mercredi 7 mai 2025

Santa Fe Festival. Le 23 juillet 2008. Haendel : Radamisto. David Daniels, Luca Pisaroni, Deborah Domanski, Laura Claycomb. Harry Bicket.

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Santa Fe, une des villes les plus anciennes et les plus belles des Etats-Unis (New Mexico), fondée par les Espagnols en 1607. Une culture indienne et coloniale séculaires; un superbe opéra en plein air, au toit en forme de voiles au milieu d’un paysage à couper le souffle ; quarante-neuvième édition d’un festival d’opéra innovateur fondé en 1957, riche en jeunes et grands chanteurs, mises en scène, et créations contemporaines, avec en ville musique de chambre, jazz, littérature, arts : bref, la seule vraie « ville de festival » d’Amérique du nord. Cinq créations en 2008 : Falstaff, Les Noces de Figaro et, revus pour classiquenews, Radamisto, Billy Budd, et Adriana Mater.

Orientalismes abstraits

Cinquième production de Handel sur la mesa new-mexicaine, après Ariodante (1987), Xerxès (1993), Semele (1997) et Agrippina (2004), Radamisto est une œuvre rarement montée qui lança la carrière du compositeur comme directeur de la Royal Academy londonienne. Le livret inspiré de Tacite raconte les vies entrelacées de Zénobie et de son mari Radamisto, prince thrace en 53 avant J.C. Ils sont assiégés par Tiridate, roi arménien marié à Polissena (sœur de Radamisto), mais mené à l’aggression par sa passion violente pour Zénobie. Sauvés par le commandant Tigrane, Radamisto et Zénobie s’échappent, menant à la fameuse scène (chère à Poussin et aux peintures orientalistes de Bouguereau et Baudry) où, de peut d’être captive et séparée de son mari, elle se jette de désespoir dans les eaux de la mythique Araxes. Après maints rebondissements, trahisons et complots, l’amour tyrannique de Tiridate se consume et il retourne à la fidèle Polissena, pendant que Radamisto et Zénobie chantent le « doux refuge » de leur réunification.
Le metteur en scène new yorkais David Alden, connu pour ses controversées productions à l’ENO et Bayerische Staatsoper, s’attaque avec succès à ce chef d’œuvre de l’opera seria. Alden, qui a la réputation d’être un directeur « politique » (on se rappelle son Rinaldo « évangéliste » à Munich par exemple), freine ici ses visions provocatrices et concentre l’œuvre sur les six personnages. Radamisto est un opéra héroïque certes, qui nécessite la confrontation de troupes et le siège d’une ville fortifiée sur la scène, mais plus que ces actions historico-mythiques il met en scène la complexité de l’amour, de la trahison, de la fidélité, de la dévotion, tout cela dans la Thrace antique. Avec son scénographe attitré Gideon Davey, Alden transpose l’action loin de l’antiquité romaine et crée un Orient abstrait et coloré, violent et enchanteur à la fois, comme on l’imagine lisant le dernier livre de Rushdie, « L’enchanteresse de Florence ». Au premier acte, les grands panneaux rouges décorés de motifs floraux géants, noirs et stylisés, servent de murs intérieurs, de murs d’enceinte et de chemins de ronde,… créant un univers chaud qui enveloppe et pourtant isole comme la pierre. Les corbeaux noirs qui entourent la scène et perchent aussi sur les murs autour des spectateurs peuvent paraître insolites, jusqu’à ce que l’on se rappelle—comme l’écrivit Edgar Poe à propos de son fameux poème de 1845—que les oiseaux noirs symbolisaient le deuil et le souvenir interminable, bref la dévotion à l’amour qui est un des thèmes de l’opéra. Les corbeaux croasseront donc dans la dernière scène de l’acte 1, quand Radamisto pleure la disparition de Zénobie dans les flots.
Au deuxième acte, tout bouge sous les lumières extrêmes de Rick Fisher : les panneaux peints et métallisés transforment la scène en salle royale, jardins enchantés, prisons… dont la succession reflète intelligemment le rythme et la tonalité des arias. Dragons sortant des murs, paons réalistes, animaux sauvages de peluche occupent ces espaces, gardent ou détournent l’attention du spectateur—on dirait qu’Alden a craint que la répétition et succession des airs chez Handel puisse avoir un effet hypnotique dans les nuits fraîches de Santa Fe, mais, dans l’ensemble, on peut regretter un effet de distraction souvent gratuit. Quant aux costumes dessinés par Davey, ils sont superbes et pleins d’invention aux subtils décalages temporels.
Au cœur de tout cela, la direction d’Alden est fébrile, torturée et intime à la fois. Les corps se touchent violemment (Tiridate), tendrement (Zénobia), de grandes marionettes symbolisent les soldats, Zénobie est emmenée captive chez Tiridate dans un tapis d’Orient que l’on déroule… Une mise en scène forte et efficace mais qui soufre, souvent, d’un excès de gesticulation : les femmes, Polissena en particulier, se tordent au sol ou rampent contre les murs, parfois à juste titre, parfois de manière difficilement compréhensible (comme quand, au deuxième acte, un groupe de servantes nettoie littéralement le sol de la scène avant d’être promptement éjectées par Tiridate !

