lundi 7 juillet 2025

Toulouse. Halle-Aux-Grains, le 3 décembre 2010. Kurtág, Britten, Chostakovitch… Orchestre National du Capitole de Toulouse Tugan Sokhiev, direction

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Sokhiev, un moderne accompli

Le parti pris artistique de Tugan Sokhiev, ses goûts et sa détermination sans faille portent ce soir un de ses plus beaux fruits. Ce programme entièrement consacré au XXème siècle sort complètement des sentiers battus. Et le public nombreux et ravi a été entièrement conquis.En première partie Stele du compositeur polyglotte d’origine hongroise, György Kurtág, nécessite un très imposant effectif orchestral. Pas loin de 120 musiciens occupent ainsi le vaste plateau de la Halle aux Grains. Cette pièce en trois parties révèle des moments d’une intense poésie, dans une orchestration particulièrement originale. Kurtág a très peu composé pour grand orchestre. Cette pièce l’a été pour l’orchestre Philharmonique de Berlin crée en 1994 sous la direction de Claudio Abbado. Des micro-intervals (dès les premières mesures), des longues complaintes (sublime Lamento), des rythmes tonitruants et des harmonisations très originales (6 flûtes, cymbalum et harpe), des nuances allant de l’assourdissant à l’impalpable permettent à Tugan Sokhiev et son orchestre d’oser une interprétation très théâtrale. L’argument qui sous-tend la partition est manifeste : un mourrant sur un champ de bataille conscient de son état et de la détresse de ses compagnons alentour s’en détache, complètement subjugué par la beauté d’un ciel bleu étincelant. Les dernières notes ouvrent sur cet ailleurs surnaturel si beau échappant au réel abominable.
La suite symphonique tirée de Peter Grimes de Benjamin Britten comprend 4 Interludes marins tirés de l’opéra mais en en bousculant l’ordre. L’agencement symphonique, se passant du chœur dans Dawn, met admirablement en valeur les possibilités d’un orchestre symphonique lors d’un concert tout en ouvrant un large espace sur les beautés et danger de la Mer du Nord. Très maîtrisé et concentré, d’une battue à la clarté sublime, Tugan Sokhiev obtient des toulousains, et le silence dans la salle (mais que de tousseurs entre les intermèdes), et un engagement de tous les instants de ses musiciens. Dès les premières mesures, la transparence et la pureté des cordes est un émerveillement. Puis cuivres et bois colorent admirablement cette aube naissante. Sunday morning ensuite permet de déguster une précision rythmique et une clarté de phrasé admirable avec une science des nuances et des couleurs du meilleur effet. Moonlight est certainement l’interlude qui atteint au plus haut niveau avec une beauté de tous les instants et une onctuosité rendant palpable la qualité de l’eau reflétant la lune entre les navires du port. Les silences sont habités et le temps s’arrête. La mélancolie de cet interlude, bénéficie certainement de ce quelque chose d’infiniment russe et noble dont Tugan Sokhiev est héritier et qu’il offre à la phalange toulousaine qui s’en saisi avec gratitude. Le final de la suite orchestrale est cette extraordinaire Storm. Si les tempêtes maritimes ne sont pas rares à l’opéra il faut reconnaître que la science de l’orchestration de Benjamin Britten permet une description aussi réaliste que poétique en une force de suggestion des plus marquantes. Les cuivres et les percussions de l’Orchestre du Capitole dans ce final se taillent la part belle avec une énergie débordante. La battue implacable de Tugan Sokhiev semble se rire de difficultés inhérentes à cette pièce virtuose. Le dosage parfait des nuances est un vrai bonheur ménageant des effets puissants. Et la phrase surnaturelle issue de la rêverie de Peter a l‘ampleur nécessaire à la naissance du rêve et de la poésie.
Mais la deuxième partie du concert ne sera pas moins réussie avec la très rare première symphonie de Chostakovitch. Certes elle est très classique et reste avant tout un hommage révérant aux maîtres. Savoir que la symphonie 1 est composée à l’âge de 19 ans est toutefois ahurissant. La personnalité riche et contrastée de Chostakovitch est déjà pleinement présente et l’art de la composition allie une vraie originalité à une science de l’orchestration déjà magnifique. Une certaine lourdeur inhérente à cette première œuvre ne peut être gommée. Toutefois la jubilation domine l’interprétation de Tugan Sokhiev qui allège considérablement là ou cela est possible tout en respectant l’emphase et le grotesque si représentatifs de l’art du compositeur russe impertinent et désespéré qui se déploiera pleinement dans ces œuvres futures mais est qui est ici déjà en germes.
Violon, hautbois, violoncelle et piano assument avec art leurs parties solistes. Mais c’est surtout l’engagement de tout l’orchestre, sa passion, son plaisir à suivre une chef si charismatique qui séduit sans retour le public comblé.
Magnifique interprétation d’œuvres rares du XXème siècle pour un concert débordant d’énergie maîtrisée.

Toulouse. Halle-Aux-Grains, le 3 décembre 2010. György Kurtág (né en 1926) : Stele op.33 ; Benjamen Britten (1913-1976) : Petre Grimes : Four Sea Interludes, op.33 ; Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n°1 en fa mineur, op.10. Orchestre National du Capitole de Toulouse ; Direction : Tugan Sokhiev.

Illustration: Tugan Sokhiev © P.Nin
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