Pour sa nouvelle venue avec un orchestre qu’il connaît de longue date, le chef Joseph Swensen a choisi un programme copieux. Le concerto pour flûte de Nielsen est tout sauf un hors d’œuvre ou un faire-valoir de pure virtuosité. En effet, la deuxième partie du concert comprenant la huitième symphonie de Bruckner aurait pu largement suffire à un concert ordinaire. Mais ce soir a été exceptionnel. Le concerto nous a valu le plaisir de découvrir ou redécouvrir l’un des flûtistes les plus brillants du monde, soliste à la Philharmonie de Berlin à l’âge de 22 ans !
Il a enregistré une merveilleuse version de ce concerto qu’il maîtrise à la perfection. Le style est élégant, plein d’humour, allant de la majesté à la plus délicate fantaisie. Le son du flûtiste franco-suisse est tout simplement unique associant une virilité assumée à la délicatesse de sonorités d’un instrument proche du divin. En somme un elfe avisé, aussi puissant que délicat s’incarne dans l’instrument, dont on dit qu’il est d’origine mythique. Le souffle est long, les nuances variées et les détachés soignés, les phrasés sont de belle ampleur. Le son est profond, pas trop métallisé, plein et vigoureux jusque dans les piani les plus impalpables. Le vibrato n’est pas envahissant et parfaitement maîtrisé. Un son reconnaissable entre beaucoup par sa présence sans surbrillance métallique. La composition de Nielsen est surprenante de maturité sans faiblesse et sans concession au joli. Le charme tonal de la partition est agrémenté de surprenants dialogues entre la flûte et les instruments les plus improbables comme la timbale ! Poésie, humour, sensualité et bel canto irriguent cette belle interprétation amoureusement dirigée par un Joseph Swensen attendri. L’orchestre du Capitole se montre parfaitement équilibré et soigné dans toutes ses interventions plénières comme solistes.
Un bis court et brillant, vif caprice de Johann Quantz, compositeur et professeur du monarque flûtiste Frédérik II a remercié l’enthousiasme du public. Le timbre est cette fois peut-être un peu lourd pour cette musique encore très classique même si Quantz est le père de la flûte moderne…
…puis un monial nous ouvrent la porte de l’infini
Une belle œuvre originale et plaisante, interprétée par un Elfe distingué ont formé notre oreille à la beauté pour ce début de programme, ouvrant la porte au surnaturel.
La pièce maîtresse, la huitième symphonie de Bruckner, immense parmi les grandes, laisse un souvenir unique. Tout d’abord il faut signaler une chose impossible encore il y a peu, l’Orchestre du Capitole a tous les moyens pour être convainquant dans Bruckner qui n’est plus l’apanage des seuls orchestres du « top 20 ». Le défi technique est à signaler, 90 minutes de musique de cette difficulté, exigeant un tel degré de concentration n’est pas chose banale. L’orchestre du Capitole est admirable d’engagement et de splendeur sonore ce soir. De notre place, un déséquilibre entre deux masses instrumentales a signé un petit manque de maturité, ouvrant des pistes de travail à venir. En effet les cuivres graves ont manqué de nuances (se cantonnant au forte) et les violons de présence dans les grands tutti. Cette distinction par famille est liée à la composition brucknérienne héritée de l’orgue qui utilise les instruments par plans entiers mais aussi de la disposition martiale, au carré comme chez les romains, de chaque famille instrumentale, évitant les courbes dans la disposition habituelle qui privilégie le mélange des sons. La lisibilité de la composition a ainsi été renforcée, la qualité des pupitres aussi.
Reste à parler du rôle de Joseph Swensen qui en a intrigué plus d’un. Si dans le concerto il a semblé diriger l’orchestre, donnant les entrées, dessinant nuances et phrasés, seul la battue souple a semblé classique dans la symphonie. Les tempi ont été d’une sublime lenteur réalisant une abolition du temps. La communication entre lui et l’orchestre a été d’un autre ordre, probablement proche de la transe mystique. Centré sur un vécu intérieur profond ; comme hypnotisé par lui-même, Joseph Swensen a dirigé à la manière d’un gourou, ou d’un monial dégagé des humaines contingences. Seul un travail long et en profond respect avec l’Orchestre du Capitole reposant sur des années de complicité a rendu un tel moment possible. En lui-même centré, souriant parfois, le chef a dégagé la symphonie des notions solfégiques pour n’en garder que la quintessence du voyage mystique, en totale apesanteur, annihilant espace et temps. Même la notion de mouvement a disparu au profit de l’ensemble. Toutefois c’est l’adagio sublime entre tous qui a bénéficié le plus de cette sorte de désincarnation. Le crescendo final a réussi à ouvrir pour nous la porte des étoiles. Il a résulté de tout cela un Grand et beau voyage, sans faux-pas, avec un orchestre superbe par un chef ivre de métaphysique, dans lequel l’auditeur perdait souvent toute capacité d’analyse profane.
Un grand moment !
Toulouse. Halle-aux-Grains. Le 8 Juin 2011. Carl Nilsen (1865-1931) : Concerto pour flûte et orchestre ; Anton Bruckner (1824-1896) : Symphonie n° 8, en ut mineur, A 117. Emmanuel Pahud, flûte ; Orchestre National du Capitole ; Direction : Joseph Swensen.