Requiem bouleversant
Dès les premières mesures nées des plus sombres murmures de l’orchestre et du chœur la direction à main nue du chef obtient une intériorité et une musicalité d’une finesse de camée. En sculptant le son de ses mains, Tugan Sokhiev réalise une direction sensuelle et belle d’une rare élégance musicale. Très vigilant à la structure et à l’équilibre des sons Tugan Sokhiev demande et obtient des nuances d’une vraie ampleur opératique. Mais jamais la moindre ostentation, le moindre effet facile ne viennent défigurer une interprétation à la clarté aveuglante. La structure très recherchée des divers moments de ce Requiem est si limpide que rien n’échappe à l’auditeur. Il naît de cette direction si belle et si lisible une musicalité bouleversante. Les très beaux textes choisis par Brahms lui-même sont porteurs d’une telle hauteur d’humanisme débarrassé de toute religiosité rancie que l‘humain en l’acceptation de sa finitude atteint au rang de héros quasi mythique. Tugan Sokhiev qui semble converser avec l’au-delà, transcende la matérialité, agit en médium qui associe les énergies pour offrir aux auditeurs une interprétation de ce Requiem qui nous touche profondément. Il ne semble faire qu’un avec le superbe Chœur de Orfeó Català. La beauté des pupitres, leur parfait équilibrage confirme la réputation brillante de ce Chœur. Les nuances sont réalisées avec une facilité déconcertante, les timbres sont d’une beauté très équilibrée avec un son clair et jeune chez les barytons, une vigueur sans forçage chez les ténors, une solidité élégante chez lez alti et beaucoup de chair et d’âme chez les soprani, sans la moindre acidité. Il y des moments fulgurants ; d’autres si touchants dans les pianissimi que les larmes sont proches. Le texte est non seulement dit mais compris avec des regards intelligents et un engagement total rares. Portées par de telles voix et des musiciens si fins les beautés du Requiem se déploient avec une évidence réconfortante. Les deux solistes font de leurs « airs » des moments de bonheur alliant sensibilité et art du chant. La voix de Garry Magee est plutôt claire et sa jeunesse séduit. La simplicité et la quasi modestie de l’interprète, qui refuse tout effet vocal, lui permettent de faire naître chez l’auditeur une identification immédiate à cette âme implorante qui recherche la paix de l’espérance. La soprano Anastasia Kalagina au timbre riche et fruité sait conduire une ligne de chant parfaite avec des piani dans toute la richesse du timbre très éloigné des voix blanches et planantes généralement associées à ce moment intime aérien. Ici le timbre si corsé incarne la tristesse qui s’apaise. L’art du chant est mis au service d’une intériorité de grande richesse.
Reste l’apport de l’orchestre qui est considérable pour la réussite de la soirée. Très concentré, très réactif aux demandes parfois très subtiles et rapides du chef, l’orchestre agit comme une entité organique, prolongement de sa direction si inspiré. Les cordes graves ont une texture soyeuse qui fait la base du son. Le pupitre des alti est somptueux de sonorités riches et rondes. Les bois sont diversement réactifs ; si le hautbois de Christian Fougeroux est fabuleux de subtilité et d’émotion, les flûtes sont un peu trop présentes et manquent de nuances piano. Les cors sont mélancoliques et les cuivres plus brillants arrivent à nuancer leurs interventions. Jamais Tugan Sokhiev ne laisse l’équilibre se décaler. Les plans sonores sont parfaitement agencés et à maintes reprises la précision rythmique donne force et énergie à la partition, qui ainsi jamais ne paraît lourde, même dans les moments si compacts. Les violons galvanisés par Geneviève Laurenceau planent et conduisent au sublime. Les interventions des harpes sont des instants de grand bonheur.
Le public conscient d’avoir vécu un intense moment d’émotion a fait une longue ovation aux interprètes.
Toulouse. Halle-aux-Grains. 28 mai 2011. Johannes Brahms (1833-1897) : Ein Deutsches Requiem, op.45. Anastasia Kalagina, soprano ; Garry Magee, baryton ; Chœur de Orfeó Català, chef de chœur, Josep Vila i Casanas ; Orchestre National du Capitole ;Tugan Sokhiev, direction.