Les Eléments ont quinze ans ! Vivat, semper vivat !!
Le répertoire des éléments couvre toutes les périodes. Plusieurs compositions ont été commandées par Joël Suhubiette pour son ensemble (toutes celles entendues ce soir en première partie sauf la messe de Franck Martin). La première partie du programme, a capella, a permis de voir et d’écouter la virtuosité d’une ensemble de solistes capables de dispositions spatiales les plus complexes. Absence de Patrick Burgan permet de déguster un texte subtil et un art du chant particulièrement délicat. Les infimes nuances des chanteurs ont ouvert un monde de pure poésie. La ferveur de Lama Sabaqtani du compositeur libanais Zad Moultaka a permis de constater la virtuosité des chanteurs à utiliser sifflements, chuchotements et pleine voix toujours dans une justesse admirable. La messe de Franck Martin à double chœur prouve que la perfection stylistique du pur chant choral n’a rien perdu au fil des ans.
Cette partition du compositeur suisse est de relative jeunesse, elle semble sœur de celles écrites il y a près de 400 ans par les grands maîtres. Mais c’est le final de cette première partie qui restera comme le moment le plus impressionnant de tout le concert. Médée honnie par un chœur d’homme ose ensuite les affronter en hurlant son malheur, puis les femmes se lamentent. La superposition de ces trois discours puissants conduit à une vigoureuse émotion proche du malaise tant l’intensité est gigantesque. L’intervention finale comme décalée de Cendrillon permet une détente que quelques instants plus tôt personne ne croyait possible. Cette partition aussi originale que d’une éloquence redoutable d’Alexandros Markeas date de 2010. Les élements en font un moment de folie en musique des plus inquiétants. La perfection vocale de tous les instants permet la montée en puissance d’une émotion très particulière.
Si le répertoire a capella tant ancien que contemporain est un fer de lance des élements, cet ensemble s’est fait une autre spécialité de la musique baroque. Pour la deuxième partie l’orchestre des Passions de Jean-Marc Andrieu est venu au grand complet jouer le Magnificat de Bach. Il a fallu un peu de temps afin de caler tout ce monde (les trompettes naturelles ont le plus souffert) puis la direction de Joel Suhubiette est arrivée à rassembler orchestre, chœur et solistes devant l’énergie de sa battue, privilégiant toujours la rythmique impeccable aux phrasés. Anne Magouët a, de son soprano facile, illuminé ses deux airs. Le contre-ténor Pascal Bertin a su habilement négocier ses interventions tandis que le ténor Raphaël Bremard et la basse Jean-Claude Saragosse ont semblé souffrir du manque de liberté laissée aux chanteurs par une direction parfois trop soucieuse de précision rythmique.
En bis l’ouverture de la cantate 140 de Bach après des premières mesures floues a ouvert un espace sonore de toute beauté avec les sopranos réparties dans la salle pour un cantus firmus d’une splendeur quasi surnaturelle. Ont ainsi été plébiscités un ensemble et son chef dont l’excellence offre toujours une grande satisfaction au public le plus exigeant.
Toulouse. Halle-aux-Grains. 20 octobre 2012. Patrick Burgan (1960) : Absence (2003), pour chœur a capella ; Zad Moultaka (1967) : Lama Sabaqtani (2009), pour chœur a capella ; Franck Martin ( 1890-1974) : Messe pour double chœur a capella ; Alexandros Markéas (1965) : Medea Cinderella ( 2010) , pour chœur mixte a capella ; Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Magnificat en ré majeur, BWV 243 ; Anne Magouët, soprano ; Pascal Bertin, contre-ténor ; Raphaël Bremard, ténor ; Jean-Claude Saragosse, basse ; Choeur de chambre les éléments ; Orchestre les Passions (direction: Jean-Marc Andrieu) ; Direction : Joël Suhubiette.