Compte rendu, opĂ©ra. Sacrati : La finta pazza. Dijon, OpĂ©ra, Grand-Théùtre, 5 fĂ©vrier 2019. Leonardo GarcĂa AlarcĂłn / Jean Yves Ruf. CâĂ©tait une sorte dâArlĂ©sienne de lâopĂ©ra : toujours citĂ©e, jamais vue. 375 ans aprĂšs sa crĂ©ation française, Ă lâinstigation de Mazarin pour le jeune Louis XIV, Leonardo GarcĂa AlarcĂłn nous offre la production de « La Finta Pazza », redĂ©couverte quâil signe avec Jean Yves Ruf, aprĂšs leur mĂ©morable Elena, de Cavalli.  Aux sources de lâopĂ©ra vĂ©nitien comme français, cette production est créée Ă Dijon, au Grand-Théùtre, Ă lâitalienne, le plus opportun pour ce rĂ©pertoire.
HomĂšre nâest pas lâauteur de lâĂ©pisode du sĂ©jour dâAchille dans lâĂźle de Scyros, parmi les filles du roi LycomĂšde. Câest le latin Stace, qui, au premier siĂšcle, nous narre cette aventure. La mĂšre du hĂ©ros, la nĂ©rĂ©ide ThĂ©tis, lâavait dĂ©guisĂ© en fille pour le soustraire Ă son destin qui Ă©tait de mourir Ă la guerre. Ulysse et DiomĂšde le recherchent pour remporter la victoire sur les Troyens. La ruse du premier est couronnĂ©e de succĂšs, qui offre, parmi les cadeaux aux jeunes filles, un poignard, dont sâempare le hĂ©ros. Il avait acceptĂ© le subterfuge de sa mĂšre car il est Ă©pris de DĂ©idamie, fille du roi. Son dĂ©part pour la guerre conduit la jeune femme Ă feindre la folie pour retarder lâĂ©chĂ©ance et obtenir la reconnaissance de leur union, dâoĂč est nĂ© secrĂštement un enfant, Pyrrhus. Le livret de Giulio Strozzi (pĂšre de Barbara) est riche en rebondissements, variĂ© Ă souhait, et permet au compositeur de dĂ©ployer tout son art. Dieux, dĂ©esses, allĂ©gories tirent les ficelles, les humains vivent leurs sentiments, leurs passions, influencĂ©s, accompagnĂ©s, commentĂ©s par les personnages bouffons, lâeunuque et la nourrice tout particuliĂšrement.
Lâintelligence que Jean-Yves Ruf a du livret comme de la musique lui permet de composer un cadre et des mouvements qui, sâils nâempruntent rien Ă la machinerie de Torelli, flattent le regard et surprennent. Les dieux et dĂ©esses, apparaissent en suspension, mĂȘlĂ©s cependant aux querelles des humains. Des systĂšmes ingĂ©nieux de voiles, parfois translucides, vont modeler lâespace, avec le concours dâĂ©clairages de qualitĂ©. De la mer du prologue, porteuse du bateau dâUlysse, aux feuillages du dernier acte, en passant par le gynĂ©cĂ©e, tout est beau, particuliĂšrement les costumes de Claudia Jenatsch.
La musique, riche et variĂ©e Ă souhait, ne comporte pas de rĂ©elle surprise pour qui est familier de celles de Monteverdi et Cavalli. Il faut lui reconnaĂźtre une Ă©gale sĂ©duction : son caractĂšre dramatique, sa fluiditĂ©, sa vie, son invention mĂ©lodique et rythmique, ses couleurs harmoniques et instrumentales lui permettent dâĂ©pouser parfaitement lâaction. Tout paraĂźt naturel, dans la diction, dans le chant comme dans le jeu de chacun. Lâon passe insensiblement du rĂ©citatif accompagnĂ© Ă quelques phrases lyriques de haute tenue. Les rares ensembles (la canzonetta du premier acte, et le chĆur du finale) nous rĂ©jouissent. Deidamide, rĂŽle Ă©crit pour la premiĂšre prima donna de lâhistoire, Anna Renzi, est Mariana FlorĂšs, plus jeune que jamais, vive, dĂ©lurĂ©e, Ă©mouvante. La voix est toujours aussi sonore, timbrĂ©e et agile, le bonheur. Carlo Vistoli, bien connu de tous les amateurs de chant baroque, campe un Ulysse attachant. L’Achille de Filippo Minecchia est superlatif, rendant crĂ©dible cet Ă©phĂšbe amoureux qui se mue en un guerrier invincible. Kacper Szelazelk (l’eunuque) nous rĂ©gale tout autant. Au dernier, il faut Ă©videmment associer la monstrueuse nourrice de Marcel Beekman, rĂŽle bouffe dâune grande exigence vocale. Chacun des 15 chanteurs de la distribution mĂ©riterait dâĂȘtre citĂ©. Lâesprit de troupe, au meilleur sens du terme, anime tous les interprĂštes, familiers du rĂ©pertoire italien du XVIIe S, souvent rassemblĂ©s par Leonardo Garcia Alarcon. Leur entente force lâadmiration, par-delĂ leurs qualitĂ©s individuelles.  Lâinstrumentation de la basse continue que le chef a rĂ©alisĂ©e constitue un modĂšle du genre. Lâorchestre de Sacrati ne comporte que cornets et flĂ»tes comme instruments Ă vent, mais les cordes, trĂšs riches en timbres, le continuo et les percussions renouvellent les atmosphĂšres. Comme Ă lâaccoutumĂ©e, Leonardo Garcia Alarcon sculpte le son, transmet lâĂ©nergie aux solistes comme Ă sa chĂšre Cappella Mediterranea, pour le plus grand bonheur de chacun.
Ainsi, un mois avant GenĂšve, au Victoria Hall, puis Ă Versailles,  Dijon a Ă©tĂ© tĂ©moin de la rĂ©surrection de cet ouvrage, essentiel. Le public a fait un triomphe â mĂ©ritĂ© – Ă tous ses artisans. Les auditeurs de France Musique pourront dĂ©couvrir ou réécouter cette production fin fĂ©vrier.
https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/cote-d-or/dijon/opera-dijon-ressuscite-finta-pazza-opera-oublie-1619413.html (Diffusion, France Musique, Dim 24 fév 2019, 20h)
________________________________________________________________________________________________
Compte rendu, opĂ©ra. Sacrati : La finta pazza. Dijon, OpĂ©ra, Grand-Théùtre, 5 fĂ©vrier 2019. Leonardo GarcĂa AlarcĂłn / Jean Yves Ruf. Illustrations © Gilles Abbeg-OpĂ©ra de Dijon.