lundi 5 mai 2025

Théodore Dubois, Hérold, l’Opéra Français, Henri Rabaud… 4 nouveaux ouvrages aux éditions Symétrie

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4 nouveaux ouvrages chez Symétrie
Réviser nos repères romantiques

Superbe première moisson de parutions très attendues chez l’éditeur lyonnais Symétrie. En partenariat avec le Centre de musique romantique française, le Palazetto Bru-Zane, Symétrie fait paraître au printemps 2009, 4 opus au contenu défricheur qui, propre à l’objet du Centre récemment créé, redéfinit notre connaissance du romantisme français quitte à bouleverser nos repères. Les 4 titres appartiennent à la collection « Perpetuum mobile » que nous a présentée sa directrice Malou Haine, lors du dernier Salon Musicora 2009. Voir la vidéo des éditions Symétrie à Musicora 2009. Lectures capitales


Henri Rabaud: Correspondance et écrits de jeunesse

Symétrie s’intéresse à un compositeur méconnu et pourtant majeur. Ses lettres de jeunesse, commentées et annotés découvrent la force d’une conscience musicale aiguë, active, perfectionniste. Redécouverte totale.
Compositeur français à la charnière entre le XIXè et le XXè, trentenaire en 1900, Henri Rabaud (1873-1949) est relégué à l’ombre des « grands » tels Debussy et Ravel. Dès son séjour à la Villa Médicis, comme grand prix de Rome (1894), le jeune compositeur affirme une pensée affûtée, déterminée, déjà mûre en bien des points. Il y choisit déjà ses genres, sélectionne les pistes musicales qui lui seront familières comme auteur. Les lettres réunies et commentées ici (adressées par le pensionnaire académicien à Halévy et Max d’Ollonne) dévoilent l’activité d’un compositeur habité par le souci de modernité qui souhaite soigner le beau son et parfaire les modes expressifs du langage musical.
A Halévy, Rabaud avoue sa passion pour l’opéra. Mais à son désir s’ajoute une réflexion personnelle et exigeante qui assoit d’emblée son style et son tempérament (et qui fonde toute l’intérêt du présent texte).
Assurer la transformation de la tragédie antique en drame théâtral et musical, trouver un « vrai » sujet, fort, puissant, prenant, édifiant.. on connaît le défi auquel se frotte tout créateur digne de ce nom: la scène, le chant, les arts visuels permettent au musicien et compositeur ce dépassement poétique décisif…

Henri Rabaud: Correspondance et écrits de jeunesse présentés et annotés par Michel Rabaud. 512 pages. Editions Symétrie.


Théodore Dubois: Souvenirs de ma vie

« La vie d’un petit paysan »: les mots du musicien veulent ici témoigner, non séduire, ni convaincre, surtout pas rédiger sa propre mythologie musicale (quitte à maquiller ou idéaliser). Ce qui prime ici c’est la prose modeste mais directe et franche surtout sincère d’un homme de bon sens, qui ne manque pas de discernement, d’abord sur lui-même. « Écrits au courant de la plume, les Souvenirs de ma vie ne visent en aucune façon à la recherche, à l’élégance du style. Ils racontent simplement, comme on parle, la vie d’un petit paysan que les circonstances, le travail, la volonté, ont peu à peu transformé... » (Rosnay, août 1912). Comme c’est le cas des lettres de Rabaud, jeune pensionnaire de la Villa Médicis, en publiant ses lettres à Halévy et D’Ollone, Symétrie publie dans ce volume un nouveau corpus de manuscrits autographes signés de Théodore Dubois (1837-1924).
L’auteur du Traité d’harmonie, des Sept Paroles du Christ, de la Toccata pour orgue se « raconte » ainsi: généreux, simple, sincère et pour le passionné d’histoire musicale, riche voire révélateur en anecdotes et faits historiques. L’homme dévoile tout un milieu, des affinités, des filiations, une société d’admirateurs et de conspirateurs, plusieurs vagues du goût… et par les références de ses oeuvres dont la génèse est restituée, tout un courant de sensibilité, toute une approche qui vit et produit la musique.
L’artiste au risque de surprendre par sa lenteur et la progression d’une pensée qui prend sont temps, préfère « l’évolution » à « la révolution ». Il n’a pas la fièvre ardente et mordante d’un Berlioz pour se défendre de ses détracteurs, préférant le silence et l’amertume à la riposte éclatante et argumentée. D’autant que le fidèle de Gounod ou Thomas est confronté aux secousses les plus violentes : guerre franco-allemande de 1870, Premier conflit mondial, ruptures traumatiques auxquelles correspondent les chants nouveaux de la modernité musicale dont témoigne la nouvelle vague incarnée par Darius Milhaud et Stravinsky (à laquelle l’auteur reste hermétique et critique). Le texte restitue nombre d’oeuvres aux mérites évidents que le public français et le milieu avaient décidé, en toute mauvaise foi (et mauvais discernement) de dénigrer: Symphonie française, Concerto pour violon (1897)…

