vendredi 19 avril 2024

Sergiu Celibidache, maestro furioso. Centenaire CelibidacheArte, mercredi 27 juin 2012, 21h45

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Sergiu Celibidache Maestro furioso: portrait pour le centenaire 2012


Sergiu Celibidache


Maestro furioso

Arte
mercredi 27 juin 2012 à 21h45

Documentaire portrait pour le centenaire de Sergiu Cilibidache

Né roumain, en 1912, le chef d’orchestre Sergiu Celibidache (décédé en 1996) reste un cas atypique dans l’histoire de la direction d’orchestre: un ovni, inclassable, radical, critique, exigeant, intransigeant, réalisant dans l’acte musical, une source de dépassement rare, d’intensité magistrale: un modèle pour beaucoup, d’autant plus captivant qu’il reste l’antithèse d’un Karajan… pas médiatique pour un sou, réticent à l’enregistrement, plus défenseur du concert et de la musique vivante…
Ce qu’il a dit de ses confrères et consoeurs (Sophie Mutter, Toscanini…) laisse pétrifié: cynique et moqueur, expéditif et sans aucune considération… il faut lire ses entretiens et ses rares déclarations (aujourd’hui rééditées par Actes Sud) pour comprendre la position d’un artiste particulièrement exclusif.

En 1945, il codirige l’Orchestre Philharmonique de Berlin avec Furtwängler mais à la mort de ce dernier en 1954, la direction change: les musiciens le désavouent et lui préfère… Karajan.

Chef itinérant, salué pour la performance de sa direction, Cilibidache dirige aussi l’Orchestre National de France (1973-1975), deux saisons miraculeuses dont certaines sessions ont été heureusement filmées et aujourd’hui recherchées. Simultanément, le maestro dirige l’Orchestre de la Radio de Stuttgart qu’il marque en profondeur. Mais c’est comme directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Munich (dès 1979), qu’il affirme sa supériorité interprétative: les enregistrements qui en découle, publiés posmortem par Emi, avec l’accord de ses ayant-droits, en témoignent. Deutsche Grammophon complète l’héritage discographique du maître en particulier concernant ses activités à Stuttgart et à Stockholm.
Pédagogue, Cilibidache transmet son art et sa conception de la musique comme de la direction d’orchestre à Mayence, Munich, Paris.

Centenaire Sergiu Celibidache
Le 28 juin 2012, le chef d’orchestre Sergiu Celibidiche aurait cent ans. ARTE fête cet anniversaire en diffusant un documentaire inédit. Le réalisateur a sillonné la Roumanie, l’Allemagne, la France sur les traces du maître, rencontrant sa sœur, son fils et quelques-uns de ses proches, comme Daniel Barenboïm.

L’anti Karajan
Pour Sergiu Celibidache, la musique était un moyen d’atteindre l’essence de l’être. Toute sa vie, il s’est efforcé de réaliser cette vision, refusant tout compromis, dur parfois envers les autres mais surtout envers lui-même. Il affirmait qu’un enregistrement ne pourrait jamais rendre dans son intégralité l’expérience d’un concert en salle, et jamais il ne se plia aux usages en vigueur. Il n’a laissé derrière lui aucun disque enregistré en studio.
Avare en entretien, le chef aura tisser sa légende en dehors de tout tapage médiatique; une sorte de carrière en forme d’antithèse à celle de Karajan.
Il avait à peine 33 ans quand, émigrant roumain dans la capitale du Reich encore en ruine, il est amené à diriger l’Orchestre philharmonique de Berlin, remplaçant Wilhelm Furtwängler interdit pour cause de dénazification.

Écarté de Berlin, il triomphe à Munich
D’un jour à l’autre, cet inconnu qui sort à peine des bancs du conservatoire devient une star dont les concerts émeuvent bientôt le monde entier. Mais la rudesse avec laquelle il impose sa vision musicale lui est fatale : à la mort de Furtwängler, l’orchestre se prononce contre lui et pour Herbert von Karajan qui, lui, maîtrise parfaitement le maniement des médias, et sait se mettre en scène.
À la tête de l’Orchestre philharmonique de Munich dont il deviendra le chef titulaire en 1979, il obtient enfin cette reconnaissance qui lui avait été si durement refusée à Berlin.

Réalisation : Norbert Busè (52 mn). Avec : Sergiu Celibidache, Irina-Paraschiva Celibidache, Daniel Barenboïm, Agnès Blanche Marc, Christoph Schlüren, Konrad von Abel, Patrick Lang, Helmut Nicolai, Ronny Rogoff

Notre avis. Celibidache incarne toutes les contradictions du maestro accompli: un être démiurgique qui fait jaillir la musique avec une intensité et une vérité inédite, mais aussi un être autoritaire et peu conciliant qui aura suscité la désapprobation de ses propres musiciens et non des moindres, les instrumentistes de l’Orchestre philharmonique de Berlin, en 1954, à la mort de Frutwängler, Sergiu doit quitter son poste de directeur permanent et laisser la place à Karajan…

C’est pour l’intéressé malheureux, une humiliation dont il se relèvera avec difficulté.

