COMPTE-RENDU, critique, opĂ©ra. LYON, le 13 dĂ©c 2019. OFFENBACH, Le Roi Carotte. Orchestre et chĆur de lâopĂ©ra de Lyon, Adrien Perruchon. Reprise trĂšs attendue de la magnifique production donnĂ©e Ă Lyon en 2015. Avec une distribution lĂ©gĂšrement modifiĂ©e, la magie opĂšre toujours autant. Une des grandes rĂ©ussites offenbachiennes de ces derniĂšres annĂ©es. Sur scĂšne, des dĂ©cors Ă la fois sobres et monumentaux de Chantal Thomas, compensĂ©s par une richesse des costumes et des accessoires (cagettes, panier Ă salade, presse-purĂ©e, VĂ©suve en miniatureâŠ), qui finiront par susciter un vĂ©ritable enchantement visuel. On se dĂ©lecte toujours autant de cette parodie de conte de fĂ©es inspirĂ©e au dĂ©part par un conte dâHoffmann, dĂ©cidĂ©ment attachĂ© Ă Offenbach. Mais le gĂ©nie parodique du compositeur nous Ă©loigne assez vite de lâunivers fantastique, parfois inquiĂ©tant, de lâĂ©crivain allemand. Et les mĂ©saventures du Roi Fridolin (Ă©pris dâune CunĂ©gonde qui ne reconnaĂźt pas de suite le prince dĂ©guisĂ© en Ă©tudiant), qui rencontre sur son chemin la mĂ©chante fĂ©e Coloquinte, nous valent une jardiniĂšre destitution royale, Fridolin se retrouvant supplantĂ© sur le trĂŽne par une carotte tyrannique et sa cour composĂ©e de navets, betteraves et radis du plus bel effet.
On est fane !
Les costumes des lĂ©gumes sont Ă©bouriffants Ă souhait, Ă la fois grotesques et rĂ©alistes, et la pauvre carotte, aprĂšs une fabuleuse Ă©popĂ©e Ă PompĂ©i oĂč lâon suit Fridolin et son bon gĂ©nie Robin-Luron Ă la recherche de lâanneau de Salomon, censĂ© annihiler les pouvoirs de la sorciĂšre, et un non moins fabuleux dĂ©filĂ© dâinsectes (fourmis, abeilles, mouches, bourdons, cigales), source dâun nouvel enchantement, finira moulinĂ© dans un presse-purĂ©e gĂ©ant.
Si les moyens mis en Ćuvre ne peuvent rivaliser avec la scĂ©nographie proprement hollywoodienne de lâĂ©poque (la version originale en 4 actes avoisinait les 6 heures), la lecture de Laurent Pelly, qui signe Ă©galement les magnifiques costumes, nâen est pas moins fascinante et théùtralement convaincante. Si lâon peut regretter comme toujours, dans lâadaptation habile dâAgathe MĂ©linand, certaines vulgaritĂ©s inutiles, il faut avouer que cela fonctionne plutĂŽt bien, aidĂ© par les lumiĂšres efficaces de JoĂ«l Adam (comme dans lâĂ©ruption hilarante du VĂ©suve ou lâapparition des tubercules Ă la fin du 2e tableau du premier acte, Ă la puissance dramatique proprement saisissante).
Dans le rĂŽle-titre, Christophe Mortagne est toujours diablement hallucinant de prĂ©sence ; sa voix souple de tĂ©nor lui permet de passer dâun langage quasi onomatopĂ©ique Ă un discours plus dĂ©liĂ©, mais jamais vraiment humain. Yann Beuron reprend Ă©galement le rĂŽle du pauvre Roi Fridolin XXIV ; habituĂ© des rĂŽles offenbachiens, son abattage est sans faille, Ă©locution et qualitĂ©s dâacteur en prime. La sorciĂšre Coloquinte trouve une trĂšs belle incarnation avec Lydie Pruvot, merveilleuse actrice, Ă la voix bien projetĂ©e. En CunĂ©gonde, Catherine Trottmann (qui succĂšde Ă Antoinette Dennefeld) rĂ©vĂšle un timbre chaud, rond, ample, mĂȘme si pas toujours bien projetĂ©, mais son incroyable prĂ©sence scĂ©nique nous fait oublier cette lĂ©gĂšre rĂ©serve. Figure fluette et androgyne, Julie Boulianne campe un excellent Robin-Luron, voix tonique et diction impeccable, qui parviendra Ă dĂ©livrer RosĂ©e du soir, superbement dĂ©fendue par ChloĂ© Briot qui finira par Ă©pouser le prince, occasion pour elle de se libĂ©rer vocalement, alors que ses aigus semblaient au dĂ©part quelque peu engoncĂ©s. Les autres rĂŽles ne mĂ©ritent que des Ă©loges : Christophe Gay, voix grave et inquiĂ©tante dans le rĂŽle de Truck (jadis dĂ©fendu par Boris Grappe qui reprend magnifiquement Pipertrunck dĂ©volu en 2015 Ă Jean-SĂ©bastien Bou).
Mention spĂ©ciale aux chĆurs maison, toujours superbes dâĂ©loquence et de prĂ©sence, prĂ©parĂ©s par le chef « étoilé » Roberto Balistreri, tandis que dans la fosse, la phalange lyonnaise bĂ©nĂ©ficie de la direction Ă©picĂ©e dâAdrien Perruchon qui fait de cet opĂ©ra ratatouille un dĂ©lice survitaminĂ© pour les palais les plus gourmands.
________________________________________________________________________________________________
Compte-rendu. Lyon, OpĂ©ra de Lyon, Offenbach, Le roi Carotte, 13 dĂ©cembre 2019. Christophe Mortagne (Le Roi Carotte), Julie Boulianne (Robin-Luron), Yann Beuron (Fridolin), Christophe Gay (Truck), Boris Grappe (Pipertrunck), ChloĂ© Briot (RosĂ©e du soir), Catherine Trottmann (CunĂ©gonde), Lydie Pruvot (Coloquinte), GrĂ©goire Mour (MarĂ©chal Trac), Florent Karrer (Dagobert/Psitt), Igor MostovoĂŻ (Comte Schopp), Louis De LavigniĂšre (Baron Koffre), Laurent Pelly (Mise en scĂšne et costumes), Agathe MĂ©linand (Adaptation des dialogues), Chantal Thomas (DĂ©cors), JoĂ«l Adam (LumiĂšres), Jean-Jacques Delmotte (Collaboration aux costumes), Christian RĂ€th (Collaboration Ă la mise en scĂšne), Roberto Balistreri (Chef des chĆurs), Orchestre et chĆur de lâOpĂ©ra de Lyon, Adrien Perruchon (direction). Illustrations : © service de presse de lâOpĂ©ra Nat de Lyon.