Dans l’ouverture du Corsaire, Tugan Sokhiev relève le défi d’une partition dramatique dans laquelle Hector Berlioz convoque le caractère sanguin et révolté du « frère » de Childe Harold, Conrad. Le musicien puise à nouveau comme Harold en Italie, dans l’oeuvre de Byron. Lyrisme et intériorité, surtout fougue et esprit de révolte sont magnifiquement portés par la direction fine, tranchante du chef ossète qui a conquis le coeur des musiciens et du public toulousain. D’emblée, son magnétisme et sa vitalité communicative électrisent. c’est un festival d’accents, de nuances, de précisions dans les attaques, en huit minutes, la phalange hier dirigée et hissée souvent à son meilleur par Michel Plasson, a trouvé en Sokhiev, son premier chef invité, un meneur charismatique.
Cette ouverture était un prélude, une manière d’échauffement pour la pièce de choix du programme, et pour nous, le prétexte de notre présence dans la Halle aux grains.
Jeune pianiste de 22 ans (né le 30 juin 1985 à Naklo nad Notecia, Pologne), distingué à Varsovie lors du Concours Frédéric Chopin dont il remporte le premier prix en octobre 2005, Rafal Blechacz s’affirme à chaque concert et pour chacun de ses récitals, comme « le » nouvel interprète de Chopin. Le même Concours avait en leur temps distingué le feu éloquent de Martha Argerich et de Krystian Zimermann (Concours 1975, dernier pianiste polonais à remporter avant Rafal Blechacz, le prestigieux trophée). Son jeu subtil, détaché, particulièrement articulé souligne tout ce que l’écriture chopinienne emprunte au legato bellinien, mais aussi, apport spécifique de l’interprète, ses climats liés à l’enfance, au murmure, au rêve, au repli et à l’onirisme. Autant de qualités que le jeune pianiste sait cultiver avec une grâce naturelle, sobre, chantante, marquant l’esprit et l’oreille par sa douceur et son style « émerveillé ». Dans le toucher du pianiste, s’écoule sans réserve et sans fausse affectation, l’intensité d’un chant intérieur, à la fois mélancolique et engagé dans l’action.
Après un premier récital en France à la Roque d’Anthéron, Rafal Blechacz donnait son premier concert avec orchestre dans une salle, à Toulouse. Dans le Concerto pour piano n°1 de Frédéric Chopin, Tugan Sokhiev et Rafal Blechacz composent un duo de rêve: le chef écoute l’instrument solo, équilibre le rapport soliste / orchestre, déploie un formidable tremplin pour le jeune pianiste, à la fois enveloppant et dialogué.A l’écoute virile, remarquablement affûté et équilibrée du chef, répond la sensibilité à la fois souple et naturelle du jeune pianiste.
Son approche des Polonaises, Mazurkas, du Concerto n°1 lui a permis d’obtenir de nombreux autres distinctions révélant son affinité avec Chopin. Sa lecture des Sonates a été même récompensée par l’obtention du Prix Krystian Zimerman, qui est l’un des modèles du jeune Rafal Blechacz.
Le duo magicien Sokhiev/Blechacz se produira après Toulouse, en Allemagne, dans le même programme, de Essen à Stuttgart
Et pour Paris, il faudra encore attendre début 2008 (le 27 janvier au Châtelet. Récital Mozart et Chopin, suivi par Narbonne, le 28 janvier: Mozart, Debussy, Szymanowski, Chopin…). Quand au disque, le jeune prodige fera son entrée désormais attendue au sein de l’écurie Deutsche Grammophon, en janvier 2008, avec un récital consacré aux 24 Préludes de … Chopin!
Toulouse. La Halle aux grains, le samedi 13 octobre 2007. Hector Berlioz: Ouverture du Corsaire. Frédéric Chopin: Concerto pour piano n°1 en mi mineur opus 27. Rafal Blechacz, piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse, direction: Tugan Sokhiev.
Crédit photographique
Rafal Blechacz © F. Broede / DG 2006