Malgré cela, le théâtre stéphanois ose avec raison cette découverte majeure dans l’œuvre de Massenet. Car la partition recèle de véritables trésors, une grande richesse orchestrale, peignant magnifiquement chaque paysage et chaque émotion, comme du Cinémascope avant l’heure, en une progression dramatique saisissante. Les délicieux orientalismes qui parsèment l’ouvrage et les grandes fresques chorales, impressionnantes d’impact, achèvent de convaincre de la valeur musicale de cette œuvre passionnante, qui mériterait à présent les honneurs de la scène.
Un grand Massenet oublié
Cette réussite doit également beaucoup à l’enthousiasme inébranlable de tous les participants de cette grande aventure.
Ainsi, Laurent Campellone, défenseur de la musique française qui se livre tout entier dans sa direction et mène l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne à un niveau étonnant.
Les musiciens semblent en effet galvanisés par leur chef et donnent le meilleur d’eux-mêmes, rivalisant de couleurs et de somptuosité sonore, pour un résultat saisissant d’ampleur comme de dramatisme.
La distribution réunie pour l’occasion se montre également d’un engagement rare, tous les chanteurs semblant défendre farouchement cette musique.
Annoncé souffrant, Luca Lombardo, grand habitué de Massenet sur ce même plateau, a malgré tout accepté de tenir le rôle-titre, d’autant plus qu’il en est actuellement le seul titulaire au monde. Et sa prestation est indiscutable par la qualité de son émission haute et claire, ainsi que la perfection de sa diction, dans la grande tradition française, tendant la main au phrasé déclamatoire d’un Georges Thill. Le ténor français, malgré son état de santé fragile, offre un médium parfaitement timbré et libéré, et si le haut-médium est parfois prudemment esquissé, c’est pour mieux libérer l’aigu dans les moments-clefs de l’œuvre. En outre, son personnage est magnifiquement incarné dans toute sa noblesse, fier et éclatant.
Il trouve en Catherine Hunold une partenaire de choix dans le rôle d’Anahita, soprano large et corsé, au médium charnu, à l’aigu tranchant. La chanteuse française, qui mériterait d’être davantage engagée par nos grandes scènes nationales, affirme une maestria elle aussi admirable dans une écriture difficile et étendue, exigeant vaillance, raffinement et même agilité. Ses imprécations de la fin du quatrième acte, surplombant l’orchestre et le chœur dans un appel guerrier et vengeur, resteront dans les mémoires.
En Varedha vipérine et manipulatrice, prêtresse éconduite rappelant irrésistiblement la figure d’Amnéris, Kate Aldrich vient vaillamment à bout de l’écriture hybride de son rôle, presque Falcon, à mi-chemin entre mezzo et soprano. Si les sauts de registres s’avèrent parfois audibles, elle assume crânement toutes les notes de son personnage, jusqu’à des aigus puissants. Seule l’émission sonne parfois élargie rendant parfois le texte, difficile à comprendre, malgré un travail évident sur la diction qui mérite le respect. Son air « Descendons plus bas » au deuxième acte s’avère l’un des plus originaux de l’ouvrage par son atmosphère sombre et étouffée, et permet à la mezzo américaine de déployer ses talents de comédienne, la seule du plateau à vivre son personnage avec autant d’intensité.
Elle forme un duo parfaitement assorti avec Jean-François Lapointe, Amrou mordant et sonore, figure du père assoiffé de rancœur, lui aussi très convaincant.
Marcel Vanaud campe quant à lui un Roi d’Iran imposant malgré l’usure de la voix, à l’émission étrange, sonnant très en arrière, mais d’une grande autorité.
Les seconds rôles sont également bien distribués, grâce à la finesse de timbre de Julien Dran et la mâle solidité de Florian Sempey.
Rien à reprocher non plus au chœur, admirable de cohésion et d’homogénéité, d’une intelligibilité parfaite et d’une pâte sonore magnifique, preuve du travail exceptionnel de Laurent Touche.
Un beau succès a salué cette initiative passionnante, l’une des rares vraiment à la hauteur de l’année Massenet qui s’achève bientôt et de façon bien décevante.
Encore merci à la l’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne et à son formidable chef Laurent Campellone. Vivement l’édition 2014 !
Saint-Etienne. Opéra-Théâtre, 9 novembre 2012. Jules Massenet : Le Mage. Livret de Jean Richepin. Avec Zarâstra : Luca Lombardo ; Varedha : Kate Aldrich ; Anahita : Catherine Hunold ; Amrou : Jean-François Lapointe ; Le Roi d’Iran : Marcel Vanaud ; Prisonnier Touranien / Chef Iranen : Julien Dran ; Chef Touranien / Héraut : Florian Sempey. Chœur lyrique Saint-Etienne Loire ; Chef de chœur : Lautent Touche. Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire. Laurent Campellone, direction musicale.