COMPTE-RENDU, critique, opĂ©ra. SAINT- ĂTIENNE, OpĂ©ra. Le 5 mai 2019. ISOUARD : Cendrillon. Orchestre et chĆur de lâopĂ©ra de Saint-Ătienne, Julien Chauvin. Un petit bijou du XVIIIe siĂšcle renaĂźt de ses cendres grĂące Ă lâopĂ©ra de Saint-Ătienne, dans une mise en scĂšne simple mais trĂšs efficace. Un casting quasi superlatif orchestrĂ© par de trĂšs jeunes musiciens sous la baguette experte de Julien Chauvin. Une magnifique redĂ©couverte.
MAGNIFIQUE REDECOUVERTE
Une Cendrillon impériale
ReprĂ©sentĂ© en 1810 au théùtre Feydeau, la Cendrillon de Nicolas Isouard prĂ©cĂšde de prĂšs de quatre-vingt-dix ans celle de Massenet et de sept ans celle, plus cĂ©lĂšbre, de Rossini. On ne connaissait lâĆuvre que grĂące Ă un vieil enregistrement de Richard Bonynge quâil convenait de dĂ©poussiĂ©rer. Sans possĂ©der lâampleur et la richesse de ces deux illustres aĂźnĂ©es, la version dâIsouard est loin de dĂ©mĂ©riter. Les pages brillantes et sĂ©duisantes abondent, et lâopĂ©ra tout entier (malgrĂ© quelques coupures, notamment des chĆurs) est superbement Ă©crit. On est dâemblĂ©e enchantĂ© par le duo des deux sĆurs (« Arrangeons ces dentelles »), par la diction Ă©loquente du prĂ©cepteur (« La charitĂ© »), par lâirrĂ©sistible bolĂ©ro du second acte de Clorinde (« Couronnons-nous de fleurs nouvelles »), lâair de bravoure de TisbĂ© du 3e acte, et surtout par la superbe romance de Cendrillon du premier acte (« Je suis modeste et soumise »), proprement envoĂ»tante.
La mise en scĂšne de Marc Pacquien est trĂšs rĂ©ussie. Une simple maison bleu-gris construite autour dâun double escalier, laisse apparaĂźtre tour Ă tour le chĂąteau du baron ou le palais du prince, quelques effets dâillusion (un balai qui bouge tout seul, une citrouille qui vole dans les airs, une canne qui apparaĂźt comme par magie), les costumes ravissants et colorĂ©s de Claire Risterucci, et une direction dâacteur efficace contribuent Ă la grande rĂ©ussite du spectacle.
La distribution est dâun trĂšs haut niveau, Ă commencer, par le rĂŽle-titre. AnaĂŻs Constans possĂšde une voix souple et sonore, magnifiquement projetĂ©e, tandis que Jeanne Crousaud et Mercedes Arcuri jouent Ă merveille leur rĂŽle espiĂšgle avec un abattage vocal â les passages virtuoses abondent (duo : « Ah, quel plaisir, ah, quel beau jeu ») â qui force le respect. JĂ©rĂŽme Boutiller est toujours aussi impeccable : son chant dâune grande noblesse dâĂ©locution fait mouche dans les passages dâune simplicitĂ© apparente (« Ayez pitiĂ© de ma misĂšre »). Dans le rĂŽle du faux prince, Riccardo Romeo ne dĂ©mĂ©rite pas, mĂȘme si sa diction laisse parfois Ă dĂ©sirer, mais sa trĂšs belle prĂ©sence scĂ©nique compense quelques (rares) dĂ©faillances vocales. La prestance de lâĂ©cuyer â qui se rĂ©vĂšlera ĂȘtre le vrai prince â est lâun des atouts de Christophe Vandevelde : voix solidement charpentĂ©e, voce spinta dâun trĂšs grand naturel doublĂ©e dâun trĂšs beau jeu dâacteur, qualitĂ© quâil partage dâailleurs avec tous ses partenaires (les dialogues parlĂ©s sont trĂšs vivants et fort bien dĂ©clamĂ©s) ; une mention spĂ©ciale pour le formidable numĂ©ro du baron de Montefiascone, bellement incarnĂ© par Jean-Paul Muel, acteur extraordinaire qui porte pour une grande part le dynamisme communicatif de toute la partition.
Dans la fosse, la baguette expĂ©rimentĂ©e de Julien Chauvin dĂ©fend avec conviction et justesse ces pages injustement oubliĂ©es en dirigeant une phalange dâune insolente jeunesse : lâorchestre est constituĂ© des membres de lâAcadĂ©mie du C.C.R. de Saint-Ătienne, qui rĂ©vĂšlent avec bonheur leur trĂšs haut niveau dâexĂ©cution (on pardonnera quelques couacs des cors). Bonne nouvelle : des reprises de ce superbe opĂ©ra-féérie sont prĂ©vues prochainement avec lâorchestre « historiquement informĂ© » de Julien Chauvin. Ă ne pas manquer.
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Compte-rendu. Saint-Ătienne, OpĂ©ra de Saint-Ătienne, Isouard, Cendrillon, 05 mai 2019. AnaĂŻs Constans (Cendrillon), Jeanne Crousaud (Clorinde), Mercedes Arcuri (TisbĂ©), Riccardo Romeo (Le Prince Ramir), JĂ©rĂŽme Boutiller (Le prĂ©cepteur Alidor), Christophe Vandevelde (LâĂ©cuyer Dandini), Jean-Paul Muel (Le baron de Montefiascone), Marc Paquien (Mise en scĂšne), Julie Pouillon (Assistante Ă la mise en scĂšne), Emmanuel Clolus (DĂ©cors), Claire Risterucci (Costumes), Dominique BrughiĂšre (LumiĂšres), Thomas Tacquet (Chef de chant), Orchestre et ChĆurs de lâOpĂ©ra de Saint-Ătienne, Julien Chauvin (direction).