« C’est une musique terrible, agressive, à faire hurler par moments, hérissée de fausses notes, de heurts violents, le tout fait volontairement, avec une adresse incontestable. Les peintres ont le genre cubiste. Eh bien! les musiciens ont maintenant le leur! », s’écrit Dubois à l’écoute déconcertée du Sacre du Printemps. En dépit des apparences, Dubois, l’ancien Prix de Rome, devenu directeur du Conservatoire, sait cependant surprendre, composant jusqu’à deux ans avant sa mort, usant de dissonances réfléchies et d’audaces rythmiques qui le placent d’emblée comme un égal de Max Bruch (1838-1920), son contemporain.
Tout le parcours du musicien est restitué par le filtre de la rétrospective subjective: l’enfance à Rosnay (jusqu’en 1854), les séjours à Paris, chez son maître Marmontel, l’admission au Conservatoire dans la classe d’Auber, l’apprentissage et le perfectionnement à l’orgue, la composition et le contrepoint auprès d’Ambroise Thomas… la fréquentation de César Franck dont il devient l’accompagnateur à Sainte-Clotilde (vers 1858)… Candidat au Concours de Rome (1861) malgré la petite vérole, … aux étapes principales de la maturation et de l’éveil musical, se mêlent aussi les souvenirs du mélomane vis à des oeuvres marquantes en création à son époque… comme les représentations scandaleuses de Tannhäuser (fin 1861)… Chaque section des Souvenirs (huit au total, de « l’enfance – Rosnay (1837-1854) » à « Période de liberté (1905-1912) »-, comportent de nombreuses notes, et un cahier iconographique de 16 pages en couleurs apportent un complément bénéfique dont la photographie de Dubois, nouvellement nommé directeur du Conservatoire (s’étonnant alors, mais avec une fausse innocence, du nombres d’amis qui se font connaître alors… portrait vers 1890).
En témoin plein d’anecdotes, Dubois qui jouait toutes les musiques de son temps, à quatre mains, avec son épouse, l’excellente pianiste, Jeanne Duvinage, laisse quantité d’épisodes révélateurs: la rencontre à Sainte-Clotilde de Franck et de Liszt, …
A celui qui demeure un « écarté » des salons mondains et des salles de concert, qui en outre fut désavantagé par un léger bégaiement, la présente édition offre un premier hommage en forme de réhabilitation.

Théodore Dubois: Souvenirs de ma vie présentés et annotés par Christine Collette-Kléo. 240 pages. Editions Symétrie.


Aspects de l’opéra français de Meyerbeer à Honegger

Le titre ajoute à la richesse sur le plan du genre catégoriel, de la collection « Perpetuum mobile » dirigée par Malou Haine, chez Symétrie. Non pas textes autographes et originaux comme Les Souvenirs de Dubois ou la Correspondance de jeunesse de Rabaud (lire nos présentations critiques de ces deux ouvrages ci dessus), mais un corpus de textes d’analyse et de synthèse qui sur le sujet des « Aspects de l’opéra français, de Meyerbeer à Honegger », rend compte des échanges du colloque de l’Université Yale en avril 2004.
L’axe qui se détache est cette « révolution gounodienne » qui s’appuie sur l’oeuvre de Gounod et s’enracine dans l’admiration que lui confirmèrent ses confrères, de Bruneau, Debussy, à Massenet, Ravel et Bizet. Avant Diaghilev et Stravinsky, Gounod s’immerge dans les oeuvres du passé, en particulier les tragédies lyriques de l’âge baroque, comme pour mieux retrouver l’admirable fusion du verbe et de la musique, grâce à l’art d’un chant déclamé et naturel. Cette approche « néo-classique en France » est évoquée et développée dans le premier chapitre « Histoire du néoclassicisme en France, de l’école de Choron au Chérubin de Massenet »: une généalogie heureusement synthétisée où se distingue l’apport spécifique du Médecin malgré lui de Gounod (1857).

Le titre de l’ouvrage générique « de Meyerbeer à Henegger » insiste aussi sur la présence des auteurs étrangers dans l’évolution du genre lyrique national, constante même avérée dans l’histoire de l’opéra français. Meyerbeer donc (dont L’Africaine créée à titre posthume en 1865, contient « la dernière pensée musicale »), mais aussi Offenbach, et Reynaldo Hahn, « vénézuélien d’origine allemande », et Honegger, « havrais de naissance mais de nationalité suisse, travaillent tous à l’illustration exigeante du théâtre musical français, en interrogeant la question centrale de la langue à l’opéra.

