Beau programme de musique Française
Ainsi ce soir a été un hommage au travail de longue date initié par Michel Plasson et une proposition d’œuvres rares au public toulousain, pour un deuxième concert en direct après un programme russo-germanique de haut vol. Mais c’est un peu au détriment de la gloire du chef, qui ne brille pas à son zénith dans un répertoire dont il ne maîtrise pas encore tous les enjeux. Mais c’est aussi cela le travail d’équipe, ne pas tirer la couverture à soi et permettre aux autres de s’exprimer et de les aider à briller. C’est un peu ce qui a eu lieu ce soir avec un chef généreux, prenant des risques. Déjà avec ce placement qui met les contrebasses au fond à gauche l’impact du soubassement grave est différent mais là ce sont même les timbres qui ont été comme rendus plus irréguliers avec des cordes pas toujours lisses (et même très agressives dans le final de Harold), des cuivres abruptes se laissant aller à tuber certains sons, même les cors ont eu un coté rustique. Un orchestre plein de romantisme sonore, en somme, évocateur de celui de Berlioz en 1834.
De la Suite de Massenet, rien de vraiment inoubliable ne restera avec ce merveilleux de commande aux effets faciles. L’orchestre rutile et caracole et la vivacité l’emporte. La direction est amusée et distribue les cartes afin de construire un kaléidoscope à la fois pompier et irrésistiblement kitsch. Un hors d’œuvre riche en épices.
La symphonie de Bizet, unique et datant de sa fin de formation (il avait 17 ans !), garde un charme tout particulier tant la vivacité et la lumière en sont claires. Tugan Sokhiev accentue les tempi. Le premier mouvement est comme sage et sûr de lui, développant courbes et nuances à l’envie. Les pizzicati sont légers, les bois souplement articulés et les couleurs sont constamment tendres. Le rythme rebondit et avance sans arrêt intempestif ; même les appels des cors sont porteurs de mouvements allants. C’est le deuxième mouvement, au tempo étiré, qui offre la plage de rêverie attendue, bouleversante à un niveau bien plus haut que celui de la convention. Le hautbois est hallucinant de longueur de souffle et de poésie. Les autres mouvements passent agréablement sans toutefois atteindre un tel moment d’émotion. La rapidité du final sert la virtuosité de l’orchestre au détriment de la précision des détails. Mais l’humour et la tendresse sont bien présents dans la direction de Tugan Sokhiev et cette version de la symphonie de Bizet permet d’en découvrir des beautés encore ignorées.
Harold en Italie débute avec le premier mouvement évoquant Lord Byron en de sombres Abymes et ses cimes étincelantes. Antoine Tamestit est un altiste de grande sensibilité, à la musicalité délicate et passionnée. Son engagement physique dans cette partition bien plus subtile que virtuose est un régal. Les nuances sont adroitement amenées (la seconde exposition du thème semble un songe) et tout l’univers romantique se déploie sous ses envolées lyriques. Les sonorités fauves et chaudes de l’altiste sont un enchantement. Le deuxième mouvement est un peu trop sage et comme privé d’émotion, la marche des pèlerins manque ainsi un peu d’intériorité. La sérénade fait penser à quelque fête paysanne avec des sonorités et des phrasés un peu prosaïques du plus bel effet. Le final est tonitruant avec des brigands inquiétants et violents, une vraie orgie de monstres furieux ! Tugan Sokhiev se révèle grand coloriste. L’énergie ne manque jamais dans cette pièce au romantisme échevelé, mais une forme de poésie est parfois oubliée à l’orchestre, alors qu’Antoine Tamestit est engagé dans une interprétation sensible et musicalement pleine de subtilités, toujours à l’écoute d’un orchestre dont il semble admirer les sonorités richement variées.
Fête est faite à Antoine Tamestit, un altiste si doué, qui dans un bis admirable de sonorité pleine et de phrasés subtils séduit un public enthousiaste autant que ses collègues de l’orchestre.
Une soirée festive toute à l’honneur de la musique française en sa variété et sa richesse, même si ce n’est pas le répertoire le plus à même de mettre en valeur toutes les qualités de Tugan Sokhiev.
Toulouse. Halle-aux-Grains. 13 janvier 2012. Jules Massenet (1842-1912) : Suite n° 6 pour orchestre, Scènes de féerie. Georges Bizet (1838-1875) : Symphonie en ut. Hector Berlioz (1803-1869). Harold en Italie, symphonie avec alto obligé, op.16. Antoine Tamestit : Alto. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Direction : Tugan Sokhiev.
Illustration: Antoine Tamestit © E.Larrayadieu/Naïve