La symphonie n°12 de Chostakovitch met en valeur la puissance de cette phalange héritière de la tradition du XIX° siècle. Chaque famille instrumentale est dotée d’une sonorité large et rien ne résiste à ces musiciens. Les nuances forte sont menées au plus loin juste avant la saturation. Car cette symphonie est comme la mise en musique d’une suite des bruits les plus terribles imaginables. Commande que nul ne pouvait refuser, on sent bien la difficulté de Chostakovitch à célébrer Lenine. La direction de Valery Gergiev est minimaliste obtenant à mains nues de son orchestre ce qu’il veut avec des prises de risque audacieuses. La confiance qui lie ce chef et ces musiciens depuis 1988 porte ses fruits. Puissance, panache, audace et splendeur sonore permettent à cette symphonie un peu raide, de décoller comme rarement, provoquant l’enthousiasme du public par une musicalité sublimée et inattendue.
Mais c’est bien la cinquième symphonie de Mahler qui va consacrer la soirée comme la plus stimulante connue par la Halle-aux-Grains depuis longtemps.
Gergiev, un magicien sorcier des sons
Cette interprétation ne sera pas au goût de tous car le parti pris de Gergiev est maîtrisé et serein. La battue est exacte avec très peu de ralentis, une pulsation sourde, comme une basse continue invincible, anime constamment l’avancée des thèmes, surtout dans les deux premiers mouvements. Quand cette symphonie peut plomber l’âme par sa noirceur et sa tristesse, ce soir la fine musicalité, la richesse des rythmes toujours soulignés, et la beauté des sonorités révèlent un certain degré d’hédonisme que nous ne connaissions pas à ce chef, d’habitude plutôt fougueux et même vigoureux. Les mouvements sont enchaînés sans rupture de la solution de continuité, évitant pathos et larmoiement (après l’Adagietto tout particulièrement quand d’autres prennent la pause).
Mais dès les premières mesures de la symphonie c’est la trompette solo qui d’une voix pure et claire lance le mouvement. Cet admirable musicien fera des merveilles toute la soirée semblant se rire de toute notion de technique tant sa trompette semble pouvoir tout. Il en ira de même du cor solo absolument sidérant de présence aristocratique. Jamais le coté chambriste et même comme une symphonie concertante pour ces deux instruments n’a été si fortement mis en valeur. Le célébrissime Adagietto sera un chant d’amour à la vie et non à la mort, comme débarrassé du pathos et des larmes artificielles dues au si beau cinéma de Visconti. Quelle simple élégance et quelle beauté radieuse dans ce mouvement dédié à la harpe et aux cordes ! Les violoncelles du Mariinsky méritent une mention particulière en raison de la beauté fauve de son unité de pupitre. Chanter ainsi comme un seul est rarissime. Les violons sont également surprenants de cohérence, révélant un médium et un grave soyeux. Les suraigus étant plus mordants qu’élégants. Le rondo final avec ses entrées fuguées et ses superpositions sans limites permet à Valery Gergiev d’oser une subtilité que nous ne lui connaissions pas. La tenue de tous ces musiciens dans ses mains et la maîtrise de tout ce qui se passe (et la partition n’est pas avare de surprises) lui permet de rendre une lisibilité totale de la richesse de ce mouvement incroyablement complexe. Le lyrisme, la vivacité rythmique, l’ampleur des phrases, tout paraît naturel et évidant, comme sculptés par les mains d’un chef heureux.
La perfection des instrumentistes semblant couler de source pour répondre aux sollicitations si aimables du chef. Un Valery Gergiev transfiguré et un orchestre au plus haut mondial nous ont offert un concert au programme généreux associant deux compositeurs puissant et grands orchestrateurs.
Vendredi et samedi prochains l’orchestre du Capitole sous la baguette de Tugan Sokhiev, cadet de Gergiev, devra relever un sacré défit pour rester sur ces sommets. La collaboration fructueuse de Sokhiev et Toulouse est toute jeune à côté des 23 ans de Gergiev et son Mariinsky …
Toulouse. Halle-aux-Grains. Le 12 mars 2012. Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie n° 12 en ré mineur, op.112. Gustave Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 5 en ut dièse mineur. Orchestre du Théâtre du Mariinsky de Saint-Pétersbourg. Direction : Valery Gergiev.