mardi 6 mai 2025

Toulouse. Capitole, le 21 mai 2011. Haendel : Belshazzar. Kenneth Tarver, Rosemary Joshua… Akademie für Alte Musik, Berlin. René Jacobs, direction. Christof Nel, Christoph von Bernuth, mise en scène

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Quand on sait le désastre d’un récent Messie profané à la scène, on ne mesure que mieux le respect qui a conduit au succès mérité de cette production d’un somptueux oratorio de Haendel : Belshazzar datant de 1744. Le maître d’œuvre musical mérite toute notre confiance tant on sait l’exigence de René Jacobs. Il est associé à deux metteurs en scène de grande musicalité, Christof Nel et Christophe von Bernuth, dont le travail très fin non seulement respecte la partition, ce qui est rare, mais la magnifie. Ainsi la dramaturgie est transparente, simple, sans surcharge, et fait la part belle à un jeu d’acteur très vivant, y compris pour le chœur qui a une place prépondérante avec de fortes individualités. Les images sont limpides et belles, ainsi la solitude du pouvoir au haut de terrasses, la débauche associée au pouvoir, la simplicité de la foi et le dépôt des armes en tas car devenues inutiles après la chute de Babylone, le sang qui inonde les marches du pouvoir, la mère qui pleure son fils sur ses genoux même s’il fut tyran.

Admirable Belshazzar

En cette période troublée, la modernité des propos n’a pas besoin de mise au goût du jour douteux pour en éclairer le sens. Avec des décors simplissimes, une suite de terrasses, un drap sombre servant de fleuve, des bouteilles suggérant l’ivresse et la débauche. La beauté des costumes et la facilité des chanteurs à les porter est également bien vue. Les lumières sont de qualité et tout est très fluide sur scène.
Au niveau lyrique les chanteurs sont des acteurs agréables tous dotés de voix agiles et bien timbrées. La vocalité haendélienne si exigeante est toujours mise en valeur. La richesse en vocalises des reprises des dacapo signe le travail rigoureux de René Jacobs et l’habilité des interprètes. C’est Rosemary Joshua, dans le rôle sensé et sensible de la mère aimante du tyran, par sa classe et l’élégance de son maintien comme de son chant, qui restera dans les mémoires. L’intelligence des reprises avec quelques suraigus, la précision des vocalises et l’émotion dégagée par la musicalité de la cantatrice sont un bonheur rare. La beauté du timbre profond de Kristina Hammarström dans le rôle du sage prophète Daniel fait merveille. L’incarnation est magistrale tant scénique que musicale. Belshazzar est ce Roi ivre de pouvoir, irrespectueux et aussi ridicule que capable d’actes sadiques (y compris incestueux vis-à-vis de sa très belle mère). Cette incarnation montre, hélas éternellement, que le pouvoir corrompt l’âme par la recherche de jouissances excessives. La voix de ténor de Kenneth Tarver est presque trop belle pour le rôle ! Les vocalises sont réalisées avec efficacité et le jeu de l’acteur est très habile, son Belshazzar a toute la carrure nécessaire à un tyran intemporel. En héros biblique réparateur des injustices, Cyrus, le contre-ténor Bejun Metha tire bien son épingle du jeu. Sans avoir la vaillance nécessaire, mais c’est un peu la faiblesse de ces voix peu naturelles, il arrive à paraître inspiré crédiblement par Jehovah avec un certain charisme scénique. La voix est très homogène, sans timbre très riche mais avec suffisamment de présence pour passer la rampe. Une certaine fragilité sied bien au personnage.

Les chanteurs du RIAS Kammerchor sont simplement exceptionnels de présence vocale et scénique. Par d’habiles mouvements ils sont tour à tour chœur Hébreux, Perses ou Babyloniens. Le public a fait un immense succès à ce superbe chœur capable de nuances très profondes, de précision chirurgicale dans les vocalises et surtout de phrasés d’une très fine musicalité. L’homogénéité des pupitres fait rêver. Dans la fosse un orchestre très important, à la fois riche et onctueux apporte beaucoup de couleurs à la partition de Haendel. La direction de René Jacobs est généreuse et assure une parfaite communion entre fosse et scène. Les nuances qu’il demande aux chanteurs en terme de piani irréels est soutenu avec amour par un orchestre qui peut aller jusqu’à une impression de voile diaphane. Mais lorsque les trompettes naturelles entrent en action, avec les timbales les ressources de puissances de l’orchestre sont considérables. Appréciant autant les voix que la beauté des timbres des instruments, René Jacobs lie tous les ingrédients assurant un succès considérable à cette production. Il faut dire qu’il bénéficie des instrumentistes baroques les plus précis du monde avec l’Akademie für Alte Musik Berlin. Cette production qui a déjà fait les délices du public du festival d’Aix l’été dernier est coproduite par le Capitole, le Theater unter den Linden, Berlin et Les Insbrucker Festwochen der Alten Musik. Elle a bénéficié d’une très belle prise de vue à Aix. Le DVD et Blueray ont été diffusés à l’occasion de cette reprise capitoline. Le soin apporté à cette superbe partition d’Haendel mérite une reconnaissance au plus haut et l’enregistrement vidéo qui l’immortalise est précieux. C’est la mise en commun qui scelle un travail d’équipe exemplaire, cohérent et beau jusque dans sa captation vidéo.

Toulouse. Capitole, le 21 mai 2011. George Frédéric Haendel (1685-1759) : Belshazzar, oratorio en deux parties. Mise en scène : Christof Nel, Christoph von Bernuth ; Collaboration artistique : Martina Jochum ; Décors : Roland Aeschlimann ; Costumes : Bettina Walter ; Lumières : Olaf Freese, Mickael Torjmann. Belshazzar : Kenneth Tarver ; Nitocris : Rosemary Joshua ; Cyrus: Bejun Mehta ; Daniel Kristina Hammarström ; Gobryas Neal Davies ; Arioch : Edmund Hastings ; Un messager : James Birchal ; RIAS Kammerchor, chef de chœur : Timothy Brown ; Akademie für Alte Musik, Berlin ; Direction : René Jacobs.

Illustration: © P.Nin

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