour le coeur de leurs promises… Quand à la nudité des corps, elle dévoile la vulnérabilité naïve des deux garçons piégés par un pari déraisonnable qui pourtant révèle la perfidie des femmes. Dans cette arène de plus en plus cynique, Alfonso tire les ficelles. Au hamam initial, correspond ensuite la lumière dorée diffuse, filtrée par les persiennes, du soleil napolitain; c’est enfin, les deux orages avec éclairs et vents tourbillonnants qui correspondent aux temps forts d’un opéra climatique…

A l’école du cynisme…

Le spectacle est autant théâtral que vocal, restituant la magie dramatique originelle d’un chef-d’oeuvre lyrique. Le XIXè l’avait minoré, écarté dans l’ombre de Don Giovanni. Le XXIè redécouvre Cosi: sa justesse émotionnelle, sa richesse linguistique (liée à la poétique érotique du Da Ponte libertin et anacréontique, lui-même proche de Casanova)… L’opéra conclue la trilogie composée par les deux opéras antérieurs: Les Noces de Figaro et Don Giovanni. Déjà en 1995, Pierre Constant et Jean-Claude Malgoire en soulignaient l’équilibre et la perfection.
Grâce à ce travail d’acteurs millimétré, le relief et l’enjeu de chaque scène et de chaque confrontation, le profil des individualités, s’éclaircissent; on saisit mieux par exemple l’esprit pragmatique, faussement léger d’Alfonso: en lui souffle l’impertinence de Don Giovanni, son expérience des hommes: il a sondé le coeur humain et en connaît les contradictions comme les faiblesses. Les deux jeunes couples qui tournent autour de lui, ont l’inexpérience des âmes tendres et fragiles. Il est aussi question d’un théâtre mordant où s’opposent les générations et leurs expériences de la vie, surtout la déroute des jeunes coeurs à l’école du cynisme et de la désillusion. La mise en scène met tout cela en lumière, avec poésie et exactitude.

Juvénilité conquérante du chant

Pour cette reprise attendue, on s’incline devant la juvénilité conquérante et palpitante du chant. Le tempérament, la fraîcheur, le caractère de chaque portrait vocal est saisissant. Grâce à la distribution, le plateau respire et palpite en offrant du texte, une surenchère d’incarnations captivantes.
Les femmes dominent la scène. Somptueux velours expressif de la Dorabella de Lina Markeby qui s’enrichit en cours de soirée: troublée, vaincue (la première avant sa soeur), la napolitaine s’offre sans réserve à celui qui désormais a ravi son âme (Guglielmo)… Ampleur et volume détonants, faisant croire parfois qu’elle pourrait peut-être gagner en aise et en opulence décuplée chez Verdi et Puccini, la Fiordiligi de Rachel Nicholls sait cependant articuler le verbe mozartien avec une franchise d’émission qui s’embrase à mesure que l’action s’échauffe.
Mais toute bonne action n’atteint pas de vrais sommets sans un savant dosage des contrastes. Le mordant du drame et ses rebonds s’en ressentent immanquablement. Au tragique languissant des soeurs napolitaines, répond la lumineuse astuce de leur servante Despina (épatante et délectable Anne Catherine Gillet qui se faufile dans l’agilité du rôle et ses travestissements, avec une intelligence exemplaire): son duo avec Alfonso est plein de verve, de piquant, d’éclairs comme de complicité.
Les hommes, aux côtés de Nicolas Rivenq, ne déméritent pas non plus, mais leur voix est moins immédiatement convaincante même si le jeu est là encore prenant. Saluons le choix concernant Guglielmo (Joan Martin-Royo très affirmé), de chanter l’air peu connu: « Rivolgete a lui lo sguardo« , souvent écarté des productions habituelles.


Reste l’orchestre et la direction de Jean-Claude Malgoire
: engagés, nerveux, souples et dramatiques… Voilà un vrai travail d’équipe qui restitue à l’ultime comédie de Mozart et Da Ponte, sa profondeur, sa poésie, ses joyaux comiques.
Perle buffa, tragédie amère, tendresse active: tout est là. Et même, théâtre dans le théâtre, comme se jouant des registres illusoires, Pierre Constant souligne ce qui fait aussi les délices de Cosi: ses vertiges en perspective. Ici, les garçons sont piégés par Alfonso en un pari malheureux aux conséquences inimaginables; les femmes sont victimes de stratagèmes et déguisements redoutables; jusqu’au croisement des couples qui laisse un trouble persistant: la scénographie n’épargne pas les protagonistes et comme pour mieux dévoiler ce basculement final où les masques tombent, Pierre Constant souligne ce théâtre dans le théâtre grâce à un rideau de scène qui couvre le cintre de l’immense fenêtre à la fin de l’acte II: nous sommes bien face à une illusion initiatique où les coeurs trompés font face à eux-mêmes. Comme chez Marivaux, le labyrinthe des épreuves accouche de la vérité, et pris à leur propre jeu, les héros de la farce apprennent à se comprendre: une partie profonde de leur identité est ainsi dévoilée. Ce désenchantement à l’oeuvre qui fait aussi les enchantements de la production nous touche toujours autant qu’à l’époque de Mozart et de Da Ponte. Sublime spectacle grâce à sa pertinence visuelle et à l’engagement de tous les interprètes. Ne manquez pas ce Cosi miraculeux lors de ses étapes parisiennes en juin prochain.

Cosi fan tute
tient l’affiche du Théâtre Municipal de Tourcoing les 28 et 30 mars 2010, avant d’investir le Théâtre des Champs Elysées à Paris, les 2, 3 et 5 juin 2010. Prochaine production de la Trilogie mozartienne présentée par l’Atelier Lyrique de Tourcoing, sous la direction de Jean-Claude Malgoire et dans le mise en scène de Pierre Constant: Don Giovanni à partir du 16 mai à Tourcoing, puis du 7 au 11 juin 2010 au Théâtre des Champs Elysées à Paris.

Tourcoing. Théâtre Municipal, le 26 mars 2010. Mozart: Cosi fan tutte (1790). Rachel Nicholss (Firodiligi), Lina Markeby (Dorabella), Anne Catherine Gillet ( Despina), Robert Getchell (Ferrando), Joan Martin-Royo (Guglielmo), Nicolas Rivenq (Don Alfonso), Ensemble vocal de l’Atelier Lyrique de Tourcoing, La Grande Ecurie et la Chambre du Roy. Jean-Claude Malgoire, direction. Pierre Constant, mise en scène.

Illustrations: D.Pierre 2010
1. Les deux soeurs napolitaines
2. Les 2 couples et Alfonso
3. Dorabella
4. Jean-Claude Malgoire

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