Magnifiques instants de grâce avec le retour in loco de Tugan Sokhiev, insufflant à son orchestre une énergie généreuse porteuse d’absolu. Un concert récent nous avait proposé la suite pour orchestre Shylock de Gabriel Fauré, belle et agréable mais toutefois inférieure à la sublime action poétique que représente celle de Pelléas et Mélisande. En cinq sections subtilement agencées Gabriel Fauré nous invite à un voyage dans l’univers poétique et délicat de cette histoire d’amour aussi pure qu’impossible. Dès les premières mesures, il est certain que l’évocation de ce couple si touchant va nous faire défaillir. La direction engagée et souple de Tugan Sokhiev, une recherche de nuances les plus infimes et une précision rythmique d’une netteté rare nous subjugue. Ce son si français en sa clarté et son élégance est une vraie bénédiction pour cette musique qui y trouve un épanouissement complet. Héritage du grand Michel Plasson qui en a fait une carte de visite mondialement appréciée cette sonorité si belle, douce et acidulée à la fois s’est développée, l’orchestre y ajoutant à présent une précision rythmique frappante. Dirigée comme la plus subtile musique de chambre, les agencements de timbres, les subtiles nuances associées, les couleurs assumées et la légère retenue du phrasé offrent une interprétation idiomatique. La Sicilienne si délicate en sa mélancolie suggérée est parfaitement réussie avec une harpe et une flûte inoubliables de délicatesse. La fin dramatique est portée par un souffle épique en ses larges phrases sculptées par un Tugan Sokhiev en état de grâce.
Le souffle de l’Esprit
La deuxième partie du programme entièrement consacré à la musique française retrouve la magie de Pelléas et Mélisande. Ravel en ses Valses nobles et sentimentales a été un cheval de bataille de l’orchestre sous l’ère de Michel Plasson. Assumant un héritage magnifique Tugan Sokhiev affronte avec panache le souvenir de l’aîné et lui rend hommage. L’orchestre déploie ses plus belles qualités de timbre et de phrasé. Tugan Sokhiev, en état d’apesanteur demande des rubati chavirants, des accents d’humour noir décapants à la manière de la Famille Adams. Un Ravel malicieux, un peu sulfureux, dans des valses méphistophéliques chics.
Le final en forme d’apothéose, est digne des pièces les plus follement brillantes du ballet, tel le Mandarin Merveilleux ou le Sacre de Printemps. Bacchus et Ariane en sa suite n°2 de Roussel atteint au grandiose. L’orchestre est poussé dans ses derniers retranchements et donne tout. Au premier violon, Geneviève Laurenceau galvanise les pupitres des violons avec sa présence magnétique. Les cors, les bois, les percussions exultent en des moments extravertis splendides.
Le résultat est enthousiasmant. La direction de Tugan Sokhiev entretient une urgence qui tient tous les sens en éveil. La dramaturgie est transparente et la sauvagerie de ce mythe antique prend toute sa place dans une bacchanale terrifiante et jouissive. Les spectateurs ont fait un triomphe à leur orchestre et leur chef retrouvés en des sommets, jamais atteints cette saison. Que l’avenir s’annonce radieux en cette chaleur estivale ! Le souffle de l’Esprit de la musique nous a emporté bien loin.
Toulouse. Halle-Aux-Grains, le 7 avril 2011. Gabriel Fauré (1845-1924) : Pelléas et Mélisande, musique de scène, op.80 ; Boris Tishchenko (1939-2010) : Concerto pour Harpe et orchestre, op.69 ; Maurice Ravel (1875-1937) : Valses Nobles et sentimentales ; Albert Roussel (1869-1937) : Bacchus et Ariane, suite n°2, op.43. Irina Donskaya, harpe. Orchestre National du Capitole. Tugan Sokhiev, direction.