dimanche 4 mai 2025

Suisse, Genève. Festival Archipel Du vendredi 23 mars au dimanche 1er avril 2007

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Suisse, Genève. Festival Archipel

Festival des musiques d’aujourd’hui
Du 23 mars au 1er avril 2007
Concerts, théâtre, installations, expositions

Le festival genevois Archipel, qui se tient habituellement à la naissance du printemps, consacre son édition 2007 à trois thèmes. Un large portrait de Giacinto Scelsi, le mystérieux compositeur italien (1905-1988), permettra d’entendre un grand nombre d’œuvres – dont une inédite – de celui qui a orienté bien des courants musicaux d’après le sérialisme, en centrant l’écriture sur l’unicité de la note et du son. La Symphonie diagonale montrera les rapports de la musique et de l’image, à la croisée de la vidéo et du cinéma expérimental. L’Atelier cosmopolite présentera des compositeurs d’Amérique, d’Asie et d’Europe Centrale. Du vendredi 23 mars au dimanche 1er avril, un triptyque en 37 créations d’œuvres.

« Nous n’avons qu’un devoir vis-à-vis de la musique, c’est de l’inventer » : la formule lapidaire de Stravinsky inspire bien des conceptions de festivals ou concerts dans le domaine contemporain. Mais : inventer, réinventer ? retrouver pour mieux comprendre où l’on va ? Et n’est-ce pas le sens de la démarche entreprise par l’Archipel pour son festival 2007 ? Car cette édition est placée sous le signe d’un large hommage à un compositeur mort octogénaire il y a presque 20 ans, aristocrate italien, superbement autocentré, à contre-courant, redécouvert seulement à la fin de sa vie… Vous devinez, bien sûr ? Oui, il s’agit de Giacinto Scelsi, une figure comme l’histoire des arts en trace une fois par siècle, et encore…

Je est un autre : la planète Scelsi

L’influence posthume de Scelsi a été aussi vaste que le silence entourant sa vie « médiatique ». Contre le sérialisme – dont il avait pourtant reçu l’enseignement schoenbergien -, il construisit un monde compositionnel fondé sur l’unicité du son. Voire de la note elle-même, à l’instar de ce do (ut) qu’il frappait inlassablement sur le clavier, dans une « maison de santé » ainsi qu’on disait au XIXe. ; et comme Nerval utilisant sa « folie » pour écrire Aurelia, ayant « deux fois vainqueur traversé l’Achéron », il ressortit d’un séjour de quatre ans« là-bas » avec ce concept qui armaturera désormais son œuvre : « le son sphérique », cœur et générateur de tout développement, libérateur d’énergie, de tension et de résolution dans l’espace et le temps. Avant l’époque psychiatrique – coïncidant avec celle de la 2nde guerre mondiale – , les influences de Scriabine en musique, et des sagesses d’Asie sur le plan philosophique avaient irrigué ses compositions. Au-delà, commence le vrai et total Scelsi. Mais qui était-il ? Plusieurs en une seule enveloppe, comme son « voisin latin d’ouest », le poète portugais Pessoa aux innombrables identités (ses hétéronymes) ? Comme Hölderlin devenu dans son enfermement un Scardanelli du XVIIe : de plusieurs époques, ce Scelsi qui prétendit avoir eu une première vie au XXVIIe avant Jésus-Christ, ou porter en lui deux dieux, celui de la destruction et celui de l’apaisement ? Un héros de la création aux marges, comme le plasticien suisse Louis Sutter ou Antonin Artaud, victimes plus permanentes du grand renfermement, ou superbement engagé dans les luttes du siècle, comme l’Américain Nancarrow ? Une part de la fascination qu’il exerce tient certainement à cette vie rêvée qu’il eut, ne voulant pas se laisser photographier, pratiquant un humour ravageur, créant à l’écart du bruit une somme qui allait irriguer la fin du XXe et la suite. En tout cas, sur ses quelque 150 œuvres, tout n’est pas encore sorti de l’oubli : ainsi Archipel crée une partition de jeunesse, révisée en 1940, Rotativa, ouvre son triptyque des « trois âges de la vie » (un peu comme au XIXe, Alkan avait consacré sa sonate op.33 à un parcours de la vie humaine), fait entendre l’intégrale de sa musique chorale et de chambre, ou diffuse un film de F.van der Kooij sur le mystère Scelsi.