Miroir d’une diversité d’approches et de thématiques autour de l’opéra français, la richesse des analyses fait la valeur de ce livre aux chapitres originaux et éclairants: italianité d’Hérodiade (étude à partir du manuscrit Koch de la Beinecke Library), rapports de l’auteur et de son interprète dans le cas de Bizet et de la créatrice de Carmen: Galli-Marié (analyse de la version primitive de l’air d’entrée de Carmen), de Bruneau et de Marie Delna, créatrice de Marcelline dans L’Attaque du moulin, de Marianne dans L’Ouragan…; du comique grivois dans L’heure espagnole de Ravel (!); lecture socio-historique d’Antigone d’Honegger, un ouvrage trouble qui doit son triomphe à la France de Vichy.
Avouons pour notre part, notre lecture passionnée de « Grand siècle et Belle Epoque: La Carmélite de Reynaldo Hahn », surtout, l’article captivant d’une oeuvre jamais achevé, donc toujours fascinante: « L’opéra perdu de Claude Debussy: La Chute de la maison Usher (1908-1917) » dont le texte propose « éditon et reconstruction d’un chef d’oeuvre macabre »…
En complément, cahier central iconographique de 16 pages en couleurs dont plusieurs documents sur l’Hérodiade de Massenet et des photographies d’une production de La Chute de la maison Usher de Debussy, présentée au Festival de Bregenz 2006, dans la restitution intégrale de Robert Orledge (entre opéra et chorégraphie, le spectacle avait été un coup de coeur de la rédaction dvd de classiquenews.com et à ce titre chroniqué (La Chute de la maison Usher de Claude Debussy, 1 dvd Capriccio 2007).

Aspects de l’opéra français de Meyerbeer à Honegger. 272 pages. Editions Symétrie.


Hérold en Italie

Opportune et d’un apport bénéfique pour la meilleure connaissance d’un compositeur français romantique qui jouit d’une renom indiscutable de son vivant. La publication renseigne la vie, la personnalité et l’oeuvre de Louis-Ferdinand Hérold (1791-1833) dont la saison parisienne récente (Opéra-Comique) a rétabli Zampa. Il reste un autre chef-d’oeuvre Le Pré aux clercs à redécouvrir d’urgence. Une prochaine production parisienne?
Les textes ici regroupés en argumentent l’intérêt. D’autant qu’ils éclairent, en complément des dernières années mieux connues, ses débuts, surtout ses deux voyages en Italie (1812-1815 et 1821). D’où le titre « Hérold en Italie »: en référene à l’oeuvre de Berlioz (Harold en Italie), qui place sans irrévérence ni extrapolation, Hérold dans le cercle des meilleurs romantiques français. L’apport des sources documentaires choisies analyse ainsi le contexte musical et esthétique de cette « période de formation », auquel correspond un travail précis d’annotation et de présentation de la correspondance du jeune musicien avec sa mère, pendant son périple italien.
Le créateur en apprentissage voit et entend beaucoup à Naples, mais aussi à Vienne (il y rencontre Salieri dont il apprécie les oeuvres, mais regrette d’y subir trop d’ouvrages français…), il croise Hummel et Beethoven. Le jeune homme sait assimiler, synthétiser pour bientôt éblouir l’Europe et la scène parisienne à l’opéra. La lecture offre de nombreuses découvertes: capitale, ainsi la lecture du chapitre dédié aux ouvertures d’Hérold, illustration de la pensée symphonique française et qui révèle « l’impatience du siècle »; ou également, « la vocalité italienne dans les opéras-comiques d’Hérold, ou d’un « usage raisonnable » des ornements »; c’est aussi une évocation argumentée et vivante de « L’Académie de France à Rome au temps d’Hérold: libertés et contraintes »… ou comment les compositeurs ont apporté leur pierre spécifique à l’esthétique « officielle », et ce de façon très tardive puisque l’Académie ne leur fut ouverte qu’en 1803… après les peintres et les sculpteurs.

Hérold en Italie. Ouvrage collectif coordonné par Alexandre Dtrawicki. 448 pages. Editions Symétrie.


vidéo


Editions Symétrie (collection « Perpetuum mobile »)

Malou Haine, directeur de la collection « Perpetuum
mobile
 » (Symétrie), présente le profil des ouvrages édités avec le
Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française: collection
dédiée aux compositeurs romantiques français, correspondances, textes
autobiographiques, essais… (Musicora 2009)


Critiques de livres rédigées par Delphine Raph, Camille de Joyeuse, Carl Fischer, sous la direction d’Adrien de Vries pour classiquenews.com © 2009

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