jeudi 8 mai 2025

Saint-Sulpice le Verdon (85). Jean-Baptiste Lully: Atys (1676). Livret de Philippe Quinault. Les 11 et 12 août 2009. 13 ème Festival Musiques à la Chabotterie. Romain Champion, Bénédicte Tauran. Hugo Reyne, direction

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Figures de Vendée
La Vendée pendant l’été réserve de bien fascinantes surprises. Souvent les lieux d’histoire et de culture y portent encore le rayonnement des grandes figures qui les ont marqués. Prenez par exemple le château de Tiffauges au nord du département: l’ombre du démoniaque et preux Gilles de Rais, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, qui a tant embrasé l’inspiration de l’écrivain Huysmans (lire son roman historique Là-Bas, édité en 1891), continue d’y étendre son oeuvre. L’ancien donjon (situé face à l’église en ruine et sa crypte sobre et mystérieuse), y détient toujours les secrets des recherches astrologiques du maréchal de France au XVè, et le lieu, aujourd’hui propriété du Conseil Général, promet découvertes et révélations lors de ses fouilles programmées dans les années qui viennent.
Ailleurs, les mélomanes séduits par le bocage vendéen connaissent aussi le Logis de la Chabotterie, situé à Saint-Sulpice le Verdon: havre enchanteur qui apporte le raffinement d’une authentique demeure XVIIIè dans le pré, réconciliation exemplaire de culture (la plus raffinée) et de nature (la plus authentique). C’est ici, qu’a lieu chaque été, le festival Musiques à la Chabotterie, dirigé par Hugo Reyne (depuis 2004). En 2009, en accord avec son visage campagnard et ses délices rustiques, le Logis avait pour héros, Atys, berger légendaire qui est le sujet de l’un des opéras les plus captivants du règne de Louis XIV.

Atys au Logis

La tragédie lyrique a toute sa place dans l’enceinte du Logis où les pommiers s’épanouissent dans de riants prés aux espèces préservées. Dans un bocage baroque unique en France, Atys, « opéra du Roy » certes, est aussi l’ouvrage qui étend l’empire de Cybèle, déesse de la nature, sur la scène: le flûtes y chantent l’amour de la déesse pour le berger, et la déploration de la divinité qui endeuillée transforme, in fine, son aimé en… arbre (pin). Aux délices pastoraux, qui savent aussi convoquer les dieux fluviaux (fin de l’acte IV), la 4è opéra écrit par le duo Philippe Quinault et Jean-Baptiste Lully, est un hymne à l’amour mais sur le registre sombre et grave, inéluctablement tragique.

Représenté à Saint-Germain devant Louis XIV, en janvier 1676, l’ouvrage évoque en son Prologue, la rudesse hivernale et l’impatiente Flore désireuse d’y déverser déjà ses vertes prairies. Mais la muse tragique, Melpomène célébrant la gloire du plus grand des héros (Louis XIV), profite d’une pause pacifique (avant la reprise des guerres), pour divertir l’auguste souverain en lui narrant les amours du berger Atys et de l’impétueuse Cybèle.

La vision d’Hugo Reyne

22 ans après la production pionnière signée Christie/Villégier à Paris, Hugo Reyne qui avait d’ailleurs participé comme flûtiste à son miracle scénique, revient ainsi sur la partition et « ose » une nouvelle lecture en Vendée d’autant plus incontournable que chef et solistes enregistrent dans la foulée, l’opéra pour un disque déjà annoncé au printemps 2010.
D’emblée la lecture privilégie, un français baroque d’une indiscutable intelligibilité dont la faculté à faire vivre l’admirable livret de Quinault, n’est pas le moindre apport. Sous la voûte étoilée, (dans la cour d’honneur du Logis), sans surtitres, dans une acoustique « naturelle » propice à la projection du texte, comme à au chant ciselé du continuo, les jeunes solistes choisis par le chef de la Simphonie du Marais s’ingénient sans forcer à restituer la noblesse et le raffinement du drame.
Autour de l’excellent Atys de Romain Champion à l’énoncé fluide, et l’articulation vivante, paraissent tour à tour au fil des tableaux, plusieurs tempéraments vocaux prêt à relever les défis multiples d’un opéra autant linguistique que musical. Atys incarne déjà l’âge d’or de l’opéra français: ses enchantements au tôt fait de ravir le coeur du public. Dès sa création à la Cour puis à la ville, Atys suscite un enthousiasme croissant des spectateurs (qui ne s’est pas démenti en 1986/87): les amateurs y ont reconnu un spectacle total qui a vite supplanté le théâtre parlé, pourtant remarquablement représenté par Racine…

