vendredi 9 mai 2025

Toulon. Opéra. Le 14 février 2010. Astor Piazzola: Maria de Buenos Aires. Nouvelle production. Orchestre de l’Opéra de Toulon, direction musicale : Philippe Lesburgueres. Chorégraphie et mise en scène

A lire aussi
Maria de Buenos Aires…

Il faut s’estimer heureux de nos trois opéras régionaux, de leurs
judicieuses programmations et créations hors des sentiers battus :
Marseille nous a offert la rare Saint of Bleecker street de Menotti,
Avignon, un Amadis de Lully pratiquement inconnu depuis des siècles
sous sa forme scénique ; Toulon avait déjà programmé un Lully, une
Psyché avec rien moins que le livret de Corneille et Molière et
s’apprête à présenter la création française de Street scenes de Kurt
Weill. Mais, avant, pour la poésie et le drame urbain, il y a eu cette
nouvelle production de María de Buenos Aires (1968), operita,
littéralement ‘petit opéra’ d’Astor Piazzola, qui mêle, à une superbe
musique qui emprunte son fond au tango et au folklore argentin, jazz
et musique classique, du chant, de la parole et de la danse.

L’œuvre
En 16 tableaux, l’œuvre évoque la vie et mort de María, incarnation à
la fois du tango et de Buenos Aires, sa naissance, « l’insulte à la
bouche », « un jour où Dieu était ivre » et cafardeux, sa grandeur et
sa décadence : fleur du pavé, du trottoir, fleur du mal des bordels
huppés jusqu’à la flétrissure et la fin, fleur fanée du caniveau. Pour
un opéra, c’est bien narratif, écueil du théâtre qui est action, et,
dans l’œuvre originale, cela s’épaissit d’allégories et d’allusions
argentino-argentines et se complique de l’Ombre, de l’Esprit, de Voix
hétéroclites (« d’hommes revenus du mystère », « d’anciens voleurs »,
« de pétrisseuses de macaronis », « de Psychanalystes », « de
Marionettes », de « Mages », etc). Les textes chantés, peu nombreux,
sont des sublimations poétiques d’étapes de la vie de María mais peu
explicites pour éclaircir un propos confus, ceux du récitant, guère
plus éclairants. On comprend alors qu’Érick Margouet, à la tête du
Ballet de Toulon, ait voulu donner à la danse le pas sur une parole au
fond évanescente et un propos diffus. Quitte à créer, dans le langage
tout aussi crypté de la danse, un autre problème de compréhension : à
être trop explicite, la danse devient illustrative et redondante,
« mimodramatique », mais trop abstraite, laisse le sens indéterminé.
Difficile équation. Il est logique que la María qui chante soit doublée
par celle qui danse, son Ombre ou, plutôt, l’inverse puisque la
danseuse est une vive flamme (Mylène Souteirat), alors que la chanteuse
est son envers sombre, en voix e costume, les deux résumées en la
mignonne fillette, María enfant ( Eléonore Margouet).

La réalisation
D’entrée, la scénographie habile de Luc Londiveau, un fond de scène
avec une sorte de galerie de portiques qu’on voit dans les Eros center
allemands, ou évoluent et se montrent, comme en vitrine, les filles,
crée l’ambiance érotique ; mais ce canapé avec la femme affalée et
offerte, sous les lumières de Jacques Chatelet, rouges, orangée, en
clairs-obscurs caravagesques, ces ombres portées expressionnistes,
donne le juste ton : nous sommes bien dans l’atmosphère d’un bordel de
Buenos Aires, tel celui chanté par le célèbre tango A media luz :
pénombre propice et sofas accueillants. Les « traînées » traînées par
les hommes sont aussi un signe qui signe une mise en scène subtile de
Margouet. Tout au long, la beauté de la lumière accentuera le
ténébrisme si cher au tango sur des fonds de scène rougeoyants, des
voiles rouges, avec des effets de robes années 30, noires de papillons
de nuit, où se détachera la robe à volants rouge de sang vivant de
María (José Gomez et Margouet).
Dans cette atmosphère prenante, sensuelle, les grands ciseaux des
lignes des jambes et des bras de la chorégraphie sont bien stylisés de
la rhétorique visuelle du tango et on aime de troublants pas de deux
et, dans les ensembles, celui, funèbre, de la mort est admirable.
Cependant, on éprouve une certain regret du vocabulaire trop
strictement néo-classique de la danse qui prend le pas sur le tango, la
milonga, la zamba, sans que cela semble apparemment s’ériger en un
discours porteur de sens, il est vrai, dans une œuvre dont les lignes
sont difficiles à discerner : elles semblent alors comblées par une
prédominance du décoratif sur le dramatique, sauf justement la mort,
bien sentie.
Parfois, la danse, dispersant l’attention, parasite un peu le jeu des
chanteurs, notamment les danseurs hommes dans la scène si tendre de la
petite fille bercée avec émotion par la voix de roc et de miel humain
du baryton José Luis Barreto, chanteurs par ailleurs remarquablement
intégrés à l’action, avec des mouvements, une gestique de la
bouleversante Sandra Rumolino, mezzo, qui répondent bien à la danse de
son ombre portée et dansée, la belle Mylène Souteirat, soliste. Le
récitant, Jorge Rodriguez, est physiquement bien mis en scène, en
attitudes et postures qu’on dirait de compadrito à Buenos Aires, petite
frappe populaire à prétentions d’élégance. Malheureusement, son
affectation poussée d’accent porteño, aggravée d’une mauvaise
élocution, le rendent incompréhensible alors que les deux chanteurs,
avec un bel accent typique, ont une admirable diction qui fait savourer
cette langue des faubourgs dont se nourrit le tango et, en particulier,
celle du librettiste Horacio Ferrer.
Et c’est, dans ce pourtant beau spectacle, une autre lacune qu’on
regrette : l’absence de surtitres qui auraient donné à entendre, aux
non hispanophones, les belles trouvailles poétiques dont je n’ai capté,
au vol et au fil rapide de la plume, que quelques éclats, que je
traduis : « un chœur de coups de couteaux », « saignée aux sept
couteaux », « un reste de cendres entanguisé», « je suis en deuil de
mon propre souvenir », « l’argent triste d’un autre fleuve ».
Il reste que, ce petit orchestre de solistes a servi magnifiquement,
sous la direction passionnée et respectueuse de Philippe Lesburgueres,
cette musique soulevée de la houle déchirante du bandonéon (William
Sabatier) couronnée de l’écume légère des violons.

Toulon. Opéra. Le 14 février 2010. Astor Piazzola: Maria de Buenos
Aires. Nouvelle production. Orchestre de l’Opéra de Toulon, direction
musicale : Philippe Lesburgueres. Chorégraphie et mise en scène :
Erick Margouet ; scénographie : Luc Londiveau ; costumes : José Gomez
et Erick Margouet ; lumières : Jacques Chatelet . Distribution : Sandra
Rumolino, mezzo ; Jose Luis Barreto, baryton ; Jorge Rodriguez,
récitant. Ballet Opéra de Toulon : Mylène Souteirat, soliste : María .
Eléonore Margouet : María enfant

Illustration : ©Frédéric Stéphan

Derniers articles

LILLE PIANO(S) FESTIVAL 2025, les 12, 13, 14 et 15 juin 2025. Orchestre National de Lille, Jean-Claude Casadesus, Orchestre de Picardie, Antwerp Symphony Orchestra,...

La 22e édition du Lille Piano(s) Festival promet d'être mémorable : festive, diversifiée, accessible… Au programme : une soixantaine...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img