vendredi 29 mars 2024

Compte rendu, opéra. Saint-Etienne. Grand Théâtre Massenet, le 20 novembre 2016. Vincenzo Bellini : Norma. Clara Polito, Judith Gauthier, Jean-Noël Briend, Thomas Dear. José Luis Dominguez Mondragon, direction musicale. Stéphane Braunschweig, mise en scène.  

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cyril cauvet norma bellini judith gauthier clara polito compte rendu critique spectacle classiquenewsUne représentation étonnante, durant laquelle l’émotion fait finalement tomber les réticences face à une adéquation stylistique parfois discutable. Les premières scènes, pourtant, faisaient craindre le pire. Saluons néanmoins un excellent Flavio, personnage auquel le jeune ténor Kévin Amiel donne une présence rare grâce à sa voix percutante. Mais on avoue apprécier assez peu le chant de Jean-Noël Briend, pourtant doté des moyens et des notes du rôle, médium massif mais aigu, pourtant sonore, assez étranglé et attaché en gorge, que n’arrange pas une absence de jeu scénique… laquelle confine à l’inexpressivité totale, ce durant toute la représentation. Quel que soit le sentiment exprimé : passion, tendresse, crainte, remords, son proconsul demeure immuable, les paroles ne prenant jamais leur sens et les mots demeurant comme vides, le chanteur semblant indifférent et étranger à ce qu’il est censé exprimer.

Belle Norma pas si morne

L’Oroveso de la basse monégasque Thomas Dear impressionne par la puissance de son instrument, mais inquiète par une émission semblant grossie et un aigu privé d’impact.
Le récitatif d’entrée de Norma trahit chez Clara Polito, soprano italienne méconnue, un bas-médium peu sonore et un manque de projection, et le très attendu « Casta diva », chanté quasiment sans nuances, se voit privé de mystère comme de ferveur, malgré un beau phrasé. La cabalette qui suit permet à la chanteuse de donner vie à un personnage et d’imposer enfin une autorité et de belles vocalises : la représentation peut vraiment commencer.
Concernant Judith Gauthier, la singularité de son Adalgisa saute aux oreilles : véritable soprano clair, elle rend au personnage sa virginité et sa fraicheur, ainsi que le désirait Bellini. Le contraste est déconcertant avec nos habitudes d’écoute – la tradition confie le rôle à un mezzo – mais l’évidence s’impose rapidement.
Si la soprano française n’est pas véritablement une belcantiste, on est heureux de la retrouver telle que nous l’avions laissée dans le rôle de Cendrillon à l’Opéra Comique voilà plus de cinq ans, et on s’attache rapidement à sa jeune vierge, émouvante grâce à la limpidité de son timbre et à la vibration si particulière de sa voix. Dans ses duos avec Norma, son instrument s’harmonise merveilleusement avec celui, plus sombre, de Clara Polito, et l’union de leurs couleurs sonne comme une évidence, la ligne supérieure étant dévolue par Bellini à la plus jeune des deux femmes. Ce qui nous vaut de véritables moments de grâce, les deux artistes se révélant par ailleurs d’une complicité à toute épreuve, visiblement heureuses de chanter ensemble.
Au fur et à mesure de la soirée, Clara Polito fend peu à peu l’armure et incarne une Norma à laquelle on croit pleinement. De sa rage flamboyante à la fin du premier acte à la tendresse désespérée qui l’agite à la vue de ses enfants au début du deuxième, la chanteuse abat les cartes qui ont fait sa réputation dans la Péninsule : beau legato à l’archet, texte magnifiquement ciselé, et une autorité vocale croissante, notamment dans l’aigu.
Quant à son magnifique timbre de velours sombre, la chanteuse sait le moduler selon les besoins du drame, jusqu’à des couleurs inattendues : lorsque Norma reparaît, convaincue que le soutien d’Adalgisa lui rendra Pollione : à cet instant, l’instrument de la soprano paraît transfiguré, virginal et cristallin, avant de retrouver ses couleurs fauves et sauvages dès lors qu’elle se sent trahie.
Et, alors que la prêtresse tient Pollione entre ses mains et rappelle ses fidèles pour le jugement ultime, on se souviendra d’une surprenante variation imaginée par la cantatrice transalpine dans laquelle elle lance un ut dièse aussi percutant qu’inattendu. Une Norma étonnante, mais une très belle Norma.
Aux côtés d’un chœur maison excellent, on retient également la charmante Clotilde d’Albane Carrère.
A la tête d’un orchestre comme toujours d’un superbe niveau, aux pupitres magnifiquement équilibrés, le chef chilien José Luis Dominguez Mondragon, auquel on reprochera simplement la regrettable coupure des reprises des cabalettes, dirige cette musique avec un remarquable sens de la ligne, faisant littéralement chanter les cordes, et sait éviter toute surcharge dans les passages martiaux, en véritable chef bellinien.
Quant à la mise en scène de Stéphane Braunschweig, on l’apprécie davantage qu’au Théâtre des Champs-Elysées, malgré une direction d’acteurs paraissant aux abonnés absents. L’enfermement quasiment autarcique des adorateurs d’Irminsul fonctionne remarquablement, leur culte clandestin et secret devenant d’autant plus fort et émouvant. Et la presque gémellité entre les femmes, notamment entre Norma et Adalgisa, se justifie parfaitement grâce à l’option musicale retenue pour ces représentations stéphanoises.
Une représentation qui commençait comme une Norma de plus, et qui s’est achevée comme une très belle Norma.

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Compte rendu, opéra. Saint-Etienne. Grand Théâtre Massenet, 20 novembre 2016. Vincenzo Bellini : Norma. Livret de Felice Romani d’après Norma ou l’Infanticide de L. A. Soumet. Avec Norma : Clara Polito ; Adalgisa : Judith Gauthier ; Pollione : Jean-Noël Briend ; Oroveso : Thomas Dear ; Clotilde : Albane Carrère ; Flavio : Kévin Amiel. Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire ; Chef de chœur : Laurent Touche. Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire. Direction musicale : José Luis Dominguez Mondragon. Mise en scène et décors : Stéphane Braunschweig ; Réalisation : Georges Gagneré ; Costumes : Thibault Vancraenenbroeck ; Lumières : Marion Hewlett ; Réalisation : Patrice Lechavallier ; Chorégraphie : Johannes Saunier ; Réalisation : Emilie Camacho.

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