Le Japon sert toujours de cadre à la tragique histoire de Cio-Cio San, mais c’est le celui des malheurs et des catastrophes qui s’anime sous nos yeux. En voyant cette maison délabrée, de guingois, tenant à peine sur ses fondations, on ne peut s’empêcher de penser au drame de Fukushima, images rendant plus poignante encore l’histoire de l’innocente geisha.
Un fragile et tendre papillon
Rarement le rêve qui aveugle Butterfly et dans lequel elle s’enferme aura été aussi palpable, faisant d’elle un fragile et tendre papillon, qu’un souffle peut briser. On n’oubliera pas de sitôt cette image de Cio-Cio San endormie, enroulée dans le drapeau américain, attendant désespérément son Pinkerton. Une très belle mise en scène d’Olivier Desbordes, qui nous permet de voir ce chef d’œuvre avec un regard neuf.
La distribution réunie ici appelle également de beaux éloges.
La jeune Sandra Lopez de Haro s’investit corps et âme dans son personnage d’amoureuse éperdue, très crédible dans ce rôle de jeune fille de 15 ans.
Vocalement, elle laisse admirer un grave aisé et un beau médium, mais son aigu semble peiner à trouver son assise et ainsi se déployer pleinement. L’instrument paraît en outre parfois un peu léger pour le rôle, surtout en plein air. Mais dans les moments d’intériorité, n’ayant plus à chercher à donner du volume, les couleurs argentées de son timbre font merveille et touchent sincèrement au cœur.
En Suzuki protectrice et désillusionnée, Irina de Bagny s’impose dès les premières notes par l’ampleur de sa voix et la sombre beauté de son timbre, notamment dans le registre grave, superbement émis, sans effort et sans effets.
Par sa seule présence, elle occupe le plateau tout entier, beauté tragique et magnétique. On espère la revoir bientôt dans un rôle de premier plan, tant son incarnation fut marquante.
Pinkerton désinvolte et dangereusement charmeur, Carlo Guido trouve ici un rôle à la mesure de ses moyens de ténor dramatique, loin de ce Duc dont on sentait bien qu’il n’y était pas à l’aise. Dans cette écriture plus centrale et plus large, il peut enfin déployer son riche médium et ses aigus amples, osant de vraies nuances et déroulant une superbe ligne de chant.
Belle découverte avec le Sharpless impressionnant de Kristian Paul, à la voix aussi imposante que la stature. L’instrument sonne large, se déploie sans effort, avec une superbe couleur rappelant les grands barytons français. Le personnage est superbement campé, devenant sincèrement émouvant à force de prévenance et d’impuissance face à l’aveuglement amoureux de Cio-Cio San.
Saluons également le Goro impeccable d’Eric Vignau, ainsi qu’à son habitude.
Les seconds rôles sont tous bien tenus, s’imposant chacun durant l’instant qui lui est consacré.
L’orchestre du festival surprend par sa cohésion et sa richesse sonore malgré l’effectif réduit, rendant parfaitement toute la profusion harmonique et mélodique de la partition de Puccini.
Gaspard Brécourt dirige cette soirée avec ce qu’il faut de lyrisme, sans jamais tomber dans le pathos, évitant toute lourdeur, privilégiant la transparence et la finesse.
Un beau succès pour cette Butterfly, faisant honneur une fois de plus au Festival de Saint-Céré.
Saint-Céré. Château de Castelnau-Bretenoux, 10 août 2012. Giacomo Puccini : Madama Butterfly. Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica. Avec Cio-Cio San : Sandra Lopez de Haro ; Suzuki : Irina de Bagny ; Pinkerton : Carlo Guido ; Sharpless : Kristian Paul ; Goro : Eric Vignau ; Bonzo : Josselin Michalon ; Yamadori : Matthieu Toulouse ; Le Commissaire impérial : Yassine Benameur ; Kate Pinkerton : Flore Boixel. Orchestre et chœur du Festival. Gaspard Brécourt, direction musicale ; Mise en scène ; Chef de chant : Inna Petcheniouk