Passions et tourments

Le Santa Fe Opera a la réputation de monter des spectacles « d’ensemble » où des équipes soudées de jeunes chanteurs et chanteuses s’intègrent autour d’une ou deux stars. Radamisto en est une nouvelle démonstration avec six artistes qui ont Handel dans le corps. Ici, la star est le contre-ténor David Daniels, qui débute à Santa Fe avec un Radamisto de grande stature, poignant et lyrique à souhait, princier mais qui sait exprimer la faiblesse ou le désespoir quand il lamente la perte–présumée–de Zénobie : une grande performance. Kevin Murphy campe un honnête Farasmane, mais c’est le basse-baryton Luca Pisaroni qui impressione en Tiridate : vocalement et physiquement il chante et bouge comme un guerrier en armes et amour (Pisaroni a triomphé également en comte dans les Noces de Figaro durant ce même festival). Les « épouses » sont moins à l’aise : la jeune mezzo-soprano, Deborah Domanski (remplaçant Christine Rice, malade), nous donne une Zénobie émotionnante et ravissante à souhait mais la voix n’est pas entièrement ajustée et manque de lyrisme technique ; Laura Claycomb force un peu en Polissena, et son interprétation est dans l’ensemble très froide (peut-être dû au choix de Alden ?). La meilleure voix féminine est incontestablement la soprano Heidi Stober en prince-commandant Tigrane, ici habillé de vêtements nettement modernes : lunettes, cravate, fez,… Bien que contestable, cet accoutrement met en lumière, en quelque sorte, son rôle important dans l’opéra ; Tigrane-Stober devient un peu comme un maître de cérémonie tirant les ficelles des destinées entremêlées (rappelons que le personnage est amoureux fou de Zénobie).
A la tête de l’excellent orchestre du festival, Harry Bicket domine la partition. Précis et souple, il excelle dans les pages intimistes tout comme dans les pages héroïques (les splendides accents des trompettes dans la bataille du premier acte par exemple). Quant au quatuor final il sonne vraiment, sous la baguette de Bicket, comme le grand « moment annonciateur » de cette grande partition.

Santa Fe Festival (en co-production avec l’English National Opera). Santa Fe Opera, le 23 juillet 2008. George Frideric Handel (1685-1759): Radamisto, version révisée de 1721 (creation en 1720). Avec David Daniels (Radamisto), Luca Pisaroni (Tiridate), Deborah Domanski (Zenobia), Laura Claycomb (Polissena), Heidi Stober (Tigrane), … Orchestre et choeurs du Festival d’Opéra de Santa Fe. Harry Bicket, direction. Mise en scène: David Alden. Décors et costumes: Gideon Davey.

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