Sommé de trouver ailleurs sa propre place, le chef part ensuite en Italie, et dans toute l’Europe à la recherche d’un nouveau défi. Heureusement pour lui, à l’occasion d’un concert à Venise, alors qu’il a 44 ans, il est traversé par une révélation qui modifie en profondeur son expérience de la musique et sa façon de diriger: il prend conscience que le temps musical est un espace singulier où le commencement et la fin sont simultanés; en découle alors pour celui qui vit intensément les étapes de ce processus spirituel, la notion de métamorphose.
Au tyran insupportable parfois, au pédagogue irascible, n’hésitant pas à tancer ses élèves chefs à Mayence (où chaque mois de mai il pilote une session de travail), Celibidache devient peu à peu plus doux, humaniste, bon et généreux, travaillant surtout le partage et l’empathie avec ceux qui souffrent; après la musique, le nouvel apôtre du bouddhisme zen, se consacre, détenteur d’une pensée collective inouïe, au bien de tous…

Voilà un itinéraire rare dans l’histoire de la musique et certainement une figure inscrite comme l’antithèse de son contemporain Karajan… Karajan l’hypernombriliste surmédiatisé; Celibidache, l’humaniste généreux?

Autre paradoxe, celui qui pendant plus de 30 ans tente de transmettre son expérience de la direction d’orchestre et sa relation spécifique avec la musique, ne trouve pas d’héritiers à la hauteur de sa propre réalisation. Le constat est amer quand Daniel Barenboim témoigne lui aussi de son admiration pour le maestro: s’il se sent d’une certaine façon son élève, c’est qu’il n’a jamais suivi son enseignement… Parfois le Chef se sent solitaire et bien démuni…
En vérité, le sens du message de Celibidache est autre; dans l’expérience même de la musique et sur le plan de l’interprétation, dans ce souci du détail (dynamique, phrasés, couleurs, ryhtme…) qui au final produit la cohérence de l’oeuvre; chaque partition est une unité en soi que le chef doit rétablir, et revivre avec ses musiciens, c’est selon les termes du maître, comme un paysage où il ne faut pas jouer une montagne comme une vallée… mais alors combien d’heures de répétition et de séance avec les instrumentistes sont nécessaires pour obtenir enfin cet équilibre et la sonorité requise.

Le film éclaire une partie méconnue de la vie de Celibidache, les années 1930 en Allemagne; juste avant puis pendant la guerre. Le jeune homme, très doué pour les mathématiques et qui a l’oreille absolue, quitte très vite le foyer paternel en Roumanie: le père désavoue un fils qui ne veut pas embrasser une carrière bourgeoise (comme lui) dans l’administration… Au compositeur Hanz Tisse (vers 1932-1933), le jeune Celibidache adresse une composition de son cru: le berlinois répond immédiatement au jeune roumain et lui enjoint de se fixer à Berlin, où règnent alors les empereurs de la baguette, faisant la gloire musicale de la ville: Hans Knappertsbuch, Karl Böhm, Eugen Jochum.
Voilà encore un paradoxe: celui qui s’est fait remarqué pour ses compositions, s’impose à Berlin comme un élève surdoué en matière de direction d’orchestre: il dirige alors l’orchestre de l’Université de Berlin, affirmant une maturité déjà fascinante. En novembre 1944, en pleine guerre, l’apprenti berlinois obtient tous les prix en composition et direction d’orchestre.
Devant la caméra, son fils, Serge junior, témoigne lui aussi; il a filmé son père à Munich dont l’Orchestre atteint un niveau superlatif sous la direction de son père, nommé directeur musical à partir de 1979; c’est aussi son fils qui milite pour la connaissance du Celibidache compositeur dont aucune oeuvre n’est créée du vivant de l’auteur, sauf la partition du « Jardin de poche », conte féerique et fantastique qui cultive l’émerveillement de la magie de l’enfance…
Parmi les rares illustrations d’époque, la séance de travail sur Till l’Espiègle de Strauss, ses Beethoven avec les Berliner, le Concerto pour piano n°2 de Brahms sont les perles d’un jardin à parcourir plus longuement pour le centenaire.

Il reste encore bien des facettes de Celibidache à découvrir et approfondir tant la personnalité du Maestro est diverse et captivante. A défaut de pénétrer au coeur du message de Sergiu Celibidache (ses très nombreux écrits en plusieurs langues montrent la difficulté d’exprimer de façon synthétique et unique sa propre expérience), le film indique la diversité des voies et des champs de recherche que l’héritage du chef roumain laisse ouverte.

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