Qu’a réellement Atys pour nous séduire aujourd’hui? Sa construction dramatique, la force quasi hypnotique de ses tableaux, l’opposition des caractères et des climats, l’efficacité et la beauté de la langue: (coulante, expressive, forte et imagée: conçue en une collaboration unique, par Quinault pour Lully). Malgré ses 5 actes, l’opéra sait unir ses parties, alternant l’extase, la langueur, la terreur et le fantastique, sans omettre (mais de façon très fugace) le comique et l’enjoué. La partition combine situations psychologiques fortes, danses, divertissements, et chant déclamé… C’est un aboutissement unique dans l’histoire de l’opéra français (non encore pleinement versaillais) qui s’impose évidemment et qui tout autant ne sera pas suivi d’effets. Atys est un sommet poétique, dramatique, littéraire, musical que Hugo Reyne nous offre avec maestrià, dans sa singularité vive.

D’Atys, le contre-ténor Romain Champion qui a participé auparavant au Ballet des Arts du même Lully, recréé par Hugo Reyne en 2008, (voir aussi notre vidéo exclusive du Ballet des arts de Lully dirigé par Hugo Reyne) exprime les tiraillements et les déchirements intérieurs d’un sceptique incrédule pris, malgré lui, dans les rets d’une passion dévorante et destructrice… pour la belle fille du dieu fleuve Sangar, Sangaride (délectable Bénédicte Tauran : la jeune soprano sait construire pas à pas son rôle, des murmures du début, au moment du lever du jour, jusqu’aux paroxysmes de la fin). Atys est un jeune homme foudroyé par l’amour qui doit mentir (à son ami le roi Célénus -noble et autoritaire Aimery Lefèvre), se dépasser et trahir l’impressionnante Cybèle, laquelle rayonne pendant tout l’opéra et conduit toute la conclusion de la partition à l’acte V. En cela, l’opéra aurait pu s’intituler « Cybèle ». L’intelligence du duo Quinault-Lully se concentre sur le portrait musical de la déesse: tour à tour séductrice, haineuse, d’une effrayante barbarie puis humaine et compatissante: l’amoureuse éconduite et trahie par Atys, le berger qu’elle a choisi comme grand sacrificateur, ne cesse in fine de chanter et pleurer la mort du mortel, finalement transformé en pin (l’opéra s’inspire des Métamorphoses d’Ovide). Amaya Dominguez s’affirme à la hauteur du personnage, véritable préfiguration d’Armide (autre magicienne défaite): entité mutine et fascinante, capable de manipuler et de tromper (tableau du sommeil d’Atys), puis de foudroyer par dépit. Le chef a choisi une jeune mezzo quand la créatrice du rôle était plus mûre, offrant alors un singulier contraste avec la jeune et tendre Sangaride…

