Richard Wagner
Parsifal, 1882
France Musique
Vendredi 22 août 2008 à 20h
Eté wagnérien et bayreuthien pour le prochain directeur musical du National de France: Daniele Gatti. Ce Parsifal devrait souligner le tempérament lyrique et théâtral du maestro milanais. Le chef italien créera-t-il l’événement à Bayreuth avec ce Parsifal désormais très attendu? Et qu’en sera-t-il des chanteurs? Verdict le 22 août 2008.
Avec Detelef Roth, Amfortas. Diogenes Randes, Titurel. Kwangchul Youn,
Gurnemanz. Mihoko Fujimura, Kundry… Choeur et orchestre du Festival
de Bayreuth. Daniele Gatti,
direction. Enregistré à Bayreuth le 25 juillet 2008.
Notre avis. Bayreuth 2008: 97ème édition depuis l’inauguration en 1876 du premier festival wagnérien sur la Colline Verte. L’année est exceptionnelle pour l’histoire du lieu mythique de la musique et de la culture germanique: 2008 est l’ultime année de la direction du petit fils de Richard, Wolfgang, lequel souffle ce 30 août, ses 80 ans. Bayreuth vit donc une sorte de crise dans l’héritage accumulé et la nécessité de se renouveler…
Du Parsifal, opéra fleuve, composé deux ans avant la mort de l’auteur et créé en 1882, Daniele Gatti qui fait ses débuts à Bayreuth et le metteur en scène norvégien Stefan Herheim optent pour une lecture actualisée de la partition parmi les plus vénérées de l’opéra allemand. L’action se déroule dans la maison des Wagner à Bayreuth, la Wahnfried: la scénographie inscrit donc la production comme une récapitulation de l’histoire de Bayreuth, et Parsifal y paraît comme le champion des idéaux humanistes contre la horde des… nazis qui lui font face. Mais à l’acte II, où le magicien Klingsor suscite les forces du mal pour séduire et tromper l’élu, Herheim chosisit le cadre d’un hôpital où le mage en maître de revue, bascule l’opéra dans l’opérette. Au III, Parsifal sait soulager Amfortas de ses plaies béantes, institutant une nouvelle paix politique. Et le scénographe a pris soin d’apposer au décor la phrase que Wieland et Wolfgang Wagner mirent en avant après la guerre (1945) quand il fallait donner de Bayreuth, une image nettoyée de la honte, totalement dénazifiée: « ici prime l’art ». Qui pourrait le croire ? quand le témoin regarde la théorie des voitures officielles acheminant tout ce que l’Europe compte de têtes couronnées et de décideurs politiques… Quand, il faut attende 9 ans pour obtenir sa place dans la salle construite pour Wagner et son théâtre… Art élitiste, art instrumentalisé… Saluons donc France Musique de nous ouvrir les portes du Saint des Saints.
Dans la fosse, pendant près de 4h40mn, Daniele Gatti étire les tempis, se laisse fasciné par l’histoire de Bayreuth soustendant l’action de ce Parsifal, nouvelle tendance. Au crédit de la distribution, l’Amfortas de Detelf Roth et le Gurnemanz de Kwangul Young tirent leur épingle du jeu par le relief mâle et noble de leur timbre. Blessé pour le premier, nourri d’un pur et indéfectible espoir, pour le second. Bémol décevant pour la Kundry de Mihoko Fujimura qui n’a pas le coffre qu’exige le personnage en dépit de son velours vocal. Quand à Christopher Ventris, il incarne un Parsifal habité voire grave. Les plus critiques ont regretté l’absence de tension et de spiritualité, d’autant que la lecture s’étend en temporalité, au détriment de l’expressivité?
Qu’en ont pensé les spectateurs privilégiés, témoins du spectacle. Certains ont hué le chef pour sa baguette diluée voire absente… Pari manqué pour Gatti à Bayreuth?
Orchestre magicien
Le Festival scénique sacré en trois actes de Richard Wagner a été créé
en 1882, spécifiquement pour la salle de Bayreuth et son acoustique. La
fusion de la musique, (chorale, vocale et instrumentale) et du lieu
contribue grandement à la fascination de chaque représentation, à tel
point que certains spectateurs considèrent Parsifal comme un
opéra religieux qui exige l’absence d’applaudissement lors des
représentations, en particulier après la présentation du Saint Graal et
son dévoilement… Or rien ne stipule que Wagner ait souhaité une telle
ritualisation de son ouvrage. Il aurait même donné le signal des
applaudissements, le soir de la générale.
L’impact esthétique de la
musique, conçue comme un flux musical continu, poursuit son oeuvre
auprès des spectateurs: l’orchestre porte tout le spectacle, à la fois
jaillissement de la psyché, expression directe de l’action,
remémoration permanente des sentiments et des intentions… il dilate
la perception sensible, abolit les frontières, réalise l’assimilation
du temps et de l’espace… Wagner brosse le portrait d’une humanité
corrompue par le poids de ses fautes. Sa vision chrétienne fut le sujet
de sa brouille avec Nietzsche. Pourtant, Parsifal incarne le nouvel
homme, incrédule, loyal, constant dont la vertu morale sauve Amfortas
et Kundry, deux êtres voués au mal, possédé par la magie de Klingsor.
Sa compassion qui rétablit l’humanité dans un monde qui en avait perdu
l’activité, fait renaître l’espoir… L’action elle-même, comme la
musique, ne connaît pas de cadre ni de limites précis. Le compositeur
semble concentrer l’histoire de l’humanité. Il offre sa propre
philosophie, éprouvée à l’aune de la compassion et du renoncement.
Parsifal absorbe toutes les peines, s’émeut, comprend, apaise… c’est
l’élu que chacun de nous attend secrètement. Debussy profondément
marqué par le modèle wagnérien, se souviendra de Parsifal dans les
interludes orchestraux de Pelléas et Mélisande, comme Richard Strauss avait su renouveller le souffle onirique du théâtre wagnérien dans son opéra La Femme sans ombre, écrit avec Hugo von Hofmannsthal, dont le sujet traite tout autant du rachat de l’humnanité par la compassion…
Lire notre dossier Parsifal de Richard Wagner
Illustations: Portraits de Wagner, Daniele Gatti, directeur de l’Orchestre National de France (DR)