Une symphonie diagonale

L’homme qui accomplissait son « voyage à l’intérieur du son », ce messager (« je suis facteur », disait Scelsi en souriant ) n’eût probablement pas rejeté les deux autres thèmes d’Archipel. Une Symphonie Diagonale y prend acte de l’importance historique et à venir de ce qui s’est d’abord nommé « théâtre musical » : « un art total qui doit rester de poche », et aussi comme l’écrit le « patron » le musicien grand navigateur en cet Archipel, Marc Texier, « la musique-écoute attentive du paysage sonore, celle qu’on se projette intérieurement comme un film ». Le maître ès-infra-langages imaginaires, Georges Aperghis, est évidemment célébré par ses Machinations, écho du dérisoire brinquebalant d’un Tinguely, où l’être se débat en tout illogisme avec l’univers de la pensée unique-informatique. Le déplacement de l’art vers la plastique, l’imaginaire du son et de l’image, remonte vers les tentatives des années 20 – le cinéma abstrait de Richter – et la musique optique (Moholy-Nagy), puis redescend vers cinéma ultérieur et vidéo. En témoignent maintenant l’opéra-vidéo (Julien Taride), les cartes postales sonores (Stefano Giannotti), les instruments inventés (J.F.Laporte).

Halte à la world music aseptisée

A côté de cette « vie sonore mode d’emploi », on pénètre dans un « atelier cosmopolite », qui décline le thème classique et futur d’une ouverture mondialiste des musiques, et selon Marc Texier, « ne donne pas naissance à une world music unifiée, aseptisée, mais au contraire favorise l’émergence de fortes personnalités qui ne sont plus réductibles à un style européen ». Ce cosmopolitisme – l’exil extérieur et intérieur – est en fait celui de certains « aînés » exemplaires, comme Ligeti auquel un hommage-concert est rendu, Varèse, Cage, l’Italien à la Passion bien Sadienne Bussotti, ou l’inventeur-tromboniste Globokar. Un microcosme à part, tout nourri de culture romantique, picturale, « spectrale » et philosophique, celui de Hugues Dufourt qui poursuit son exploration pianistique, goethéenne et schubertienne, dans un polyptique clos avec la chevauchée d’un nouvel Erlkönig. Chez les cadets, les références littéraires ne manquent pas non plus : Pessoa pour X.Dayer, le « voyageur chérubinique » du XVIIe, Silesius, pour S.Gervasoni, le coup de dés mallarméen pour N.Bolens. Mais l’exotisme, comme on disait jadis, marque des rencontres (extrême)orient-occident (sheng pour Wu Wei, accordéon pour P.Contet), et la part belle est faite aux jeunes créateurs aux Américains (nord, centre, sud) comme aux Européens du nord-est…et de l’ombilic du monde, franco-suisse !.
Si on aime les chiffres : 26 événements dont 13 concerts, 6 spectacles de théâtre musical et vidéo, 7 installations ou expositions ;15 créations mondiales (dont 3 canadiennes, 4 suisses, 1 chinoise), 22 premières en Suisse (10 italiennes, 3 argentines), et dans ce total 12 écrites par des moins de 30 ans, 16 des 30-50 ans. Une large semaine qui fait appel entre autres aux Neue Vocalsolisten, Newondon Choir aux Musiques Inventives d’Annecy, aux groupes genevois Contrechamps, Séquence, Vortex, à La Muse en Circuit, aux solistes F.F.Guy et A.Deforce. Embarquement pour Archipel : voyageurs, à vos projets !

Approfondir

Tél. : (41)22 329 42 42 ou www.archipel.org

Œuvres de Scelsi (24), Ligeti, Cage, Varèse, Romitelli, Aperghis, Dufourt, Lenot, Kurtag, Laporte, Wu Wei, Chalosse, Tarriode, Giannotti, Jacobs, Babel, Bolens, Garnero, Mackay, Schuler, Stahmer, Ceccarelli, Dapelo, Robin, Suarez, Vassena….

Crédits photographiques
Visuel Archipel ©
Giacinto Scelsi (DR)

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