Délectable prosodie

Pour soutenir et varier la série d’épisodes des 5 actes (avec Prologue), Hugo Reyne sait détailler et ciseler un continuo composé pour les récits (hors entrées et divertissements où c’est tout l’orchestre qui joue), de 3 théorbes, d’un clavecin, d’une basse de violon et d’une viole de gambe. La projection et la coloration du texte y gagnent en souplesse et en caractérisation (les 3 théorbes créent un halo sonore d’une exquise délicatesse de ton pour l’expression des passions amoureuses, celle de Sangaride et d’Atys, de Cybèle et Athys, de Célénus et Sangaride…). D’une oeuvre sans véritable « air », où la continuité articulée et palpitante du texte porte toute l’action dramatique, les interprètes réussissent de superbes morceaux: langueur blessée de Sangaride au I (« Atys est trop heureux« ), enchantement féerique du Sommeil d’Atys (III) chanté par le choeur des 4 entités suscitées par Cybèle pour envoûter le beau berger: Sommeil, Morphée, Phobétor, Phantase. Le quatuor d’hommes composé alors de Romain Champion, Vincent Lièvre-Picard, Aimery Lefèvre et de la basse (impeccable) Matthieu Heim (qui incarne avec un bel applomb aussi le Temps du Prologue et le dieu fleuve Sangar) saisit, par la cohérence de sa couleur, là encore la précision naturelle de l’articulation, son engagement collectif. Hugo Reyne a choisi comme instrumentarium 2 flûtes traversières entre autres, pour l’un des plus fascinants tableaux de la tragédie. Pendant tout l’épisode, l’ombre et la caresse amoureuse de Cybèle s’étendent sur la scène, comme Diane diffuse ses rayons lunaires sur le corps de son amant endormi, Endymion. La force et l’intensité musical de ce Sommeil d’Atys atteignent un sommet d’extase suggestive.
A l’acte IV, le trio d’une si humaine et tendre vérité composé de Sangaride et de ses deux confidents (Idas et Doris): « Qu’une première amour est belle? Qu’on peine à s’en dégager!« … reste mémorable par sa poésie et son effusion directe (cf illustration ci dessus), et le grand récit de Cybèle qui précède « Espoir si cher et si doux, Ah! Pourquoi me trompez-vous? » bouleverse par ses déchirantes blessures: Cybèle s’y dévoile en femme plutôt qu’en déesse, victime impuissante et démunie, aux pieds d’un berger mortel insensible à son désir…
Même à la fin de l’acte IV, la riante compagnie des dieux fluviaux « ose » dans ce bocage tragique et sombre, labyrinthe des solitudes désespérées, plusieurs traits comiques (seul épisode léger de la partition) dont l’impact est réalisé par l’expressivité du choeur très engagé (scrupuleuse prononciation).
Enfin, la succession des scènes de délire et de folie puis de suicide d’Atys, montre la vérité du jeu de Romain Champion, la justesse de son style qui reste sans artifices ni ornements maniéristes. Saluons enfin Maud Ryaux (Iris puis Doris), à la projection naturelle et l’articulation non moins convaincante.

Sans décors, cet Atys vendéen ressuscite par la seule force articulée du texte, dont la beauté et la prosodie ainsi restituées sont les trophées de cette soirée de pur enchantement. Le français baroque dépouillé des ornements et des maniérismes si fréquents aujourd’hui (en particulier chez Lazar et Dumestre dans le sillon d’Eugène Green) y est dévoilé et défendu avec intensité.
Le voici ce français intense, pur et dramatique: irrésistible dans ses accents tendres et amoureux qui font de Quinault le génie de la langue baroque avec Racine. Ce dernier, concurrencé par le poète de Lully, écrit après Atys, sa Phèdre (1677): autre visage d’une amoureuse trompée, démunie, défaite, impuissante. Quinault a su définir les règles harmoniques de l’opéra français. Racine n’écrira plus après 1686 de tragédies, comme frappé par la réussite de son contemporain: ses dernières tragédies Esther (1689) puis Athalie (1691) intègrent plusieurs épisodes chantés comme si depuis Quinault, le théâtre baroque pour atteindre ses sommets, ne pouvait plus faire l’économie de la musique ni du chant.
Autour d’Hugo Reyne, artisan de cette brillante intelligibilité, toute l’équipe se retrouve dans ce travail spécifique, à nouveau en août pour enregistrer le disque, annoncé sous étiquette du label du festival vendéen (Musiques à la Chabotterie, en septembre 2010). A noter qu’au moment où nous publions notre compte rendu, le CMBV , Centre de musique baroque de Versailles, publie un ouvrage capital sur les livrets de Philippe Quinault, composés pour Lully (Buford Norman: « Quinault, librettiste de Lully. Le poète des grâces. Co édition Mardaga. Parution: août 2009).

Saint-Sulpice le Verdon (85). Jean-Baptiste Lully: Atys (1676). Livret de Philippe Quinault. Les 11 et 12 août 2009. 13è Festival Musiques à la Chabotterie. Romain Champion (Atys), Bénédicte Tauran (Sangaride), Amaya Dominguez (Cybèle), Maud Ryaux (Doris), Mattieu Heim (Idas), Maïlys de Villoutreys (Mélisse). Choeur et orchestre de La Simphonie du Marais. Hugo Reyne, direction.

Illustrations: décors pour Atys. Hugo Reyne (DR). Production d’Atys à La Chabotterie 2009 © Accent Tonique 2009 (Trio « Qu’une première amour est belle? Qu’on peine à s’en dégager!« : Sangaride, Doris, Idas), Hugo Reyne dirige, scène final avec Cybèle.

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