CRITIQUE, opĂ©ra. PARIS, Palais Garnier, le 21 mai 2021. Marc- Olivier Dalbavie : Le Soulier de satin, crĂ©ation – Dalbavie / Nordey. LâOpĂ©ra de Paris rouvre ses portes au public aprĂšs une fermeture de 7 mois, covid oblige. Les conditions sanitaires sâĂ©tant assouplies, il a Ă©tĂ© possible de suivre la crĂ©ation du Soulier de Satin de Dalbavie dâaprĂšs la piĂšce Ă©ponyme de Paul Claudel. La partition clĂŽt ainsi la trilogie des opĂ©ras inspirĂ©s par la littĂ©rature française, cycle commandĂ© par la maison parisienne, aprĂšs Trompe la mort dâaprĂšs Balzac de Francesconi (2017), et la convaincante BĂ©rĂ©nice dâaprĂšs Racine de Michael Jarell (2018). Que penser de ce nouvel opus qui devait marquer avec Ă©clat le retour de lâopĂ©ra Ă la vie ? – Photo (DR)
UN SOULIER GRISĂTRE Â RĂOUVRE LE PALAIS GARNIER
Lâauditeur doit dâabord souffrir 2 heures pour guise de premiĂšre partie oĂč certes lâĂ©criture musicale et vocale de Dalbavie semble sâapproprier la dĂ©clamation si singuliĂšre et tout Ă fait artificielle du verbe claudien tel quâil est dĂ©ployĂ© dans la piĂšce Ă©ponyme (dâune durĂ©e de 11h quand mĂȘme). Dans la fosse, plus Ă©conome et concentrĂ©, le compositeur lui-mĂȘme veille au grain (spectral) de sa texture orchestrale â majoritairement chambriste, et aussi Ă une certaine voluptĂ© du chant, jamais contraint, souple et accentuĂ© avec justesse, surtout tout au long des deux derniĂšres parties (deux derniĂšres journĂ©es). Pendant les presque 6 h de programme, les nombreux chanteurs se dĂ©fendent avec plus ou moins de conviction, lâarticulation pour certains Ă©tant dĂ©ficiente. On distingue surtout par la justesse dramatique de lâexpression comme la maĂźtrise du tissu vocal, Eve Marie-Hubeaux (Dona ProuhĂšze), Yann Beuron (Don PĂ©lage), Vannina Santoni (Dona Musique au chant articulĂ©, dĂ©clamĂ©, debussyste, sirĂšne ornementĂ©e qui personnifie avec une profondeur Ă©nigmatique la Musique que chacun voudrait sĂ©duire et possĂ©der), comme le truculent contre-tĂ©nor Max Emanuel Cencic au relief pincĂ© (lâAnge Gardien)⊠Sans omettre le Chevalier Ă©tincelant du tĂ©nor Julien Dran, Ă la fois Roi de Naples, Ramire et Boniface, au verbe mordant, ourlĂ©, suractif dâune maĂźtrise aiguĂ« insolenteâŠ
Toutes les situations dramatiques les plus dĂ©lirantes dans ce jeu universel du sublime et du sinistre (qui nâĂ©carte pas la vis comica incarnĂ©e par les personnages du non moins percutant Eric Huchet) passent ainsi de Claudel Ă Dalbavie ; ainsi lâĂ©quation des amours impossibles entre ProuhĂšze et Rodrigue se pose sans se rĂ©soudre, y compris dans leur duo dâamour final. Des acteurs complĂštent le tableau des chanteurs⊠on passe du profil fĂ©lin fĂ©minin de lâĂ©lĂ©gantissime Chinois Isodore (Yuming Hey) » Ă la voix parlĂ©e filĂ©e ⊠à Jobarba la Noire (MĂ©lody Pini), autre figure indignĂ©e qui sâembrase en une transe vaudou laquelle cite Ă©videmment Le Sacre de Stravinsky, ⊠sans omettre la sĂ©quence de lâombre double, enregistrĂ©e oĂč envoĂ»te la voix de Fanny Ardant, « lune » de luxe et de charme. Pour autant avons-nous rĂ©ellement une Ćuvre unitaire et forte ?
Visuellement le dĂ©cor et la mise en scĂšne (Norday) cultivent une distanciation Ă©purĂ©e qui tend Ă lâabstraction (mĂȘme si les accessoires plus nombreux dans la 4Ăš JournĂ©e citent directement lâambiance ibĂ©rique ascĂ©tique de la piĂšce source ; mĂȘme si la citation de peintures Renaissance, Ă©coles espagnoles et italiennes tendent Ă inscrire le drame dans lâhistoire). Pourtant, mĂȘme dans sa version resserrĂ©e de 5h, le spectacle musical peine Ă insuffler la transe lyrique que lâon attendait : trop proche du théùtre de Claudel et donc en cela emprisonnĂ© dans un style entre deux ? Sans rĂ©el Ă©clat poĂ©tique transcendant, la partition de Dalbavie rĂ©ussit cependant le dĂ©fi de la dĂ©mesure qui marquait la piĂšce dont elle sâinspire ; son chambrisme exprime les doutes et les ambivalences de ses personnages en quĂȘte dâeux-mĂȘmes.
LâOpĂ©ra de Paris annonce la diffusion vers le plus large public de cette crĂ©ation, depuis sa plateforme de streaming, LâOpĂ©ra chez soi, gratuitement le 13 juin 2021 dĂšs 14h30. Sur France Musique, le 19 juin 2021, 20h.
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COMPTE-RENDU, opĂ©ra. PARIS, Palais Garnier, le 21 mai 2021. Marc- Olivier Dalbavie (nĂ© en 1961): Le Soulier de satin, opĂ©ra en 4 journĂ©es, crĂ©ation. Livret : RaphaĂšle Fleury dâaprĂšs Paul Claudel – Orchestre de lâOpĂ©ra national de Paris, dir. Marc-AndrĂ© Dalbavie / mise en scĂšne : Stanislas Nordey.
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LIRE aussi notre compte-rendu, opĂ©ra. Paris, Palais Garnier, samedi 18 mars 2017. Francesconi : Trompe-la-Mort, crĂ©ation : Cassiers / MĂ€lkki. BALZAC SUR LES RAILS LYRIQUES. RĂ©pondant Ă la commande de lâOpĂ©ra national de Paris, Luca Francesconi signe un nouvel opĂ©ra dâune cohĂ©rence indiscutable qui confrontĂ© Ă sa source balzacienne, relĂšve les dĂ©fis de la mise en forme et de la transposition des sujets et thĂ©matiques littĂ©raires pourtant si dĂ©licats. Le passage du roman Ă lâopĂ©ra est dâautant mieux rĂ©alisĂ© que le compositeur milanais nĂ© en 1956, Ă©crit aussi le livret de son drame lyrique : il en dĂ©coule, grĂące Ă la fusion paroles et musique, conçue dâune seule main, dans la succession des Ă©pisodes, un rythme fluide, hautement contrastĂ©, des situations qui dessinent les profils psychologiques et cisĂšlent leurs intentions souterraines.
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